Tandis que la célèbre firme au logo bleu est régulièrement épinglée par la justice pour ses manquements liés aux données personnelles des utilisateurs, il y d’autres controverses, plus insidieuses et internes à l’entreprise qui méritent cependant d’être mises en lumière. C’est notamment le cas des conditions de travail des modérateurs de Facebook, qui sont exposés chaque jour à des contenus d’une violence parfois extrême, seraient nombreux à présenter des symptômes dignes d’un choc post-traumatique.

 

Pourquoi les conditions de travail des modérateurs ont-elles été dénoncées de façon drastique ?

Publié sur The Verge, l’article y décrit de façon crue les étapes de recrutement d’un modérateur de Facebook, mais également les journées types vécues par les employés, et surtout, les conséquences sur le long terme sur la santé mentale de ces « héros de l’ombre ». On y découvre ainsi le parcours de Chloé, apprentie modératrice, qui lors de son stage d’apprentissage, est confrontée à une vidéo de meurtre ayant eu lieu dans la vie réelle. Une situation loin d’être inhabituelle, si on en croit le nombre affolant de publications que les modérateurs doivent examiner.

Celui-ci s’élève au nombre de 1 500 par semaine, et parmi le contenu à trier, on trouve une multitude de publications racistes, violentes, d’incitations à la haine, de théories conspirationnistes, de contenus liés à l’auto mutilation, de contenus pornographiques violents… Une liste non-exhaustive, mais qui démontre d’ores et déjà la brutalité à laquelle sont confrontés les 7 500 modérateurs employés par Facebook dans le monde.

En plus de ces violences graphiques, les modérateurs employés sont régulièrement pris à parti en sortant du travail. Comme l’explique l’un deux, il n’est en effet pas rare pour les modérateurs d’être menacés physiquement par des utilisateurs mécontents de Facebook, notamment sur le parking de l’entreprise. Souvent menaçants, ils seraient plusieurs, au rythme de cinq ou six fois par an, à venir réclamer justice de façon intimidante pour que le modérateur modifie sa décision. Une situation éprouvante pour les employés de Facebook, dont l’un deux confie désormais venir au bureau armé, craignant pour sa propre sécurité.

En plus des dommages psychologiques causés par cette exposition quotidienne à la violence, le travail réalisé par les modérateurs est éreintant physiquement. Arrivés au bureau à 7 heures du matin, les employés sont priés d’éteindre leur téléphone, et de plonger dans un flot discontinu de publications en tout genre (zoophilie, insultes racistes…), moyennant une pause de pause autorisée de 30 minutes le midi et de deux pauses quotidienne de 15 minutes soigneusement chronométrées.

Problème : les pauses sont communes, et l’unique urinoir ainsi que les deux toilettes closes de chaque étage du site de Phoenix par exemple ne peuvent accueillir l’intégralité des employés, contraignant les modérateurs à trouver des toilettes disponibles, leur faisant ainsi perdre de précieuses minutes dans cet univers où tout est réglé à la seconde près.  Ainsi, le modérateur est prié de rendre sa décision en 30 secondes seulement pour chaque publication, avec l’obligation de traiter de 400 contenus par jour. Un rythme effréné, qui pèse considérablement sur la santé psychologique des employés.

 

Quelles conséquences ont eu ces conditions de travail sur la santé mentale des employés ?

Les employés décrivent un environnement cauchemardesque, à la limite du chaos, où les modérateurs, psychologiquement épuisés, commettent un certain nombre d’actes désespérés tout en étant les témoins privilégiés des comportements parfois auto destructeurs de leurs collègues. Ainsi, des employés sont régulièrement interpellés ayant des relations sexuelles dans les cages d’escalier, et les nouveaux arrivants développent régulièrement des symptômes anxieux, voire traumatiques.

Naturellement, l’entreprise en prend plus en charge les employés s’ils venaient à démissionner ou à être renvoyés, leur laissant ainsi des cicatrices indélébiles dont ils mettront probablement toute une vie à guérir. Face à la vague de contenus conspirationnistes à laquelle sont confrontés les modérateurs, certains témoignent de la difficultés de résister à l’adhésion à certains contenus viraux et dangereux sur les réseaux sociaux. Un employé témoigne alors de sa remise en question de l’existence réelle de l’Holocauste, tandis qu’un autre fait part de ses doutes sur la véracité des attentats du 11 septembre, proclamant ayant tracé toutes les voies d’évacuation de son domicile et dormant avec une arme à feu dans sa table de chevet.

En complément des contenus sensibles à traiter tous les jours, les channels de discussion de l’entreprise sont un véritable défouloir pour les employés, qui s’en servent pour partager les contenus les plus extrêmes, exposant ainsi leurs collègues à des images toujours plus brutales. Les blagues sur l’automutilation y sont légion, et les employés racisés, quant à eux, deviennent rapidement la cible d’attaques violentes liées à leurs origines, les modérateurs cherchant par tous les moyens à extérioriser cette violence à laquelle ils sont quotidiennement confrontés. Pour exorciser leurs démons, les modérateurs employés par Facebook témoignent utiliser divers moyens, comme l’humour noir, le sexe, les drogues, l’alcool, aussi bien sur le campus que dans leur vie privée.

 

Quelle est la responsabilité de Facebook ? 

Avec le rythme imposé aux employés, ainsi que par manque d’accompagnement personnalisé dont ils bénéficient, la responsabilité de Facebook est totale, et plusieurs procès sont en cours par d’anciens modérateurs qui accusent la firme de négligence.

En effet, si en plus de leurs 30 minutes de pause quotidienne et de leurs deux pauses réglementaires de 15 minutes, les modérateurs disposent d’une « pause bien-être » de neuf minutes, qu’ils peuvent utiliser s’ils ressentent le besoin de décompresser de leurs conditions de travail, beaucoup d’employés profitent de ce temps pour se rendre dans des toilettes vides afin d’éviter la file interminable qui s’y trouve lors des pauses réglementaires. De plus, des employés de confession musulmane qui utilisaient ce temps pourtant autorisé pour prier ont été sommé de ne plus le faire.

Pour couronner le tout, le salaire des modérateurs employés par Facebook s’élève à environ 29 000 dollars par an, contre 240 000 dollars pour un employé lambda employé par Facebook. Si la différence pourrait s’expliquer par le fait qu’aucun des modérateurs n’est employé à temps, mais plus à mi-temps ou en horaires aménagés, la différence de salaire reste conséquente, et difficile à digérer pour les employés. Quant aux conditions de travail, l’interdiction de l’utilisation portable sur le lieu de travail, sous prétexte d’éviter les collectes de données par les modérateurs, est considérée par beaucoup comme étant « une perte d’humanité« .

Enfin, dans la majorité de ces témoignages ressortent une vive émotion, notamment au sujet des conseillers présents sur place et supposés apporter un soutien psychologique aux modérateurs, qui compteraient en réalité davantage sur les travailleurs pour donner l’alerte et reconnaître les signes d’anxiété et de dépression chez leurs collègues. Malgré les nombreuses instances en cours de jugement, Facebook a tenu à réagir, en justifiant ce problème par un souci de compréhension de sa politique interne. Reste à savoir ce qu’en pensera la justice…

 

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