L’historien Jules Michelet disait : « Chaque époque rêve de celle qui va lui succéder ». C’est la question que l’on peut se poser après le visionnage de ce film d’animation teinté de polar noir résolument jazzy et cyberpunk. Dans une ville où la puissance n’a plus de limites, une tour de Babel, la Ziggourat, s’élève au-dessus d’un monde crasseux et pauvre. Symbole ultime de la puissante ploutocratie, elle signe un monde rétro-futuriste mêlant poésie dystopique et destruction grandiloquente. Metropolis, le film chef-d’œuvre de l’animation japonaise.
Adaptation libre du manga éponyme de 1949, lui-même inspiré du film muet allemand culte de 1927, Metropolis est un film d’animation japonais de 2001 réalisé par Rintaro. Evidemment, des différences existent entre ces différentes œuvres, mais c’est l’animé qui respecte le plus la trame du scénario original. Le dessin revient cependant à Osamu Tezuka, auteur du manga, et à son studio Tezuka Productions pour le concept et le studio Madhouse se chargera de l’animation. Le script quant à lui sera l’œuvre de Katsuhiro Otomo, père d’Akira.
Metropolis, cité futuriste où cohabitent humains et robots. Monde de merveille pour les riches alors que les machines restent cantonnées aux bas-fonds, victimes de la violence des classes ouvrières désormais sans emploi. Shunsaku Ban, un détective privé japonais, accompagné de son neveu Kenichi, découvre pour la première fois cette ville étrange et survoltée à l’occasion d’une enquête sur le docteur Laughton, accusé de trafic d’organes. C’est Duke Red, marionnettiste politique qui dirige la ville depuis l’ombre, qui a engagé le scientifique fou afin qu’il confectionne un robot unique, Tima, réplique de sa fille défunte et clef d’une arme toute-puissante.
Cette arme suprême conçue pour dominer le monde est dissimulée dans la Ziggourat, bâtiment fraîchement inauguré, emblème de pouvoir et d’apogée scientifique. Fort heureusement, Tima est lâchée dans la nature suite à l’explosion des installations du docteur Laughton et c’est Kenichi qui deviendra son compagnon de route, en commençant par les égouts. S’ensuit une longue remontée vers la surface, vers le destin de Tima.
Désormais sujet récurrent de science-fiction, l’œuvre cinématographique visionnaire de Fritz Lang pointait à l’époque les différences entre les classes sociales et mettait en avant leur collaboration plutôt que leur lutte. Alors que cet élément avait été écarté par Osamu Tezuka, qui n’avait pas vu le film de 1927 avant de réaliser son manga, Rintaro s’en est lui largement inspiré pour son Metropolis animé. Si la classe ouvrière devient robotique, Maria devient Tima et reste le symbole de la collaboration entre les deux mondes. Toutefois, outre l’hommage certain, le travail de Rintaro poursuit un autre but, celui de parler de l’homme et de son rapport au pouvoir.
Rintaro veut donc nous parler d’humanité. Qu’est-ce qui fait de nous des humains ? C’est la question posée par la condition même de Tima. Elle ignore si elle est faite de métal ou de chair et du haut de sa jeune innocence, elle ne comprend pas pourquoi le pouvoir du monde lui est confié. Pourquoi l’homme a-t-il soif de puissance ? Quel but poursuit-il dans sa domination sur les autres ? Cet abus de pouvoir est un thème partagé entre Metropolis et Akira, sans surprise puisqu’un seul et même homme est responsable des deux scripts.
Si en 1927 le style graphique était plutôt futuriste, on parle depuis de rétro-futurisme puisque représentant les anticipations du passé sur l’avenir. On retrouve donc l’architecture, le design et la musique du début du 20e siècle avec une technologie comme importée du futur. Néanmoins, la version animée ajoute autre chose.
Si Kenichi ressemble tant à Astro Boy, ça n’est pas seulement parce qu’ils ont le même créateur. Il y a une volonté profonde dans le travail de 2001 pour mélanger le style japonais des années 50 au dessin numérique dans un mix parfait. Si certaines œuvres avaient échoué dans l’exercice, le principe et les origines du film justifient tout à fait ce style. La musique quant à elle se gorge de jazz rétro, balançant l’ambiance sur une musique de Ray Charles « I Can’t Stop Loving You » en plein climax. Un grand moment steampunk.
En définitive, Metropolis, Metropolis et Metropolis présentent chacun une dystopie, société imaginaire néfaste contraire à l’utopie, dans un univers similaire mais avec un regard différent. La version animée offre ainsi un œil critique sur la condition de l’homme, sa considération pour l’autre et son rapport au pouvoir. Outre l’hommage, si des éléments s’empruntent à l’œuvre de Fritz Lang c’est pour réinterpréter librement une des œuvres les plus significatives du cinéma du siècle dernier qui avait ouvert au public un sujet des plus importants de notre civilisation.
Les fans de Metropolis premier du nom auront peut-être du mal à s’adapter à la version animée, mais tout fan d’animation japonaise saura voir le génie dans le travail de ces artistes de renom. Chaque élément est à sa place, choisi et arrangé par les maîtres en la matière. Cette œuvre harmonise tant de styles, d’ambiances, de thèmes et de contextes qu’il est impossible de l’appréhender dans son entier à la première lecture. Le film d’animation Metropolis de 2001 nous offre, comme son ancêtre de 1927, une histoire profonde, riche de sentiments et exquise pour les sens.
Par Gabriel Pilet, le
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