La tradition du héros silencieux est ancrée dans les jeux de rôle ayant inspiré les premiers jeux vidéo dotés d’une véritable narration. Beaucoup de développeurs font le choix de garder des héros muets afin de donner la possibilité au joueur de déverser sa propre personnalité dans le personnage qu’il incarne. Une sorte de toile blanche sur laquelle le joueur peut dépeindre ses propres émotions et réactions afin de les transférer dans l’avatar qu’il contrôle. Revenons sur dix héros de jeux vidéo qui ont marqué les joueurs de par leurs actions, leurs valeurs ou leur charisme sans dire le moindre mot.
Gordon Freeman (Half-Life)
Physicien théorique à lunettes menant une vie plutôt monotone dans son laboratoire, Gordon n’inspire pas forcément l’idée de charisme au départ de Half-Life. Malgré cela et son mutisme, il est considéré comme l’un des grands héros du jeu vidéo et surtout comme le champion des joueurs PC. Suite à une expérience ratée, son équipe provoque une fissure dimensionnelle d’où s’échappent des extraterrestres agressifs. Équipé d’une combinaison Hazmat et d’un pied-de-biche, il va cependant réussir à sauver le monde. Acculé face aux aliens et aux soldats de l’armée américaine, il réussit à s’extraire des situations les plus périlleuses. Il représente le héros inconscient de son réel potentiel jusqu’au moment clef où sa survie et celle des autres sera en jeu.
Crono (Chrono Trigger)
Vous n’avez jamais joué à Chrono Trigger et son design vous semble familier ? C’est parce que Crono fut créé par le grand Akira Toriyama, créateur de Dragon Ball. Le jeu étant sorti quelques mois seulement avant la fin de sa série, on peut comprendre l’engouement que ce héros a généré dès 1995. Crono incarne ce que l’on peut attendre d’un héros de jeu de rôle, il est jeune, valeureux et lorsque l’aventure se présente devant lui, il n’hésite pas une seule seconde pour la poursuivre. Son incroyable quête démarre lorsqu’il plonge dans un vortex temporel pour sauver une jeune fille. Ce voyage va le pousser à visiter de nombreuses époques dans le passé et dans le futur pour sauver le monde de l’apocalypse. Comme quoi, on peut en accomplir des choses en étant muet. À la fois sauveur de l’humanité et tête brûlée, il a tout pour plaire aux joueurs qui s’embarquent dans un des plus grands jeux de l’histoire. Les joueurs s’attachent et s’identifient à Crono à leurs risques et périls. La scène de sa mort est en effet restée figée dans l’esprit de milliers de joueurs. Incontournable.
Samus Aran (Metroid)
Qu’on ne vienne pas raconter que les personnages féminins n’existent pas dans les jeux vidéo. Samus Aran part à l’aventure depuis 1986 ! Depuis, elle est passée par de nombreux jeux, de nombreux genres différents, et par presque toutes les consoles Nintendo. Cette ancienne soldate est devenue une chasseuse de primes très habile. Équipée de ses nombreux gadgets et de sa légendaire armure, elle fera de la bouillie de tous les monstres assez stupides pour venir infester la galaxie. Son armure a la capacité exceptionnelle de pouvoir comprimer Samus en une sphère de moins d’un mètre, lui permettant d’accéder à des passages trop étroits pour sa forme humaine. Pour la petite histoire, cet élément de gameplay vient à la base d’une limitation technique de la NES. Les développeurs ne pouvaient en effet pas animer correctement Samus en train de ramper dans des conduits et il fut donc décidé d’inventer un moyen pour ne pas avoir à la faire ramper, mais à rouler !
Riou (Suikoden 2)
Orphelin dans un petit village, il devient un jeune soldat dans l’une des nombreuses armées du monde de Suikoden. Lui et son meilleur ami Jowy entrent en contact avec l’une des 27 runes magiques qui confèrent des pouvoirs presque divins. Lorsque le héros récupère le pouvoir de lumière de ladite rune, son ami récupère ses ténèbres. Tous deux tentent de maîtriser ce pouvoir et continuent de se battre côté à côte jusqu’à ce que le destin les sépare et les force à rejoindre des camps opposés. S’ensuit une lutte fraternelle où chacun utilisera son pouvoir pour faire basculer l’avenir de leur monde d’un côté ou de l’autre. Dans ce monde de complots politiques et d’assassinats, de luttes entre les pays et de batailles gigantesques, Riou persévère pour apporter la paix en s’entourant de 108 héros que le joueur doit recruter au fur et à mesure de l’aventure. La force de Riou est donc avant tout son magnétisme, sa capacité au compromis dans le but d’unifier les peuples. Il ne parle pas, mais ses actions parlent pour lui. Il est l’exemple même d’un héros qui prouve que l’on peut être charismatique par ses actions tout en restant silencieux. Sa fierté devient celle du joueur.
Héros (Pokémon)
Est-ce que vous vous souvenez de l’image de la toile blanche au début de ce sujet ? Les protagonistes des jeux Pokémon en sont la représentation parfaite. C’est au joueur de remplir les trous laissés par les développeurs avec ses propres émotions, ses pensées et d’agir en conséquence dans l’univers du jeu. C’est une des raisons pour lesquelles la série a si bien démarré. Même un enfant pouvait se projeter dans le jeu et s’imaginer dresser ses Pokémon. Ce n’était pas un héros qu’il contrôlait, il n’avait pas à rêver qu’un jour, il pourrait être « comme le héros du jeu avec ses Pokémon ». Il était le héros. Lorsque le joueur développe son équipe Pokémon grâce à l’avatar du jeu, c’est le joueur et personne d’autre qui décide de l’avenir de chacune de ses créatures. Il y a fort à parier que si le héros avait eu une vraie personnalité et ses propres dialogues, les joueurs n’auraient pas autant d’attachement à cette série unique.
