Sous la surveillance du gouvernement américain qui voit son influence et sa popularité grandir parmi les plus jeunes, l’application chinoise de partage de vidéos TikTok est désormais traînée en justice aux États-Unis pour un recueil non consenti de données personnelles et leur transfert en Chine, servant un système de publicités ciblées.

L’ascension fulgurante de TikTok, surveillée par les autorités américaines

L’application de partage de vidéos de 15 secondes — source infinie de memes, de détournements et phénomènes viraux, particulièrement populaire chez les adolescents — a connu un développement remarquable. Lancée en 2016, l’application comptait en novembre dernier près de 1,5 milliard de téléchargements à travers le monde, selon les estimations de l’observateur SensorTower.

Sur le dernier semestre uniquement, les téléchargements ont été menés par l’Inde (466,8 millions), la Chine (173,2 millions) et les Etats-Unis (123,8 millions) — l’application n’est pas disponible en tant que telle en Chine, mais ByteDance, la maison mère de l’application, y lançait parallèlement en 2016 Douyin, un réseau social similaire de partage de vidéos ; au total, SensorTower avance le chiffre de 625 millions d’utilisateurs actifs mensuels combinés.

C’est la première fois qu’une application virale de partage issue de Chine rencontre un succès mondial — autrement dit, qu’un réseau social non américain montre un tel essor sur un plan global. En novembre dernier, après des mises en garde répétées sur les risques d’une influence trop large sur les adolescents américains, et parallèlement à la montée au créneau de voix accusant le réseau social de collecter les données des utilisateurs, le gouvernement américain a placé le réseau social sous surveillance, afin d’évaluer les risques portant sur la sécurité intérieure du pays et les libertés individuelles des citoyens.

Cela advient dans un contexte particulièrement tendu entre les Etats-Unis et la Chine, entre un bras de fer commercial qui dure et une tension diplomatique latente, ravivée notamment par la crise de Hong Kong. Selon le New York Times, le réseau social est par ailleurs accusé d’avoir systématiquement censuré toute vidéo présentant un contenu politique, ce qui a précipité la réaction officielle américaine.

― Funstock/Shutterstock.com

Un procès pour « une récolte secrète » de données personnelles, servant « de vastes revenus et profits provenant de publicités ciblées »

Misty Hong, une étudiante californienne, accuse désormais TikTok dans une plainte officielle d’avoir récolté des informations personnelles sans son consentement, et avance que ses données ont été transférées en Chine, notamment à des fins commerciales impliquant « de vastes revenus et profits provenant de publicités ciblées » — ces publicités étant générées par des systèmes d’intelligence artificielle de pointe.

Hong explique qu’elle a téléchargé l’application en mars-avril 2019 sans même avoir ouvert de compte, mais que ses données se sont retrouvées sur des serveurs chinois, y compris celles provenant de sites visités en dehors de l’application. Les données récoltées, selon elle, incluent également des esquisses de vidéos créées sur l’application mais jamais publiées. Les fins de ce recueil massif de données sont commerciales : la plainte explique que les vidéos incluent des plans rapprochés des visages des utilisateurs, permettant à l’application de récolter des données biométriques, parallèlement à celles concernant la personne, ses contacts, des adresses email et adresses IP, la localisation et d’autres informations.

S’appuyant sur de nombreux rapports de presse évoquant des violations de confidentialité et transferts de données non consentis de la part de l’application, Hong accuse donc ByteDance de violation de droits californiens et fédéraux. TikTok répondait il y a quelques jours à The New Scientist en démentant : « Protéger les données de nos utilisateurs est critique et nous prenons nos responsabilités incroyablement à cœur. »

La difficile mise au pas des applications de partage aux droits individuels

Selon le NYT, un représentant de ByteDance annonçait que l’entreprise avait engagé en novembre dernier une firme américaine de consultants spécialisés dans la gestion et les transferts de données personnelles. Selon Douglas Brush, à la tête de l’analyse, le rapport était sans appel : les données des utilisateurs, incluant leurs vidéos, noms, dates de naissance et autres informations, étaient uniquement conservées dans des serveurs de l’État de Virginie et Singapour. De plus, il en avait été conclu, à la suite d’entretiens avec des employés de TikTok ainsi qu’une étude approfondie du programme de l’application, que par aucun moyen des données n’avaient pu être envoyées en Chine entre juillet et octobre 2019, c’est-à-dire sur la période de l’étude.

Il est particulièrement difficile pour les gouvernements de garder l’ascendant sur des applications populaires alimentées par des milliards d’utilisateurs, surtout dans des contextes politiques ou diplomatiques précis : nous évoquions Hong Kong, mais récemment TikTok a dû s’expliquer sur la suppression de contenus portant sur l’internement de la communauté ouïghoure, ou Mark Zuckerberg a dû faire face au Congrès américain sur les politiques de Facebook ne s’opposant pas à la diffusion de fausses informations.

Parce que les politiques sur les données privées ne sont pas les mêmes pour tous les pays, certains craignent que l’application fasse passer les données par des pays tiers pour ne pas avoir à se conformer aux règlements locaux (la règlementation dans l’Union européenne est particulièrement stricte, par exemple) : Matthias Eberl, un journaliste allemand ayant analysé et suivi les données transitant par l’application, avance que celles-ci ont sans doute été transférées dans un pays tiers, permettant une certaine immunité dans leur traitement.

Vous pouvez retrouver la plainte complète ici.

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