Dans leurs récits, leurs discours et leurs personnages, les comics font écho à l’actualité avec une dimension politique présente depuis leur âge d’or. Qu’ils le crient haut et fort ou qu’ils se contentent de le sous-entendre, les super-héros ont un avis politique et deviennent de temps en temps des porte-paroles pour des lecteurs, auteurs ou mouvements d’idées. Ces prises de position ne sont pas nouvelles et ont évolué avec le temps et l’opinion publique.
LES COMICS : UN OUTIL POUR LE GOUVERNEMENT
Le comic book est sans aucun doute l’un des meilleurs outils pour communiquer avec la jeunesse : généralement situé dans une époque contemporaine au moment de sa lecture, son histoire est basée sur des faits d’actualité. Une crise économique, l’exclusion d’une partie de la population, des changements politiques ou encore une guerre : tout peut être sujet à l’écriture d’un récit pour nos super-héros préférés.
L’âge d’or des comics illustre parfaitement ce phénomène : la fin des années 30 a vu la naissance de super-héros patriotes qui ont rencontré un grand succès auprès du jeune lectorat américain et des soldats envoyés au front. Cette propagande, en temps de guerre, avait pour but de remonter le moral des troupes, révélant des héros surpuissants, triomphant et ridiculisant l’ennemi nazi tout en encensant le peuple, l’armée et le gouvernement américain.
Durant plusieurs années, les BD américaines ont permis aux politiciens de toucher directement les plus jeunes, les futurs citoyens. Dans le Superman #170 « Superman’s Mission for President Kennedy » de 1964, John Fitzgerald Kennedy vantait son programme de fitness destiné aux adolescents américains, demandant l’aide du kryptonien dans la mise en place du plan sportif. En les glissant dans leurs récits, les auteurs prenaient soin de faire de leurs héros des partisans soutenant les actions de leurs invités politiques.
LES COMICS ONT PERMIS DE RIDICULISER L’ENNEMI NAZI
Un an avant la parution de ce volume, Kennedy occupait déjà les pages des aventures de Clark Kent. Il aidait ce dernier à conserver son identité secrète, remportant la confiance de Superman qui déclarait dans l’Action Comics #309 : « If I can’t trust the president of the United States, who can I trust ? » (Si je ne peux pas faire confiance au président des États-Unis, à qui puis-je faire confiance ?). Rares étaient alors les héros des comics à s’opposer à leurs dirigeants mais l’histoire des États-Unis et l’opinion publique changeront bientôt la donne.
DÉSILLUSION DES ANNÉES 70 : LES SUPER-HÉROS SE RÉVOLTENT
Dans les années 70, le président américain ne semble plus être dans les petits papiers des super-héros : ces mêmes années, les États-Unis connaîtront le scandale du Watergate ainsi que la fatigue, la honte et la désillusion liées à la guerre du Vietnam. Les manifestations sont nombreuses et les citoyens américains se détournent de ce conflit qui n’en finit pas. Loin de se contenter de suivre seulement l’actualité, les comic books s’inspirent aussi grandement de l’opinion publique qu’ils romancent et c’est ainsi qu’en 1974 et dans sa parution #180, Captain America découvre que Richard Nixon (remplacé par un double maléfique) est en réalité le dirigeant d’un empire secret diabolique.
LES COMICS S’INSPIRENT DE L’OPINION PUBLIQUE
Trahi, dégoûté et profondément bouleversé, Captain décide de se retirer de la scène : il renonce alors à sa citoyenneté américaine, change de nom pour « Nomad » et commence une vie de bandit. Sa transformation ne durera pas longtemps et 4 numéros plus tard, Steve Rogers sera de retour. Durant son périple, il a compris qu’il pouvait aimer et supporter son pays sans pour autant suivre aveuglément son gouvernement. Petit à petit, les super-héros s’intéressent plus spécialement aux questions de société, quand Spider-Man se penche sur le problème de la drogue, Captain s’intéresse au Watergate. La conscience politique des auteurs résonne alors dans les cases de leurs créations.
