Dimanche 19 janvier 2020, 21h00. Un an après une enquête choquante menée par “Pièces à convictions” sur France 3, un nouveau reportage de Zone interdite, Mineurs en danger : enquête sur les scandaleuses défaillances de l’aide sociale à l’enfance est diffusé sur M6. Ce reportage dresse un constat ahurissant et nous montre un système à bout de souffle, mêlant incompétence et abus sur mineurs. Le secrétaire d’Etat à la protection de l’enfance Adrien Taquet a donc décidé de prendre les choses en main.
Le constat ahurissant d’un système défaillant
L’enquête qui nous est révélée dans ce reportage de Zone interdite a été menée par le journaliste Jean-Charles Doria qui, pendant huit mois, a enquêté dans plusieurs foyers d’enfants placés pour dénoncer les graves défaillances de ce système. En se faisant embaucher en tant qu’éducateurs, lui et d’autres journalistes se sont infiltrés dans des foyers de l’Aide sociale à l’enfance. Malgré leur manque de diplôme ou d’expérience dans ce type de métier, ils n’ont pas eu de problèmes à se faire embaucher, et ce, parfois sans entretien ni contrôle de leurs antécédents judiciaires.
Ce reportage édifiant dévoile un système défaillant, où se mêle violences et abus quotidiens sur enfants. La compétence des éducateurs n’est pas évaluée, ils ne sont pas formés, nombre de jeunes sont livrés à eux-mêmes, des préadolescentes fuguent, vendent de la drogue ou se prostituent devant leur foyer, beaucoup de ces enfants ne sont pas scolarisés, ou bien très peu… Bien des jeunes ont également des troubles psychiatriques du fait des violences subies, et on note un véritable désarroi chez les institutions face à leur souffrance, d’autant plus que les infirmières ne sont pas toujours présentes pour contrôler la prise de médicaments, pourtant parfois très puissants pour des enfants.
Les mesures d’Adrien Taquet
À la suite du visionnage de ce reportage insoutenable, Adrien Taquet, secrétaire d’État à la protection de l’enfance, a décidé de prendre des mesures fortes. Il a donc demandé aux préfets de lui transmettre sous trois mois un « état des lieux » sur le contrôle des foyers d’accueil de leurs départements respectifs. Le secrétaire d’État a exprimé son émotion face à ce reportage et a réaffirmé sa “détermination à agir face à ces dysfonctionnements majeurs”. « Ces images montrent des enfants et des adolescents pris en charge dans des conditions indignes, victimes de violences de la part d’adultes qui devraient prendre soin d’eux et les protéger », déplore-t-il dans un communiqué diffusé sur Twitter.
Il ajoute qu’il veut également s’assurer “que chaque département dispose bien d’un plan annuel de contrôle des foyers. En cas de défaillance, l’État élaborera ses propres contrôles, complémentaires. Ils seront menés par les préfets et l’Inspection générale des affaires sociales. Il s’agit notamment d’établir, au niveau national, des taux d’encadrement dans les lieux d’accueil, normes qui viendront compléter la Stratégie nationale de protection de l’enfance », puisqu’« aucune règle précise n’existe aujourd’hui en la matière ». « Ce sera chose faite au deuxième semestre 2020 », assure-t-il.
Soulignons que le secrétaire d’État avait présenté, lundi 14 octobre dernier, les axes de sa « stratégie nationale de prévention et de protection de l’enfance ». Après un travail de concertation mené avec les professionnels du secteur, les départements et les collectifs d’anciens enfants placés, il avait élaboré des mesures pour améliorer la prise en charge médicale des enfants placés dès 2020, mais celles-ci avaient été jugées « insuffisantes » par les acteurs du secteur, notamment concernant la formation des professionnels au contact des enfants et le contrôle des structures. ”20 millions d’euros seront consacrés dès 2020 à développer les prises en charge médico-sociales des enfants de l’ASE souffrant de handicap ou de troubles de santé mentale. Nous avons également systématisé, avec Agnès Buzyn, le bilan de santé des enfants placés et 20 postes de chefs de clinique ont été créés en pédopsychiatrie depuis deux ans.” La stratégie d’Adrien Taquet tient en quatre axes prioritaires :
- La détection des signes de maltraitance
- L’accompagnement vers les dispositifs de droit commun des jeunes sortant de l’ASE
- La sécurisation de leur parcours
- La prise en compte de leur parole.
