
En 2017, sur un site paléontologique roumain du nom de Grăunceanu, une observation minutieuse a mené à une percée scientifique majeure. Alors qu’elle examinait un fossile sous une lumière rasante, l’anthropologue Sabrina Curran aperçoit des entailles en forme de V nettes et profondes. Elle reconnaît immédiatement ces marques, similaires à celles observées à Dmanissi, en Géorgie, datant d’environ 1,8 million d’années. Ces incisions seraient celles d’un hominine utilisant un outil de pierre pour dépecer un animal.
Le site de Grăunceanu
Cette trouvaille s’est révélée être la première preuve directe de la présence d’hominines (les ancêtres des humains) sur ce site roumain, il y a au moins 1,95 million d’années. Jusqu’alors, le site de Dmanissi détenait le record des plus anciennes traces confirmées d’hominines en Eurasie. La découverte à Grăunceanu repousse donc les limites géographiques et temporelles de leur expansion.
Situé à ciel ouvert, le site de Grăunceanu a fait l’objet de fouilles dès les années 1960. À l’époque, des milliers de fossiles d’animaux y furent découverts, souvent intacts, conservés dans ce que les chercheurs appelaient le « nid d’os », tant les restes étaient denses et bien agencés.
Il y a près de deux millions d’années, c’était un paysage fertile, avec une rivière qui serpentait à travers les forêts et les prairies, attirant une faune aujourd’hui inhabituelle en Europe, constituée d’autruches, de girafes, de chats à dents de sabre, de hyènes et même de pangolins. Malheureusement, les archives des premières fouilles ont été en grande partie perdues. Toutefois, l’excellent état de conservation des fossiles restants a permis aux chercheurs de relancer les investigations avec des outils technologiques modernes.
Une méthode rigoureuse pour authentifier les marques de coupe
Entre 2017 et les années suivantes, l’équipe composée de spécialistes comme Claire Terhune, Samantha Gogol et Chris Robinson a minutieusement analysé plus de 4 500 fossiles provenant du site. Chaque os a été scruté à la loupe, sous une lumière oblique, à la recherche d’éventuelles marques atypiques. Nombre de ces os portaient des stries superficielles causées par les racines de plantes, mais certaines lignes se démarquaient nettement. Lorsqu’une entaille suspecte était détectée, une empreinte en matériau dentaire était prise pour une analyse plus poussée.
Pour éliminer toute ambiguïté sur l’origine des marques, qu’elles aient pu être causées par des carnivores, des crocodiles, des sédiments ou le piétinement d’animaux, l’équipe a collaboré avec les experts en zooarchéologie Michael Pante et Trevor Keevil. Grâce à une technologie de pointe, notamment un microscope optique 3D sans contact, ils ont mesuré les entailles dans leurs moindres détails.
Ces données ont ensuite été comparées à une vaste base de données de référence de 898 marques connues, produites par divers processus naturels ou anthropogéniques. Le résultat montre que vingt fossiles portent des marques identifiées comme des coupures humaines, dont huit avec un très haut degré de certitude. Ces marques se trouvent principalement sur des os d’animaux à sabots, tels que des cerfs, mais aussi sur un os de carnivore. Les traces correspondent à des zones anatomiques où l’on retire généralement la viande, renforçant l’hypothèse d’une intervention humaine.
Une preuve solide de la présence des hominines
Pour estimer l’âge des fossiles de Grăunceanu, les chercheurs ont utilisé la technique de datation uranium-plomb (U-Pb), qui mesure le rapport entre l’uranium naturel et le plomb dans les fossiles. Bien que les dents, souvent utilisées pour ce type d’analyse, ne soient pas toujours idéales, plusieurs échantillons de Grăunceanu ont donné des résultats fiables. Ces analyses, menées par Jon Woodhead et John Hellstrom, ont permis d’établir que le site a au moins 1,95 million d’années.
Avec ces données, les chercheurs disposent de preuves convaincantes que des hominines étaient présents en Eurasie il y a près de 2 millions d’années, même si aucun fossile humain n’a encore été trouvé sur le site. Les traces de découpe sur les os, combinées à une datation rigoureuse, permettent de reconstituer un groupe d’hominines dépeçant un cerf près d’une rivière, entouré de mammouths, de chevaux et de prédateurs tels que des chats à dents de sabre.
Bien que les scientifiques ne puissent pas remonter dans le temps, leurs analyses minutieuses permettent de recréer des fragments de notre Préhistoire. Les marques laissées sur les os, aussi petites soient-elles, racontent l’histoire de nos ancêtres explorant de nouveaux territoires, utilisant des outils pour survivre et laissant derrière eux des indices sur leur mode de vie.
Par ailleurs, il y a 40 000 ans, nos ancêtres utilisaient déjà de la crème solaire.
Par Eric Rafidiarimanana, le
Source: Independent
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