QUAND LE COMICS DEVIENT UNE TRIBUNE POLITIQUE
Les années suivantes permettront aux super-héros de s’éloigner de la caricature du sauveur américain : « l’american way of life » est toujours présente mais utilisée avec des pincettes et les héros ne suivent plus leurs supérieurs les yeux fermés. Ils questionnent, jugent et réfléchissent de plus en plus aux ordres donnés. De nombreux auteurs devenus célèbres sortent de l’ombre durant cette période : Frank Miller (qui donnera un nouveau souffle à Daredevil), John Byrne (X-Men) chez Marvel et bien évidemment l’inclassable Alan Moore chez DC Comics. En matière de critique politique, Moore est un incontournable tant ses œuvres crues questionnent, critiquent et se jouent des lecteurs.
En 1982, Alan Moore débute son travail sur la bande dessinée V pour Vendetta. Engagé chez DC Comics, il est publié chez Vertigo, la branche « adulte » de la maison d’édition. Son œuvre rencontrera rapidement son public et connaîtra vite le succès et les récompenses. Quelques années plus tard, c’est au tour de Watchmen de voir le jour : cette œuvre magistrale repousse les limites habituelles des comics.
Les justiciers deviennent fous, violents, incontrôlables et pensent par eux-mêmes, indépendamment de leurs co-équipiers. Face à l’ennemi désigné, certains se questionnent sur la nécessité d’agir : dépasser les limites en obéissant aux ordres ne fait-il pas d’eux des fascistes ? Après tout, leur supériorité, liée à leurs capacités extraordinaires, les élève au rang de dieux et empêche qui que ce soit de les contrer. Longtemps, Moore séduira une cible à part en questionnant le moindre aspect de ses héros, jouant sur le vice et la morale.
LES HÉROS S’OFFUSQUENT TOUJOURS AUJOURD’HUI
SI LES HÉROS S’OFFUSQUENT, C’EST PARCE QUE LEURS AUTEURS S’INDIGNENT
Si tous ne bousculent pas autant que les personnages d’Alan Moore, les super-héros restent aujourd’hui encore assez critiques vis-à-vis des pouvoirs politiques. Ces dernières années, alors que Spider-Man posait en couverture avec Barack Obama et que Justin Trudeau s’affichait aux côtés d’Iron Man, le président Donald Trump devenait l’hideux vilain du comics Spider-Gwen annual #1. C’est dans le costume de MODAAK que le scénariste Jason Latour et les dessinateurs Chris Campbell et Chris Visions ont actualisé le méchant au physique ingrat. Petites mains, grosse tête et discours racistes auront conduit Samantha Wilson (Captain America) à affronter le personnage à la frontière mexicaine.
Un récit semblable à une caricature qui retranscrit les opinions et les valeurs de la maison d’édition Marvel. Dans le même temps et à l’approche des élections présidentielles, les acteurs incarnant à l’écran les héros de la Maison des Idées se lançaient dans une campagne anti-Trump : un pied de nez des artistes de la société aussi bien destiné à celui qui a été le 45e président des États-Unis qu’au président de Marvel. Ce dernier avait fait don d’1 million de dollars pour soutenir la campagne de Donald Trump en janvier 2016 et ses prises de position ont souvent conduit ses employés à s’opposer publiquement à leur directeur. En bref, si les héros s’offusquent encore, c’est évidemment parce que leurs auteurs s’indignent.
SUPER-HÉROS POLITIQUES MALGRÉ L’ADVERSITÉ
Des prises de position, c’est aussi le signe que tout va bien. Historiquement, de nombreux super-héros se sont rangés du côté d’un mouvement ou d’un autre, devenant aux yeux du public de véritables symboles. Wonder Woman est une icône du féminisme inventée
à la veille de la Seconde Guerre mondiale : elle pilote un avion, sait se battre (ce qu’elle fait au côté de la Justice League), lutte pour son pays, la paix et les droits des femmes.
