La dépression est un trouble psychiatrique qui affecte la façon dont les individus appréhendent leur réalité et eux-mêmes. Ils ont souvent des convictions négatives et irréalistes qui leur causent de la détresse et qui ne répondent pas aux traitements classiques. Mais une étude montre que la kétamine, un médicament psychotrope, pourrait modifier ces convictions et soulager les symptômes dépressifs.
Les croyances, des estimations de probabilité produites par le cerveau
Les croyances sont des estimations de probabilité que notre cerveau produit pour prédire la structure du monde qui nous entoure. Elles sont basées sur le traitement de l’information sensorielle et peuvent constituer les éléments de base de nos états mentaux, comme les perceptions et les émotions.
Les troubles psychiatriques, comme la dépression et la schizophrénie, sont caractérisés par des croyances anormales dont les origines restent mal comprises. Mais si les systèmes cérébraux qui les régulent sont identifiés, il serait possible de les cibler pour soulager la souffrance associée à ces maladies.
La dépression touche environ 280 millions de personnes dans le monde et 700 000 personnes meurent par suicide chaque année, selon l’Organisation mondiale de la santé. L’un des symptômes les plus spécifiques de la dépression réside dans les croyances dépressives (par exemple, le pessimisme, l’autodépréciation, le rejet et les sentiments d’échec), décrites comme “congruentes à l’humeur” quand leur contenu correspond à l’état affectif du sujet.
Le biais affectif positif, une clé pour comprendre les origines des croyances dépressives
Depuis les recherches pionnières du psychiatre Aaron Beck, de nombreuses études ont suggéré que la façon dont l’information est encodée dans les réseaux de croyances selon leur nature (positive ou négative) pourrait être liée à l’émergence des croyances dépressives.
Ces recherches innovantes ont montré que le cerveau a tendance à encoder plus d’informations positives. Ce phénomène, appelé “biais affectif”, est responsable de la génération de croyances légèrement plus optimistes que la réalité.
Cependant, avec la dépression, ce biais disparaît ou s’inverse, avec des patients qui intègrent plus d’informations à valence négative qui génèrent progressivement des croyances plus sombres sur le monde, eux-mêmes ou l’avenir. Ce phénomène de biais affectif inversé pourrait bien être la clé pour comprendre les origines des croyances dépressives.
L’influence de la kétamine sur la mise à jour des croyances
L’un des objectifs de l’étude publiée dans la revue JAMA Psychiatry a exploré comment la kétamine affecte les mécanismes de mise à jour des croyances chez des patients souffrant de dépression résistante aux traitements. La kétamine est une substance connue pour ses effets hallucinogènes, qui entraînent des sensations de dissociation et d’extériorisation. Mais elle pourrait aussi avoir des vertus thérapeutiques.
En influençant la perception et l’action du patient, ces croyances jouent un rôle vital dans le déclenchement du phénomène d’auto-renforcement négatif. Par exemple, la croyance qui renforce le sentiment d’inutilité. Une fois cette boucle de rétroaction fermée, il peut être difficile de ne pas entrer dans une spirale descendante.
L’étude a été lancée suite à une observation clinique surprenante faite à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris. Lorsqu’ils recevaient de la kétamine comme antidépresseur, les patients atteints de dépression résistante aux traitements rapportaient ressentir une sensation étrange où leurs perspectives sur le monde semblaient avoir changé, presque comme si leur point de vue avait été altéré.
Les croyances négatives qu’ils avaient portées pendant plusieurs mois semblaient s’être estompées. Certains patients exprimaient même un sentiment d’étrangeté, comme si leurs pensées appartenaient à quelqu’un d’autre. Plus intrigant encore, ces changements semblaient résulter de l’effet antidépresseur du médicament.
Les implications cliniques et théoriques des résultats
Ce changement cognitif s’est accompagné d’une amélioration clinique des symptômes dépressifs après une semaine, ce qui suggère que la kétamine agit sur les systèmes cérébraux impliqués dans la génération des convictions. Ces résultats ouvrent des pistes pour développer de nouveaux traitements pour la dépression, en ciblant les processus cérébraux de conviction.
Cette étude apporte un nouvel éclairage sur les mécanismes neuronaux impliqués dans les troubles psychiatriques liés aux croyances irrégulières. Elle suggère que la kétamine pourrait être utilisée comme un outil thérapeutique pour réduire la souffrance associée à ces maladies, en agissant sur les récepteurs NMDA (N-méthyl-D-aspartate) du cerveau.
Cela pourrait aussi permettre de rapprocher les approches pharmacologiques et psychothérapeutiques en psychiatrie, en combinant la kétamine avec des protocoles spécifiques qui visent à modifier les convictions dépressives.
Ces résultats montrent également que nos convictions sont basées sur les prévisions que notre cerveau fait à partir des informations sensorielles qu’il reçoit. Comprendre comment ces mécanismes sont altérés dans certaines maladies psychiatriques pourrait nous aider à mieux les traiter.