
Au large des côtes d’Israël et du sud de la France, des plongeurs ont découvert des lingots d’étain transportés par d’anciens navires. Pendant des années, les archéologues ont cherché à percer le mystère de leur origine. Une étude récente, publiée dans la revue Antiquity, apporte enfin des réponses.
Un métal rare et essentiel
En analysant la composition chimique de ces lingots, des chercheurs ont pu retracer leur origine jusqu’aux mines anciennes de Cornouailles et du Devon, dans le sud-ouest de l’Angleterre. Il s’agit de la première preuve scientifique solide que l’étain extrait dans ces régions était exporté à grande échelle vers des civilisations telles que l’Égypte et la Grèce mycénienne. « Ce commerce représente sans doute la première exportation de grande ampleur dans l’histoire de la Grande-Bretagne », affirme Benjamin Roberts, archéologue à l’université de Durham. « Le volume et la régularité de ces échanges suggèrent un réseau commercial bien plus développé que ce que l’on avait imaginé pour l’âge du bronze. »
L’étain, un métal argenté utilisé principalement pour fabriquer du bronze, était crucial pour les civilisations anciennes. Mélangé à environ 10 % avec du cuivre, il permettait de produire un alliage solide, utilisé pour fabriquer des outils, des armes et des ornements. Si le cuivre était abondant en Eurasie, l’étain, en revanche, était une ressource rare dans la région méditerranéenne, où la culture du bronze prospérait.
Entre 1300 avant J.-C. et l’âge du bronze tardif, le bronze s’est pourtant répandu massivement dans ces régions. Mais sans gisements significatifs d’étain en Égypte, en Anatolie ou au Levant, les civilisations méditerranéennes ont dû se tourner vers d’autres sources, parfois très éloignées.

Des preuves chimiques irréfutables
Jusqu’ici, plusieurs théories évoquaient des sources possibles en Asie centrale, en péninsule Ibérique ou en Europe centrale, mais aucune ne s’appuyait sur des preuves directes. L’étude menée par les chercheurs de Durham et leurs partenaires européens change la donne. En comparant les signatures isotopiques du plomb et de l’étain dans les minerais, les artefacts et les lingots, ils ont pu relier ces métaux submergés au sous-sol britannique.
L’équipe de chercheurs a utilisé des techniques avancées d’analyse chimique pour comparer des échantillons d’étain provenant de lingots, d’artefacts et de minerais. Les résultats ont révélé une correspondance entre l’étain extrait en Cornouailles et dans le Devon, et des lingots découverts dans des épaves de navires au large d’Israël et du sud de la France.
De plus, des outils en pierre, retrouvés sur un site en Cornouailles, montrent des traces de traitement de l’étain remontant à cette période. Ces découvertes constituent les premières preuves connues d’une exploitation et d’un commerce d’étain à grande échelle en Europe. « Cela montre que, il y a environ 3 300 ans, de petites communautés agricoles de Cornouailles et du Devon exportaient leur étain jusqu’aux royaumes florissants de la Méditerranée orientale, situés à plus de 4 000 kilomètres », explique Roberts.
Un commerce ancien qui connectait le monde
Ces découvertes remettent en question l’idée que les grandes civilisations de la Méditerranée orientale se développaient de manière isolée. Le commerce de l’étain révèle l’existence d’un réseau commercial complexe et interconnecté. Il semble improbable qu’à cette époque, la Grande-Bretagne ait joué un rôle clé dans ce réseau, car elle était dépourvue de villes, de palais ou même d’écriture. Cependant, ces modestes communautés agricoles possédaient une richesse géologique inestimable.
Les gisements d’étain de Cornouailles et du Devon, parmi les plus riches et les plus accessibles au monde, étaient faciles à exploiter avec des outils rudimentaires. L’étain extrait des lits alluviaux était ensuite transporté à dos d’homme ou par bateau, traversant la France actuelle, la Sardaigne et Chypre, avant d’atteindre les ports méditerranéens. En cours de route, ce métal devenait une ressource extrêmement précieuse.
Selon l’étude, « des dizaines, voire des centaines de tonnes d’étain étaient échangées chaque année à travers un réseau paneuropéen » bien avant l’apparition de l’écriture alphabétique.
Une île mystérieuse et un commerce oublié
Un autre indice de ce commerce ancien se trouve dans les écrits de Pythéas, un explorateur grec ayant visité la Grande-Bretagne vers 320 avant J.-C. Il évoque une île appelée « Ictis », accessible à marée basse, où l’étain était extrait et exporté. Bien que l’œuvre originale ait disparu, ses écrits ont été conservés en fragments par d’autres auteurs. Les chercheurs pensent aujourd’hui que cette île pourrait être le mont Saint-Michel en Cornouailles, situé près des anciennes zones d’exploitation minière. Des fouilles en cours sur cette île pourraient confirmer cette hypothèse et révéler davantage d’informations sur ce réseau commercial oublié.
Le commerce de l’étain ne s’est pas arrêté à l’âge du bronze. Au Moyen Âge, les mines de Cornouailles et du Devon détenaient un quasi-monopole sur l’approvisionnement en étain en Europe. Aujourd’hui, avec la demande croissante pour des matériaux essentiels à l’électronique et aux technologies vertes, ces anciennes mines connaissent une renaissance.
Les chercheurs notent que « l’étain est redevenu un minerai stratégique, indispensable à l’industrie moderne ». La production d’étain en Cornouailles est sur le point de reprendre, renouant avec une tradition industrielle vieille de 4 000 ans. Par ailleurs, une sécheresse extrême a précipité la chute des défenses romaines en Grande-Bretagne.
Par Eric Rafidiarimanana, le
Source: ZME Science
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