Il n’y pas de hasard dans son ralliement à la cause féministe : elle fut créée dans une époque où les femmes essayaient de se faire entendre, à la veille d’un conflit armé pour lequel le pays aurait besoin de toute la main-d’œuvre disponible pour vaincre. Nombreux sont les auteurs à avoir lié leurs personnages à des causes qui leur tenaient à cœur et ces héros progressistes ont aussi dû faire face à de violentes critiques et censures.
Disparue en 2011 après avoir perdu toute influence, la Comics Code Authority, chargée de réguler le contenu des comics publiés, s’assurait que les figures d’autorité qui y étaient représentées ne soient jamais ridiculisées. Ainsi, il était très difficile pour les auteurs et illustrateurs de partager leurs opinions dans leurs créations, au risque d’être censurés.
Définie comme un organisme d’auto-régulation, l’association encourageait les artistes à se « corriger » seuls, entamant largement leur liberté d’expression. Ce n’était pas la première fois que l’industrie du comic book prenait un coup : dans les années 30, un mouvement de parents effrayés décida de brûler les BD de leurs enfants afin de les protéger.
Cette idée, ce mouvement la tenait en partie des travaux du Dr Fredric Wertham, un psychiatre américain persuadé du fait que Batman et Robin promouvaient l’homosexualité, Superman éduquait au fascisme et Wonder Woman au sadomasochisme. L’industrie du comic book a connu des hauts et des bas et aujourd’hui, alors qu’elle connait un succès incroyable et développe ses héros sur petit et grand écran, on attend de ses héros qu’ils nous dévoilent à nouveau leurs opinions.
POUR QUI VOTENT LES SUPER-HÉROS ?
LES COMBATS DES SUPER-HÉROS SONT CEUX D’UNE AMÉRIQUE MODERNE, AUX CITOYENS LIBRES ET ÉGAUX
Bien évidemment, les créations américaines font écho à l’actualité de leur pays : en 2010, dans Captain America #602, le capitaine et Faucon se retrouvaient mêlés à une manifestation anti-taxe du Tea-Party. Après cet évènement, Faucon se moque et décrit les manifestants comme « un tas de gens blancs en colère », ce qui aura valu à Marvel de s’attirer les foudres du parti. Joe Quesada, l’éditeur en chef de la Maison des Idées, s’est excusé après coup en insistant sur le fait que sa société ne faisait pas de « déclaration politique intentionnelle ».
Évidemment, le grand jeu des lecteurs est de savoir de quel côté politique se placent leurs héros : Superman est-il démocrate ? Batman est-il républicain ? Sur ce sujet, Quesada arrondit régulièrement les angles : « Nous avons des personnages qui comportent certains attributs, comme les croyances politiques et les affiliations religieuses, mais nous essayons de les traiter aussi soigneusement que possible, et lorsque nous présentons un côté d’une pièce, j’encourage mes rédacteurs et créateurs à montrer équitablement l’autre côté. » Vous ne saurez donc certainement jamais pour qui ils votent mais leurs idées, leurs convictions et leurs combats sont généralement ceux d’une Amérique moderne aux citoyens égaux et libres.
La politique est indéniablement liée aux comics et à leurs personnages. Parce qu’ils reflètent les convictions de leurs auteurs, les récits dénoncent plus ou moins violemment les travers de la société américaine sans vraiment pointer du doigt d’éventuels responsables. C’est souvent au lecteur d’analyser lui-même l’œuvre qu’il découvre pour en comprendre la teneur politique. Les valeurs relayées, elles, sont toujours suffisamment évidentes pour qu’aucun doute ne plane : discriminations, guerres et aliénation seront toujours les pires ennemis des super-héros.