Silhouette (Journey)
Cet OVNI du jeu vidéo qu’est Journey est en partie si spécial, car il est épuré de toutes fioritures. La silhouette que vous contrôlez ne parle pas, même si elle communique et s’exprime par un chant qui est le coeur du gameplay du jeu. Journey est une merveille qui nous fait voyager dans un monde d’abstraction et d’émerveillement. On en ressort, après seulement quelques heures, transformé à jamais par l’expérience. C’est une leçon sur la vie et la mort, sur le développement intérieur et l’interaction avec le monde extérieur. L’oeuvre peut se permettre de réaliser tout cela justement, car il laisse le joueur se projeter dans l’aventure, dans cette silhouette sans nom, sans visage et sans véritable langage, si ce n’est celle du coeur.
Raidou Kuzunoha (Devil Summoner)
Suite à de nombreuses épreuves, le protagoniste des Devil Summoner est le quatorzième à porter le titre de Raidou Kuzunoha. En tant que tel, il se doit de protéger Tokyo de mystérieuses créatures qu’il peut capturer grâce à ses pouvoirs. Comme si cela ne suffisait pas pour rendre ce personnage intéressant, il devient l’apprenti d’un détective privé de la ville et utilise les monstres capturés auparavant pour le servir lors de ses enquêtes. Son design est inspiré de Yasunori Kato, le héros de Teito Monogatari, chef-d’oeuvre de la littérature japonaise. Sa silhouette colle parfaitement à l’ambiance des années 20 où se déroulent les jeux. Il possède cette aura ténébreuse qui résonne particulièrement bien avec une large portion de joueurs. Raidou ne s’exprime pas par la parole, mais quelque part, on a le sentiment que même si le jeu voulait le faire parler, il garderait tout de même le silence. Costume très sobre, mystérieux, taciturne, invocateur de démons et détective privé. Je crois que le cahier des charges pour un héros charismatique est bien rempli !
Kirby (Kirby)
La petite boule rose n’avait au départ pas de couleurs. Sa forme minimaliste était au départ prévue pour faciliter le travail des animateurs alors que son créateur travaillait encore sur son design, mais après plusieurs semaines de travail, toute l’équipe s’était déjà attachée à cette forme. Kirby incarne l’innocence et la gourmandise et ce mélange entre appétit d’ogre et regard enfantin peut même être assez déroutant ! Il évolue dans des mondes en 2D comme son collègue Mario, aspire les monstres et les digère ou les recrache sur ses autres ennemis. Kirby propose un univers encore plus coloré que celui de Mario, mais aussi un gameplay différent que l’on retrouvera chez Yoshi quelques années plus tard. Kirby est un héros qui n’en impose pas par son charisme, mais par sa spécificité et sa présence à travers les différents âges du jeu vidéo.
Wander (Shadow of the Colossus)
Difficile de faire plus énigmatique que Wander. Ou même que Shadow of the Colossus si l’on parle d’un jeu. Et c’est bien ce qui fait tout son charme. On ne sait rien, mais on est tout de même investi dans cette quête extraordinaire où ce jeune homme doit parvenir à tuer seize colosses pour ressusciter son amour. Malgré tout le temps que l’on passe avec lui, toute la distance parcourue et toutes ses épreuves, Wander ne prononce pas un seul mot. Il a une mission à laquelle il ne dérogera pas. Il représente le héros qui réussit l’impossible par amour, celui qui défie le divin. Entre poésie et mythologie, Shadow of the Colossus est une oeuvre magistrale, et son protagoniste est l’un des rares de cette liste à pouvoir porter le titre de véritable héros.
Link (The Legend of Zelda)
Sans doute le personnage de jeu vidéo le plus reconnaissable au monde avec Mario, Link est le héros du temps, c’est-à-dire le héros qu’incarne le joueur à chaque itération de la série The Legend of Zelda. Il entreprend de nombreuses aventures, toutes plus épiques les unes que les autres, où le joueur s’émerveillera de découvrir des temples perdus, vaincre des monstres effrayants et bien entendu, sauver la princesse Zelda du maléfique Ganondorf. Chacun de ces trois personnages est le détenteur d’un tiers de la Triforce, une relique sacrée contenant l’esprit de la déesse créatrice du monde d’Hyrule, liant leurs destins à jamais. Armé de son courage, il plonge seul dans les ténèbres des temples et donjons qui infestent le monde pour sauver les terres dont il est le gardien. À l’aise au combat avec de nombreuses armes et objets, il est le guerrier ultime d’une des séries de jeux vidéo les plus populaires de tous les temps. Et tout ça sans dire un seul mot.
Tout comme le cinéma a su instaurer dans sa mythologie des personnages forts et peu bavards, le jeu vidéo a su transformer un silence en une véritable force narrative. Bâillonner son héros, c’est en quelque sorte donner la parole au joueur et faire de lui le vrai protagoniste. Cela ne convient bien entendu pas à toutes les histoires, à tous les héros et pas à tous les joueurs. Il est cependant indéniable que l’on peut laisser son nom sur le panthéon du jeu vidéo tout en étant muet. Considérez-vous qu’un héros muet offre une meilleure immersion dans l’univers d’un jeu vidéo ou préférez-vous les personnages plus bavards ?
Par Florent, le