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La date du 11 février 2016 rentrera dans l’histoire de la recherche scientifique. Pour la première fois, des vibrations d’une étrange nature venues de l’espace ont été détectées sur Terre, confirmant une prédiction d’Albert Einstein vieille d’un siècle. C’est un événement cataclysmique majeur qui a permis cette découverte. SooCurious vous explique comment.
« La théorie c’est quand on sait tout et que rien ne fonctionne, la pratique c’est quand tout fonctionne mais que l’on ne sait pas pourquoi », disait Albert Einstein. Ce pessimisme ne l’a nullement empêché d’échafauder des théories vertigineuses et pas toujours vérifiables dans l’immédiat faute de moyens techniques. Du point de vue mathématique, très ancré dans la théorie, la physique a un rôle pratique à jouer : à partir de l’examen de certaines équations, elle révèle de nouveaux éléments de réalité. Elle le fit déjà en prédisant, puis démontrant l’existence des photons, des antiparticules, des quarks et, plus récemment, en 2012, du boson de Higgs. Certaines théories ont mis des années pour « fonctionner », parfois même tout juste un siècle, comme la théorie des ondes gravitationnelles.
Les ondes électromagnétiques (perturbations des champs électrique et magnétique) sont produites par les particules chargées accélérées. De la même façon, les ondes gravitationnelles sont produites par des masses accélérées.
Lorsqu’un corps massif est soumis à une accélération, l’espace-temps autour de lui doit en permanence se réajuster, ce qui se traduit par de légères perturbations qui se propagent à la vitesse de la lumière. Elles sont causées par des phénomènes astrophysiques violents, comme une explosion des étoiles en supernova ou la fusion de deux trous noirs. Mais leur origine peut également remonter aux premiers instants suivant le Big Bang, événement très énergétique à l’origine de notre Univers survenu il y a plus de treize milliards d’années.
Car notre Univers est élastique : si on le secoue à une extrémité, il vibre et la secousse se propage jusqu’à l’autre bout, comme des cercles concentriques sur la surface d’un lac créés par la chute d’un caillou. Ces vibrations sont les ondes dites « gravitationnelles » car liées à la force de gravitation.
Leur existence a été pressentie dès 1905 par le mathématicien et physicien français Henri Poincaré (1854-1912). Mais c’est surtout Albert Einstein (1879-1955) qui a décrit l’existence de ces ondes en juin 1916, comme conséquence de sa théorie de la relativité générale, parue en 1915.
La gravitation étant très faible en intensité, de telles ondes sont très difficiles à détecter. Voilà pourquoi il a fallu attendre un siècle pour pouvoir élaborer des outils suffisamment précis.
Une preuve indirecte fut apportée en 1974 par les astrophysiciens américains Joseph Taylor et Russell Hulse. A cette époque, ils étudiaient le pulsar PSR1913+16, qui avait la particularité d’être membre d’un système binaire constitué de deux étoiles à neutrons. En examinant les émissions radio du pulsar, les deux astronomes furent en mesure de déterminer la période orbitale du couple. Ils se rendirent alors compte que celle-ci décroissait légèrement, d’un millième de seconde par an. La réduction mesurée correspond avec précision à celle prévue par la relativité générale dans l’hypothèse où la perte d’énergie serait due au rayonnement gravitationnel. Russell Hulse et Joseph Taylor ont été récompensés du prix Nobel de physique en 1993 pour cette découverte.
Depuis vingt ans, les observatoires construits pour détecter les ondes gravitationnelles sont des interféromètres géants. Le rayonnement provenant d’un laser est divisé en deux faisceaux. Ceux-ci sont envoyés dans des directions perpendiculaires, puis réfléchis par des miroirs et finalement recombinés. L’analyse de la lumière après recombinaison permet de dire si la durée de propagation de la lumière dans l’une des directions a été perturbée. Si tel est le cas, cela signifie que la distance parcourue par l’un des faisceaux a légèrement varié sous l’effet du passage d’une onde gravitationnelle.
Étant donné la faiblesse des effets à mesurer, ces interféromètres doivent être très sensibles. En particulier, la distance parcourue par la lumière doit être aussi grande que possible. Pour cette raison, ces détecteurs sont gigantesques, leurs bras font plusieurs kilomètres de long. Il est également important de réduire toutes les sources de bruit parasite, tout spécialement celles d’origine sismique ou thermique.
