L’alcool a toujours été utilisé à des fins récréatives depuis la nuit des temps. Même s’il a parfois le don d’illuminer l’esprit, il est difficile de concevoir qu’en provoquant l’état d’ivresse, il ait pu façonner notre évolution et contribuer à de multiples inventions. Pourtant, il semblerait que les premiers breuvages aient été savourés bien avant ce que l’on pourrait croire, et qu’ils seraient la cause directe ou non de multiples inventions, en ce qu’il a permis de créer du lien social.

L’alcool apparut « avant » l’Homo sapiens

D’après une nouvelle étude, l’apparition de l’alcool précèderait les premières cultures de blé, de raisin, mais aussi l’apparition de l’Homo Sapiens.  » Il y a dix millions d’années, une mutation est survenue chez l’ancêtre africain des humains et des grands singes. Elle lui a permis de métaboliser l’éthanol — ou alcool éthylique— quarante fois plus rapidement ! « , tels sont les propos du généticien Matthew Carrigan, du Santa Fe College (Gainesville, États-Unis). Ainsi, quand le climat était asséché, et que les arbres nourriciers ne pouvaient pas produire de fruits frais, ces primates frugivores ont commencé à se nourrir de fruits tombés au sol, parfois fermentés. Bizarrement, ils y ont pris goût.

Selon l’« hypothèse des singes ivres » (2004) de Robert Dudley, notre espèce serait génétiquement prédisposée à être attirée par les effets de l’alcool. Nos ancêtres auraient d’ailleurs recherché très tôt ses effets sur l’humeur, ce qui aurait favorisé leurs aspirations aventurières. D’ailleurs, selon Roger Morse, professeur à l’Université de Cornell (Etats-Unis), leur premier « breuvage » alcoolisé au monde leur a été fourni par les abeilles. Imaginez un tronc d’arbre rempli de cire et de miel, détrempé par les pluies : une fois le miel dilué à 70 % d’eau, les levures auraient lancé la fermentation, produisant l’hydromel. Ainsi aurait débuté le partage de cette découverte.

 

 » Il fallait boire rapidement le nectar, avant qu’il ne tourne au vinaigre.  » 

De fil en aiguille, l’homme finit par cultiver le raisin, lorsqu’il y a 2 millions d’années, l’Homo erectus quitte son berceau africain pour l’Eurasie et y découvre les vignes. Il finit par en cueillir les grappes dans toute l’Europe il y a 500 000 ans, comme le montre la découverte de pépins sur des sites archéologiques français notamment.  » En revanche, il est difficile de savoir quand nos ancêtres ont commencé à conserver ou fabriquer des breuvages enivrants « , souligne Patrick McGovern. En effet, les outres de peau, les bols de bois ou les paniers tressés se conservent mal.

À l’époque du paléolithique, les hommes ne maîtrisaient pas le processus de fermentation, leurs récipients n’étant pas hermétiques.  » Il fallait boire rapidement le nectar, avant qu’il ne tourne au vinaigre.  » La domestication de la vigne serait, elle, survenue entre 10 000 et 5000 avant J.-C, probablement au sud-est de l’Anatolie, entre le Tigre et l’Euphrate, dans le Croissant fertile, considéré comme le berceau de la civilisation.

D’ailleurs, c’est dans cette même région qu’entre – 12.000 et -10.000 ans, l’homme aurait domestiqué l’amidonnier (ancêtre du blé), le petit épeautre, l’orge, le pois chiche et le lin, à savoir les céréales fondatrices de l’agriculture.  » Si les hommes ont domestiqué les céréales, c’est peut-être d’abord pour faire une soupe épaisse de bière nutritive et euphorisante, plus facile à fabriquer que du pain !  » Serait-ce pour trinquer ensemble que les hommes se seraient organisés en société ?

La corne que tient la célèbre Vénus de Laussel (Dordogne), sculptée dans la pierre il y a 25.000 ans serait une corne à boire.

L’alcool, lubrifiant social et créatif

Ce n’est qu’en – 7000, à l’invention de la poterie, que l’homme commence à maîtriser la fermentation, dont le premier breuvage à fermentation contrôlée a été trouvé dans la Chine du néolithique. Ainsi, au fil des siècles, l’alcool aurait joué un rôle majeur dans l’évolution, participant peut-être à l’invention de l’écriture et à la fondation des villes. En effet, le site de Tell Bazi vieux de 3400 ans, situé au nord de la Syrie regorge de maison possédant leurs propres microbrasseries. Des jarres d’argile de 200 litres, indiquant la présence d’orge et d’oxalate, qui ont pu leur fournir nutriments et vitamines afin de compléter leur régime alimentaire à base de pain déficient.

Si les fonctions de l’alcool sont multiples, il a eu, avec les plantes psychoactives, un rôle sacré de part et d’autre du globe. Que ce soit le vin de l’eucharistie, le grog viking, la bière offerte à la déesse Ninkasi, ou encore l’élixir des tribus amazoniennes, elles permettaient de communiquer avec les dieux et les ancêtres.

D’autre part, l’alcool était le remède parfait pour lutter contre la douleur et les infections, mais permettait également de débrider la pensée, conduisant ainsi à la création de la musique et des arts. Un lubrifiant social qui a su rapprocher les hommes et s’ancrer dans les mœurs d’un grand nombre de civilisations. Toutefois, rappelons tout de même que que ce breuvage doit être consommé avec modération, car l’excès conduit toujours à la perte.

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