Vous trouverez cela peut-être honteux de censurer des comics, mais c’était pourtant le but de cette organisation réactionnaire. Si de nos jours, les mal informés aiment blâmer les jeux vidéo pour les malheurs du monde, dans les années 50, c’étaient les comics qui étaient le bouc émissaire de la délinquance chez les jeunes. Ainsi apparaît la Comics Code Authority ! Retour sur cet épisode troublant de l’histoire des comics.

 

Alors qu’est-ce que c’est que la Comics Code Authority ? Son but est avant tout de réguler le genre d’histoires, d’images, de langage et de personnages utilisés dans les comics. Elle établit un code, un peu à l’image de celui de la Motion Picture Association of America (vous savez, les PG-13 pour les moins de 13 ans et les R rouges pour les moins de 17), mais bien moins perméable puisqu’elle vise à modifier le produit de base et non seulement à le classifier pour la distribution en salle ou en kiosque. Avec la CCA, les éditeurs de comics devaient jouer dans les règles s’ils voulaient obtenir le fameux sticker qui certifiait que le comics était autorisé par l’organisation.

 

 

Dans les années 50, la délinquance juvénile est vue comme un symptôme du manque de respect par rapport à l’autorité. Alors que les comics des années 40 étaient surtout connus pour leurs super-héros, ceux du début des années 50 se penchent davantage vers le crime et l’horreur. Beaucoup d’artistes s’y donnent à coeur joie et sont publiées des histoires assez violentes qui feraient pâlir même les films les plus gore que l’on peut voir actuellement. Derrière cela, il y avait pourtant bien souvent des histoires riches de sens et captivantes, à la limite du fantastique et conservant une aura lovecraftienne.

Quoi qu’il en soit, pour les parents et les communautés religieuses, les comics avec ce genre de thèmes étaient la source du mal. La fameuse « perversion de la jeunesse » qui ressort tous les 25 ans sous une forme différente, mais qui n’est au final qu’une chimère. Les scandales se multiplient et l’opinion publique fait de plus en plus savoir son mécontentement par rapport à ces histoires de crimes et de violence. En 1954, Fredric Wertham, un psychiatre américain, publie Seduction of the Innocent, qui tend à prévenir la population des effets néfastes des comics sur la jeunesse. Pour lui, « Hitler était un débutant en comparaison de l’industrie du comics ». Pourtant, c’est bien son camp qui pratiquera les autodafés de comics. Suite à cela, et reprenant beaucoup de thèmes abordés dans le livre, l’Association of Comics Magazine Publishers établit la Comics Code Authority.

 

 

Comme on vous le disait, le phénomène n’est pas nouveau puisque la CCA base son code sur celui de William Hays, qui existait depuis 1930 et concernait les films produits à Hollywood. Le code pour les comics vise trois grands sujets : la violence, l’horreur et le sexe. Tout ce qui s’y rapproche de près ou de loin devait être évité ou interdit. Il est cependant à noter que la CCA est formée avant tout par les éditeurs eux-mêmes qui fondent l’organisation pour empêcher que le gouvernement s’en charge lui-même de façon plus stricte. Les règles qui sont imposées ne sont cependant pas appréciées de la communauté des maisons d’édition, mais c’était, à l’époque, le choix le moins strict.

Alors dans les faits, qu’est-ce qui était interdit ? Prenons quelques exemples : « Aucun comics ne doit faire état des méthodes utilisées pour commettre un crime. […] Les policiers, juges et membres du gouvernement ne devront jamais être représentés de façon irrespectueuse. […] Quoi qu’il arrive, le bien devra toujours triompher du mal et le méchant devra être puni pour ses crimes. […] Le mot ‘crime’ ne devra jamais apparaitre seul sur la couverture. » Ça commence à faire pas mal et à ressembler aux règles d’un État totalitaire, n’est-ce pas ? Mais vous allez voir, c’est loin d’être fini.

