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Nous sommes nombreuses à avoir reçu une éducation disant que pour être une bonne épouse, ou plus encore, trouver un mari convenable, il faut savoir cuisiner et même être un cordon bleu. Tout en s’occupant de soi-même, bien entendu et être « féminine » dans tous nos faits et gestes. Bien qu’aujourd’hui, au vingt-et-unième siècle, l’égalité des sexes, l’évolution des mentalités et de la vie en général ont peu à peu brisé ces « pré-requis » que devait avoir la femme, on sent encore que quelques « préceptes » et idées reçues ont la peau dure.

Auparavant, les repas et aliments n’étaient pas sexués

Paul Freedman, un professeur d’histoire à l’université de Yale, contributeur auprès du site Curiosity et auteur de American Cuisine : And How It Got This Way, s’est intéressé à ce phénomène. Plus précisément, il s’est demandé pourquoi certains aliments étaient catalogués comme féminins tandis que d’autres sont masculins. Si c’était toujours ainsi et comment on en est arrivé là.

Faisons un petit saut en arrière. Comme le raconte Freedman, avant la guerre civile, toute la famille avait le même régime alimentaire. Il n’y avait pas de menus ou livres de cuisine qui spécifiaient quels repas les femmes devaient préparer pour satisfaire le palais de leur mari.

Toutefois, il existait bien des « restaurants pour femmes » qui, comme on peut l’imaginer, étaient des espaces réservés aux dames pour dîner entre elles. Mais ces établissements préparaient les mêmes plats que ceux servis dans les restaurants pour hommes, on y trouvait ainsi des plats riches et consistants comme des abats ou encore de la viande rôtie.

L’entrée des femmes dans le milieu professionnel a révolutionné certaines habitudes alimentaires

Néanmoins, à partir des années 1870, les normes sociales ont évolué, notamment avec l’entrée des femmes dans le milieu professionnel. Cela donnait aux femmes plus d’occasions de dîner sans leurs hommes et d’être en compagnie de leurs collègues de travail et de leurs amies.

Or, comme de plus en plus de femmes passaient du temps à l’extérieur de la maison, des chaînes de restaurants comme Schrafft’s, spécialement axés sur les femmes, sont apparues. Ces lieux étaient des espaces calmes dédiés aux femmes, où elles étaient à l’abri des tumultes des ouvriers dans les cafés ou les bars à déjeuner gratuit, autrement dit, les clients pouvaient avoir un déjeuner gratuit à condition qu’ils achètent au moins une bière. D’ailleurs, ces restaurants « spécial femmes » ne servaient pas d’alcool.

C’est d’ailleurs à partir de cette période que l’idée que certains aliments soient plus appropriés pour les femmes a émergé. C’est ainsi que les magazines et les rubriques conseils des journaux ont classifié des plats comme le poisson, la viande blanche et les sauces légères comme des « plats féminins ». L’idée que les desserts et autres sucreries étaient aussi des incontournables pour les femmes avait aussi commencé à circuler.

Les anciens menus de Schrafft’s, par exemple, comportaient une liste de plats principalement légers, avec des desserts travaillés avec de la crème glacée, du gâteau ou encore de la crème fouettée. De nombreux menus présentaient même plus de desserts que d’entrées.

A partir du 20e siècle, la nourriture pour femmes était décrite comme délicate

En effet, c’est dans le début du 20e siècle que les repas pour femmes étaient catalogués comme fantaisistes mais pas rassasiants. Les magazines féminins accordaient d’ailleurs beaucoup de place aux publicités pour les aliments féminins « typiques » comme les salades, les salades de fruits décorées de guimauves, de noix de coco râpée et de cerises au marasquin.

Mais cette tendance n’était pas sans déplaire aux défenseurs autoproclamés des hommes qui se plaignaient que les femmes ramenaient leurs types de plats jusque dans les repas qu’elles servaient à leur mari. En 1934, par exemple, Leone B. Moates, un écrivain, avait réprimandé les femmes dans un article du House and Garden. « Conservez ces « délices » pour les déjeuners des dames et servez à vos maris la nourriture copieuse dont ils ont besoin », a-t-il écrit.

Renversement de la tendance

Suite aux complaintes des hommes, les livres de cuisine du 20e siècle ont changé de tendance. Désormais, ils se focalisaient à dire aux femmes qu’elles devaient prioriser les aliments préférés de la gent masculine aux détriments de leurs aliments préférés. A défaut de quoi, leurs hommes s’égareraient.

Les publicités exploitaient également cette faille et cette peur, même en 1872 avec le livre de cuisine intitulé How to Keep a Husband, or Culinary Tactics ou encore The Settlement Cook Book, publié pour la première fois en 1903 avec le sous-titre « The Way to a Man’s Heart ».

Ces livres ont par la suite été rejoints par des livres de recettes intitulés A Thousand Ways to Please a Husband en 1917 et Feed the Brute en 1925.

Les hommes voulaient de bonnes cuisinières mais pas que !

Malheureusement, si les femmes devaient désormais se concentrer sur le plaisir gustatif de leur mari et se dévouer à la cuisine, le fondateur de Schrafft’s, Franck Shattuck, a observé dans les années 1920 que les jeunes hommes n’envisageaient le mariage qu’avec des femmes non seulement bonnes cuisinières mais aussi attrayantes et amusantes. Une mission quasi impossible pour les épouses qui devaient maintenant supporter deux pressions : préparer un bon repas tout en n’ayant pas l’air d’avoir travaillé trop dur pour l’avoir préparé.

Toutefois, en 1950, une brochure pour une entreprise d’appareils de cuisson avait lancé la publicité d’une femme vêtue d’une robe décolletée avec un mari heureux et reconnaissant pour le plat qu’elle avait préparé au micro-ondes. Le message était que grâce à l’appareil moderne, la femme avait pu rassasier son mari sans transpirer.

Où en sommes-nous aujourd’hui ?

Dès les années 1970, la restauration a été révolutionnée. Les familles sortaient plus souvent au restaurant étant donné que plus de femmes travaillaient et n’avaient plus le temps de préparer des repas élaborés. D’autant plus que les hommes de l’époque ne souhaitaient pas partager cette tâche.

Néanmoins, le mouvement des femmes a bouleversé les statu quo de l’époque sur les déjeuners « spécial femmes » ou encore l’image de la femme au foyer heureuse avec ses poêles et ses casseroles. Malgré tout, les historiens Laura Shapiro et Harvey Levenstein ont noté que certaines représentations des goûts masculins et féminins sont restées gravées dans notre conception de l’alimentation même aujourd’hui.

Un article du New York Times paru en 2007 a même remarqué la tendance des jeunes femmes à commander des steaks aux premiers rendez-vous pour montrer l’égalité des sexes, rejeter les stéréotypes alimentaires et pour rassurer leur potentiel petit ami qu’elles ne sont pas obsédées par leur ligne et que si la relation se consolidait, que leur compagnon n’ait pas à craindre qu’elle change son style alimentaire.

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