Aux Etats-Unis, l’observatoire LIGO est composé de deux interféromètres indépendants, l’un situé en Louisiane, l’autre dans l’Etat de Washington, à 3000 kilomètres de distance. LIGO a observé le ciel sans succès entre 2001 et 2010 et a été modernisé pour reprendre ses observations en septembre 2015. L’interféromètre Virgo, situé près de Pise en Italie, est une collaboration entre cinq pays européens. Sa première période d’observation s’est déroulée entre 2007 et 2011 et il est depuis dans une phase de mise à jour de sa sensibilité qui devrait s’achever en 2016.
Les efforts de la communauté scientifique ont été récompensés le 14 septembre 2015 lorsque les interféromètres de LIGO ont tous deux détecté indépendamment les distorsions de l’espace-temps provoquées par le bref passage d’ondes gravitationnelles. Ces ondes n’ont pu être détectées qu’avec la complicité d’un événement considérable qui s’est produit il y a plus d’un milliard d’années : deux trous noirs voisins ont fusionné à une vitesse égale aux deux tiers de la vitesse de la lumière ; ce phénomène hyperviolent a libéré une énergie inimaginable en seulement 20 millisecondes, et engendré un train d’ondes gravitationnelles qui ont progressivement perdu en puissance au cours de leur passage au travers de la Terre. Sans les outils aussi précis, il aurait fallu attendre qu’un événement se produise beaucoup plus près de la Terre, au risque de perdre quelques milliers d’années…
La détection fut détaillée dans la revue Physical Review Letters du 11 février par l’équipe de l’instrument LIGO. « Cette détection est le début d’une nouvelle ère, celle de l’astronomie des ondes gravitationnelles devenue désormais une réalité », affirme Gabriela Gonzalez, porte-parole de l’équipe LIGO, professeur d’astrophysique à la Louisiana State University.
Désormais les chercheurs travaillent sur un projet encore plus ambitieux. En effet, un détecteur à la surface de la Terre sera toujours très limité, contrairement à celui placé dans l’espace. Ainsi, un projet spatial de l’ESA appelé eLISA (Evolved Laser Interferometer Space Antenna) est à l’étude. Il s’agirait d’un ensemble de satellites travaillant de façon coordonnée. Au lieu de quelques kilomètres, la taille équivalente du détecteur serait alors de plusieurs millions de kilomètres. Un tel système rendrait possible l’étude d’une plus grande variété de phénomènes ainsi que la détection d’événements beaucoup plus lointains. Le lancement est prévu à l’horizon 2028.
Les nouvelles perspectives offertes par cette découverte témoignent de sa portée scientifique. Les ondes gravitationnelles sont autant de signaux porteurs de caractéristiques de la source qui les a engendrées. Elles permettent ainsi de « voir » des phénomènes astrophysiques jusqu’ici totalement invisibles car n’émettant pas de rayonnement électromagnétique, comme l’effondrement gravitationnel des étoiles massives, la fusion de deux étoiles à neutrons dans un système binaire, ou le processus en jeu au centre des galaxies.
« Cela ouvre une grande période nouvelle et excitante. L’Univers est mû par la gravité, mais on ne l’observe qu’avec la lumière. Nous verrons enfin des choses jamais vues parce qu’elles n’émettent pas de lumière, estime Pierre Binétruy, professeur à l’université Paris-VII. Nous changeons d’époque. »
L’annonce du 11 février vient donc à point nommé pour célébrer le centenaire d’une extraordinaire construction intellectuelle née un jour dans le cerveau d’un génie. Pour l’instant, il est encore difficile de mesurer son impact pratique et il est beaucoup trop tôt pour que toute spéculation sur d’éventuels engins anti-gravité sorte du cadre de la science-fiction. Mais cela peut changer très vite, comme c’était le cas du laser, également prédit par Einstein. Lorsqu’il a été créé en 1960, très peu de gens misaient sur une quelconque application pratique. Aujourd’hui, le laser est partout.
Par Ida Junker-Ceretti, le
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