 

 

Non contente de toutes ces règles sur les institutions, la CCA en rajoute plusieurs couches sur les titres et les thèmes abordés : « Aucun comics ne pourra utiliser le mot ‘horreur’ ou ‘terreur’ dans son titre. […] Toutes scènes d’horreur, de bain de sang, de gore, de luxure, de sadisme ou masochisme ne seront pas autorisées. […] L’obscénité, les insultes à la religion, la vulgarité, les mots ou symboles avec un sens indésirable seront interdits. […] La nudité est interdite. […] Tous les personnages devront être habillés de façon raisonnable à la société. […] Les femmes ne doivent pas être dessinées avec une exagération de certaines qualités physiques. »

Comme vous pouvez le voir, il y a des pépites dans le lot ! Et on n’a même pas abordé la section sur le mariage et le sexe ni celle sur les codes sur les produits que les éditeurs ont le droit de mettre en avant. À partir de ce moment-là, les dessinateurs ont dû enlever tous les décolletés de leurs personnages, rallonger les jupes et enlever toutes suggestions sexuelles dans leurs histoires. De quoi rendre les histoires vraiment captivantes… Du coup, l’industrie doit s’adapter. Alors que certains ne cherchent pas à aller à contre-courant et s’enrichissent, d’autres doivent carrément annuler des séries entières et inventer de nouvelles licences qui pourront être approuvées.

 

 

EC Comics alors en plein succès, a dû arrêter ses grandes séries Crime Suspenstories, The Vault of Horror et Tales from the Crypt. Malheureusement pour les créateurs, la plupart des revendeurs doivent se plier aux règles du Code et ne vendent pas les comics qui ne le respectent pas. Pour eux, c’est la faillite assurée. Dès le début des années 60, un mouvement underground se met à écrire de plus en plus de comics allant à l’encontre des préceptes de la CCA. Les temps changent et les esprits se calment légèrement, ce qui pousse la CCA à faire une mise à jour du code en 1971.

Il s’agit de rendre un peu plus de liberté aux créateurs en les autorisant à dessiner des membres de la fonction publique corrompus s’ils étaient explicitement punis par la suite. On autorise également les méchants à pouvoir tuer des membres des forces de l’ordre et les créatures comme les vampires et les goules font un retour s’ils sont traités dans la tradition des grandes oeuvres comme Dracula et Frankenstein. Quelque temps après, l’équivalent du ministère de la santé et de l’éducation américain demande à Stan Lee de Marvel d’écrire une histoire sur l’addiction aux drogues pour sensibiliser les jeunes.

 

 

Stan Lee accepte, mais doit par conséquent enfreindre certaines règles du code qui interdisent de montrer quoi que ce soit en rapport avec les drogues. Stan Lee décide qu’avec l’appui du gouvernement, il avait le droit de faire ce qu’il voulait et écrit son histoire en l’intégrant aux aventures de Spider-Man dans les numéros 96-98 de The Amazing Spider-Man. Une fois fait, il a fait publier les numéros sans le sceau de la CCA et sans aucune autorisation. Les numéros font un tabac et poussent la CCA à rendre possible d’intégrer des éléments reliés aux drogues si c’est pour en faire une critique. Si les années 70 se sont occupées des drogues, les années 80 ont vu un retour de la violence.

En 1989, le code autorise maintenant à dépeindre des relations homosexuelles. Oui, il a fallu attendre 1989. Mais à ce moment-là, la crédibilité du sceau est déjà bien mise à mal et de plus en plus d’éditeurs ne prennent plus le temps de réfléchir à ce qui est ou non permis par la CCA. Beaucoup de comics de chez DC Comics étaient par exemple, à partir des années 90, tous soumis au jugement de la CCA, mais étaient publiés, quel que soit le résultat. Puis, en 2001, Marvel quitte entièrement le système et intègre son propre système spécifiant sur la couverture si le contenu est pour tous les âges ou s’il n’est approprié qu’à partir d’un certain âge.

 

 

Peu à peu, les éditeurs se retirent d’année en année jusqu’à ce qu’en 2011, DC Comics se retire également de la liste. Le jour suivant, Archie Comics qui avait été l’un des premiers à se soumettre à l’autorité de la CCA, décide de ne plus s’y soumettre. Sans aucun éditeur reconnaissant son autorité, l’organisation meurt d’elle-même. Les codifications établies par les éditeurs eux-mêmes, comme celle de Marvel, suffisent à faire savoir à ses lecteurs que le contenu n’est sans doute pas fait pour eux suivant leur âge, mais permet aux dessinateurs, écrivains et créateurs de comics de conserver une liberté optimale dans ce qui est l’une des formes d’expression les plus populaires au monde.

 

Un produit de son époque, la Comics Code Authority était avant tout une réaction de la part de la génération sortant de la guerre ne comprenant pas le sentiment de révolte de certains jeunes face à la société. Dans tous les cas, les lecteurs et les éditeurs sont bien heureux d’avoir vu disparaître le logo de cette organisation de censure de leurs couvertures ! Auriez-vous été d’accord avec la Comics Code Authority à l’époque de sa création ?

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