LA RESPONSABILITÉ DES POUVOIRS PUBLICS ENGAGÉE
La responsabilité des pouvoirs publics est engagée. Le producteur Jean-Marie Tricaud, de Tony Comiti Productions, a proposé à la députée LREM Perrine Goulet, ancienne enfant placée, d’organiser une projection de presse du reportage au sein de l’Assemblée. La défense des enfants placés est en effet son combat. Jean-Marie Tricaud déclare avoir tenu à « présenter ce numéro spécial là où tout se décide, pour faire bouger les lignes et que les députés s’emparent davantage de ce sujet qui nous concerne tous ».
Ce reportage a apparemment profondément ému la plupart des députés présents dans la salle, comme le président UMP du Bas-Rhin Frédéric Bierry qui, pourtant, “bénéficie” d’une image positive grâce au foyer Oberlin. Il déclare qu’après avoir vu ces images, il compte mettre en place des contrôles inopinés.
Un an plus tôt, le magazine Pièce à convictions sur France 3 avait évoqué le même sujet, avec des images déjà bouleversantes. Cette diffusion avait donné lieu au retour d’un secrétaire d’État chargé de la protection à l’enfance, qui vit d’ailleurs la nomination d’Adrien Taquet à sa tête, puis à la création d’une mission d’information sur l’Aide sociale à l’enfance, supervisée par Perrine Goulet. « En juillet, on a rendu un rapport, transformé en proposition de loi dont on discute actuellement avec le ministre, précise-t-elle. Ce nouveau documentaire va appuyer notre action et sensibiliser le public. Qu’Emmanuel Macron le regarde, et qu’il nous aide un peu », a-t-elle déclaré au Parisien.
DES CHIFFRES OFFICIELS ET DES STATISTIQUES PARLANTES
En 2018, 8 milliards d’euros ont été consacrés au secteur de la protection de l’enfance. Sur l’ensemble du territoire, environ 350 000 mineurs seraient pris en charge, dont la moitié environ seraient placés en établissements ou en familles d’accueil. Le problème est que dans bon nombre de départements, les dispositifs d’accueil sont saturés, et les décisions de placement sont très longues à être mises en oeuvre.
Selon les derniers chiffres officiels, fin 2018, 53 % des 355 000 mesures d’Aide sociale à l’enfance (ASE) sont des placements de mineurs ou des accueils de jeunes majeurs en dehors du milieu de vie auquel ils sont habitués. A travers la France, le taux d’encadrement varie entre un éducateur pour cinq enfants et un éducateur pour douze enfants. Les foyers et les lieux de vie sont pour la plupart gérés par des associations privées – financées par les conseils généraux depuis la loi du 6 janvier 1986.
40 % des SDF âgés de moins de 24 ans sont issus de l’ASE, tout comme 98 % des jeunes détenus de la maison d’arrêt de Toulon. Les deux tiers des enfants placés sortent sans diplôme, 20 % sont atteints d’un handicap physique ou mental, et les filles de l’ASE ont 13 fois plus de chances de tomber enceinte à 17 ans. Un sans-abri sur quatre est un ancien enfant placé.
Bien que de nombreuses personnes travaillant à l’ASE fassent très bien leur travail et soient présentes pour les enfants, le grand nombre de dérives que l’on trouve au sein de ce système est à déplorer et prouve que ce système a besoin d’évolution et d’améliorations.
Par Jeanne Gosselin, le
Source: Le Monde
Étiquettes: Reportage, maltraitance, abus, zone interdite, dysfonctionnements, enfants
Catégories: Actualités, Société