La rougeole, responsable de 100 000 morts par an dans le monde, détruit aussi le système immunitaire de façon prolongée. Deux études parallèles ont étudié les mécanismes du virus qui, bien après la maladie, laisse l’organisme vulnérable à de nombreuses autres infections, par un phénomène d' »amnésie immunitaire ».
Une résurgence de la rougeole à l’échelle mondiale, causée par l’absence ou le refus de la vaccination
La rougeole est responsable, à travers le monde, de 100 000 morts annuelles, majoritairement des enfants de moins de 5 ans. Quand le vaccin s’est démocratisé dans les années 60, le nombre de mort causées par la maladie a chuté, mais pas seulement : les morts infantiles causées par des maladies infectieuses, dans chaque pays où les vaccins anti-rougeole ont été introduits ont aussi été réduites, ce qui a levé des interrogations.
Les campagnes de vaccination ont été efficaces — par exemple, les États-Unis ont officiellement considéré la maladie comme « éliminée » en 2000. Mais aujourd’hui, la rougeole revient en force depuis quelques années : notamment aux États-Unis, en Angleterre… En France, tandis que 79 cas étaient déclarés en 2016, 523 l’ont été en 2017, ce qui augmente de manière critique en 2018 avec 2919 cas déclarés. Si le virus ne se manifestait que sur quelques régions du territoire il y a trois ans, il se trouvait l’année dernière sur 92 départements. En 2019, la rougeole a fait son retour, notamment dans des foyers épidémiques à la Réunion et Mayotte : 2500 cas ont été déclarés sur les 9 premiers mois de l’année. Les chiffres de l’OMS sont éloquents : au premier trimestre 2019, les cas de rougeole à l’échelle mondiale ont augmenté de 300 % par rapport à l’année précédente.
Une meilleure compréhension de la maladie
La rougeole est une maladie particulièrement dangereuse : d’abord, elle est très contagieuse. Par exemple, vous pouvez être contaminé dans un endroit clos par des micro-gouttelettes présentes dans l’air, jusqu’à deux heures après que quelqu’un portant le virus y a éternué ou toussé. De plus, la maladie compromet les défenses immunitaires du malade, même après la guérison (déjà loin d’être garantie). Les implications précises de ce phénomène étaient mal connues, mais quelques études avaient déjà été conduites : notamment en 2015, où l’équipe du chercheur Michael Mina, aujourd’hui chercheur à Harvard, avait déterminé que les suites d’une rougeole pouvaient compter pour 50 % des morts infantiles dues à des infections dans les régions où la présence du virus est forte.
Une nouvelle étude, publiée dans la revue Science et dirigée par Mina, a observé les défenses immunitaires d’une cohorte de 77 enfants non-vaccinés aux Pays-Bas, en les comparant avant et après l’infection. Aujourd’hui, le refus de vaccination est une cause majeure de la nouvelle expansion du virus : récemment, un nouveau foyer a grandi au centre d’une communauté juive ultra-orthodoxe de New York, dont des membres militent fermement contre le vaccin.
Dans le groupe d’enfants, la rougeole a causé l’élimination de 11 à 73 % d’anticorps chez les enfants. Ce qui n’était pas notable chez les enfants vaccinés contre les oreillons, la rubéole et la rougeole (l’équivalent du vaccin ROR français). Les auteurs expliquent : « La réduction de la mémoire de l’immunité humorale [à la source des anticorps] après une infection à la rougeole génère une potentielle vulnérabilité à de futures infections, ce qui ne fait que souligner le besoin d’une vaccination globale. » Pour regagner en anticorps, Mina suspecte que les enfants auront besoin d’une ré-exposition aux pathogènes, ce qui pourrait provoquer un nouvel épisode de rougeole. De même, ils devront sans doute reprendre tous les vaccins qui leur avaient été administrés dans le passé.
« L’amnésie immunitaire », ou le corps qui oublie
Dans une étude parallèle, publiée dans la revue Science Immunology et conduite sur la même cohorte néerlandaise, l’équipe a séquencé l’ADN de lymphocytes B à mémoire, des globules blancs spécifiques permettant de se « souvenir » des agressions rencontrées afin de mieux pouvoir les combattre au moyen d’anticorps, si le système immunitaire les rencontre à nouveau.
Les conclusions sont simples : la rougeole prépare le corps à la contraction d’autres maladies. Dans leur groupe d’étude, le virus a réduit la concentration de lymphocytes B à mémoire, et ainsi inversé le processus de défense immunitaire en le rendant immature. Ce qui est nommé « amnésie immunitaire » — autrement dit un oubli de votre corps de ce à quoi il pourrait faire face — et étudié précisément pour la première fois. Cette amnésie implique des plus grands risques de contraction de pneumonies, de grippes et d’infections diverses.
Velislava Petrova, postdoctorante de l’Institut Wellcome Sanger à la tête de cette seconde étude, explique : « L’étude montre que la rougeole est plus dangereuse que nous le pensions, pouvant avoir des conséquences sur le système immunitaire longtemps après que ses symptômes ont disparu. » De ce fait, la vaccination ROR « est importante non seulement pour vous éviter la rougeole, mais aussi toute infection secondaire que vous pouvez attraper à la suite de la rougeole et de l’affaiblissement de votre système immunitaire ».
L’équipe parle « d’immunosuppression aiguë », dont la durée est difficile à déterminer. L’équipe de Mina portait ce délai à 2 ou 3 ans. « La durée de cette immunodépression n’est pas encore consensuelle », explique Astrid Vabret, professeur et responsable au CHU de Caen du centre national de référence des virus de la rougeole, rubéole et oreillons, au Monde : « de 5 à 6 mois ? 5 ans chez 10 à 15 % de la cohorte des enfants infectés. Il ne semble pas y avoir de retour à l’état antérieur (une sorte de “guérison”, si cela existe vraiment) ».
Par Victor Chevet, le
Source: Le Monde
Étiquettes: systeme-immunitaire, exposition, maladies, impact, rougeole
Catégories: Actualités, Santé