Sous un jardin bétonné et les ruines d’un moulin, deux mosaïques romaines refont surface en Turquie. Ces œuvres révèlent l’histoire oubliée d’une région-carrefour de l’Antiquité. Elles soulignent aussi les enjeux actuels de préservation du patrimoine face au trafic d’art.

Une opération contre le trafic d’antiquités met au jour une mosaïque spectaculaire à Derik
Au départ, ce n’était qu’une simple perquisition. Mais très vite, dans le district de Derik, au nord de Mardin, les gendarmes font une découverte archéologique majeure. En effet, sous une dalle fraîchement coulée, dans un jardin privé, ils trouvent une mosaïque de 60 m².

Cette œuvre, datée du Ve ou VIe siècle, montre des scènes animalières frappantes : un félin affronte un cervidé. Rien d’anodin. Ce motif incarne la lutte entre la vie et la mort, une idée forte de l’imaginaire romain tardif.
Par ailleurs, les couleurs vives et les détails raffinés rappellent les grands ateliers d’Antioche ou de Zeugma. Toutefois, le style laisse penser à une production locale. Ce mélange prouve que la région, souvent considérée comme périphérique, était bien intégrée aux réseaux artistiques de l’Empire romain d’Orient. Bref, un jardin banal cachait un trésor historique.
Une fouille préventive révèle une deuxième œuvre dans un ancien moulin de Midyat
Quelques kilomètres plus loin, dans le hameau de Sivrice, c’est un autre hasard qui mène à une découverte. Cette fois, les ouvriers nettoient les ruines d’un vieux moulin. Le site est en cours de rénovation pour un projet touristique. Et là, surprise : un pavement de mosaïque apparaît sous les gravats.
Ici, pas d’animaux. Mais plutôt des formes géométriques et des symboles : carrés, triangles, vagues, croix, motifs d’infini. Au centre, une inscription en grec : « Tittos Domestikos ».
Ce nom intrigue. Peut-être s’agit-il d’un haut fonctionnaire byzantin. Peut-être le bâtiment était-il sa maison. Ou son bureau ? On ne sait pas encore. Toutefois, l’architecture suggère un lieu civil, administratif ou résidentiel. En tout cas, il n’était mentionné nulle part avant.

Ces deux mosaïques racontent une région carrefour entre influences romaines et byzantines
Ces deux découvertes ne sont pas seulement belles. En réalité, elles racontent une transition historique. Celle entre le monde romain classique et l’univers byzantin.
À Derik, la scène de combat animal symbolise la force et le destin. Le style est vif, asymétrique. Il s’inspire clairement de l’art méditerranéen. En revanche, à Midyat, les motifs deviennent plus calmes. Plus répétitifs. L’influence chrétienne est évidente. L’ensemble est sobre, tourné vers la spiritualité.
Autrement dit, ces deux œuvres forment un pont entre deux époques. Entre deux esthétiques. Et surtout, elles montrent que cette région entre Anatolie, Syrie et Haute-Mésopotamie était un véritable carrefour culturel. Ainsi, la mosaïque devient un langage visuel commun, entre croyances, pouvoirs et identités.
En Turquie, protéger les trésors du passé est aussi une affaire de citoyens
Enfin, ces histoires montrent deux attitudes face au patrimoine. D’un côté, à Derik, la mosaïque aurait pu être vendue. Heureusement, la gendarmerie est intervenue à temps. De l’autre, à Midyat, ce sont les propriétaires qui ont eu le bon réflexe : ils ont prévenu les autorités.
Cette opposition illustre un défi majeur : comment protéger ces trésors, dans un pays riche mais vulnérable ? Bien sûr, la répression est essentielle. Mais la participation citoyenne l’est tout autant.
Préserver ces mosaïques, ce n’est pas juste sauver quelques pierres. C’est transmettre un patrimoine commun, à la croisée des civilisations romaine, byzantine et orientale. Et c’est aussi, quelque part, un acte de résistance culturelle.
Par Eric Rafidiarimanana, le