
Une découverte archéologique majeure bouscule nos certitudes sur l’organisation sociale des premières communautés agricoles. À Çatalhöyük, il y a 9 000 ans, les femmes occupaient une place centrale dans le tissu familial, économique et symbolique.
Les maisons de Çatalhöyük suivaient les liens de descendance maternelle
Situé dans le sud de la Turquie, Çatalhöyük est souvent présenté comme l’un des premiers centres urbains de l’histoire. Mais plus que son architecture, c’est sa structure sociale qui intrigue. En juin 2025, une étude publiée dans la revue Science livre une analyse ADN de 131 squelettes exhumés sous les habitations.
Ainsi, les chercheurs découvrent une organisation surprenante : les personnes enterrées sous un même toit étaient presque toutes reliées par la lignée maternelle.
Par ailleurs, l’étude révèle que ces foyers abritaient principalement des femmes, leurs enfants, leurs sœurs ou leurs petits-enfants. En revanche, les hommes quittaient probablement leur maison natale pour rejoindre celle de leur compagne. Ce système matrilocal implique que les enfants grandissaient auprès de leur mère.
Mehmet Somel, coauteur de l’étude, explique clairement : « Dans ces communautés agricoles préhistoriques, les liens familiaux se sont construits autour des femmes. » Cette conclusion remet donc en question nos récits historiques habituels.
Les fillettes recevaient davantage d’offrandes funéraires que les garçons
De plus, les objets funéraires découverts avec les squelettes fournissent des informations complémentaires importantes. Ainsi, les archéologues constatent que les fillettes, même très jeunes, étaient accompagnées de nombreux ornements, perles et figurines. À l’inverse, les garçons recevaient moins d’objets.

Par conséquent, ces différences suggèrent une valorisation sociale du féminin dès la naissance.
Ces artefacts ne servaient pas uniquement à honorer les défunts. Ils témoignent surtout d’une culture où les femmes occupaient un rôle central dans la transmission, la mémoire familiale, et peut-être même dans les décisions collectives. À Çatalhöyük, les célèbres figurines féminines n’étaient donc pas simplement religieuses. Elles incarnaient plutôt une reconnaissance sociale élargie des femmes.
Un modèle sociétal différent du patriarcat néolithique européen
En Europe, les sociétés néolithiques reposaient majoritairement sur des logiques patrilinéaires. La filiation et l’héritage passaient par les hommes. Toutefois, Çatalhöyük propose une alternative claire. Ce n’était pas un matriarcat politique, insistent les chercheurs. Ils parlent plutôt d’une société « centrée sur les femmes ».
Ainsi, les relations sociales et familiales s’articulaient autour du lien maternel.
Cette découverte remet en question l’idée que le patriarcat serait apparu naturellement avec l’agriculture. L’archéologue Jens Notroff affirme d’ailleurs que « le cas de Çatalhöyük montre que les structures patriarcales ne sont ni universelles ni intemporelles ».
Vers une relecture des récits historiques
Enfin, cette étude, fruit de plus de 15 années de fouilles et d’analyses génétiques, ne permet pas encore de tirer des conclusions générales sur toutes les sociétés néolithiques. Cependant, elle démontre clairement que l’organisation sociale à l’aube de l’agriculture était sans doute plus diverse que ce que l’on croyait.
Ainsi, la vraie question n’est plus de savoir si un matriarcat a existé. Il s’agit désormais de reconnaître que le patriarcat n’était pas la seule option possible. Cette diversité ancienne peut donc encore éclairer notre manière de penser le présent.
Par Eric Rafidiarimanana, le
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