Sous les rues animées de Paris, un secret macabre repose depuis des siècles. Les célèbres catacombes, un réseau souterrain labyrinthique de tunnels abritant les restes de millions de personnes, fascinent les visiteurs. Mais au-delà de l’aspect touristique, ces catacombes détiennent des indices précieux sur l’évolution des maladies, la médecine et la santé publique. Une équipe de chercheurs est en train de mener la toute première étude scientifique sur ce site historique.
L’histoire derrière les ossements
Les catacombes de Paris, qui s’étendent sur plus de 300 km sous la ville, abritent les restes de 5 à 6 millions de personnes. La décision de transférer ces ossements dans les carrières abandonnées remonte à la fin du XVIIIe siècle. À cette époque, les cimetières de Paris, surpeuplés et jugés dangereux pour la santé publique, posaient problème. Le plus célèbre d’entre eux, le cimetière des Innocents, situé dans le centre de Paris, était devenu un véritable cauchemar sanitaire.
Les corps en décomposition rendaient la vie quotidienne insupportable. Des histoires racontent comment les murs des caves ou des cabarets s’effondraient, laissant tomber des cadavres sur des personnes attablées. Face à ce problème, les autorités ont décidé de déplacer ces restes humains vers les carrières souterraines qui avaient autrefois servi à extraire les pierres utilisées pour construire la ville.
Les ossements ont été transférés de nuit, chargés dans des charrettes qui traversaient Paris, accompagnés de prêtres. Les corps ont été jetés dans les puits des carrières désaffectées. Ce transfert massif s’est déroulé entre 1788 et le début du XIXe siècle. En 1810, un inspecteur général des carrières, Louis-Étienne Héricard de Thury, a décidé de rendre hommage aux morts en réorganisant les ossements de manière plus « esthétique ». Il a fait construire des murs décoratifs avec des crânes et des os longs, créant une sorte de monument souterrain à la mémoire des défunts. Cependant, derrière ces façades soigneusement arrangées, des millions d’ossements gisent toujours dans le désordre.
Une étude scientifique inédite
Malgré l’importance historique et culturelle des catacombes, ces restes humains n’avaient jamais fait l’objet d’une étude scientifique sérieuse, jusqu’à aujourd’hui. Philippe Charlier, anthropologue et spécialiste de la paléopathologie, dirige une équipe de chercheurs composée d’archéologues, d’anthropologues, de biologistes et de médecins. Leur objectif est de retracer l’histoire de la santé publique à Paris à travers l’analyse des ossements de ces millions de personnes.
Charlier explique que les catacombes représentent une opportunité unique pour étudier non seulement l’histoire de la médecine et des pratiques chirurgicales, mais aussi l’évolution des maladies au fil des siècles. Il souligne que ce site est sans équivalent dans le monde en raison de la quantité impressionnante de restes humains qu’il renferme. « C’est un endroit idéal pour mener une étude anthropologique et paléoanthropologique », déclare-t-il.
L’étude de Charlier se concentre sur plusieurs aspects. Les chercheurs analysent les amputations, trépanations, autopsies et embaumements pratiqués sur les corps. De plus, ils examinent les traces laissées par des maladies sur les os, telles que la syphilis, la lèpre et le rachitisme. L’une des parties les plus fascinantes de leur travail est l’analyse de l’ADN extrait des dents. Cette technique permet de repérer des agents infectieux, comme la peste, qui tuent trop rapidement pour laisser des traces sur les os.
Les premiers résultats et les défis à venir
Le projet est actuellement dans sa troisième année et, avant la fin de l’année, les chercheurs présenteront leurs premiers résultats préliminaires. L’équipe a déjà scanné des os et prélevé des échantillons pour analyse. La datation au radiocarbone, qui n’a pas encore été effectuée, permettra d’établir l’âge exact des ossements. Un simple comptage des restes humains devrait également permettre d’obtenir une estimation plus précise du nombre de personnes enterrées dans les catacombes, que Charlier pense pouvoir dépasser les 6 millions.
Outre les maladies, les chercheurs s’intéressent également à l’exposition des Parisiens de l’époque à des métaux lourds tels que le plomb, le mercure, l’arsenic et l’antimoine. Ces substances, utilisées dans diverses pratiques médicales et artisanales, ont probablement contribué à empoisonner de nombreux habitants. L’étude permettra de mieux comprendre l’impact de ces substances sur la santé de la population à travers les siècles.
Cependant, Charlier est bien conscient de l’ampleur de la tâche. Selon lui, ce travail est loin d’être terminé et pourrait s’étendre sur plusieurs générations de chercheurs. « La tâche est énorme. C’est un travail sans fin », affirme-t-il. Il prévoit que les enfants de ses étudiants poursuivront ce projet.
En dehors de l’intérêt scientifique, les catacombes suscitent aussi une réflexion profonde sur la mortalité humaine. Comme le rappelle l’une des inscriptions gravées dans les tunnels : « Pensez le matin que vous n’arriverez peut-être pas au soir et le soir que vous n’arriverez peut-être pas au matin. » Ce message, inscrit par Héricard de Thury au début du XIXe siècle, résonne encore aujourd’hui. Par ailleurs, voici 10 lieux souterrains fascinants que vous pouvez visiter à Paris.
Par Eric Rafidiarimanana, le
Source: The Guardian
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