Autrefois grouillantes de vie, les falaises ocres de Punta San Juan, au sud du Pérou, sont aujourd’hui presque silencieuses. Le cri des lions de mer, le ballet des manchots de Humboldt et le vrombissement des milliers d’oiseaux marins se font rares. Une désertification biologique qui raconte bien plus qu’une simple crise locale : elle alerte sur l’équilibre fragile d’un des écosystèmes marins les plus riches du monde.

Punta San Juan, autrefois modèle de conservation, est devenu le triste miroir d’un effondrement écologique
Pendant longtemps, Punta San Juan avait tout d’un sanctuaire. Protégé depuis plus d’un siècle pour son guano, cet engrais naturel qui fit la fortune du Pérou au XIXe siècle, le site avait bénéficié d’un modèle unique : mur d’enceinte pour repousser les prédateurs, surveillance humaine, collecte encadrée, suivi scientifique rigoureux. En 2009, la création d’une réserve naturelle englobant 22 îles et 11 caps avait même renforcé cet écrin de biodiversité.
Pourtant, aujourd’hui, les chiffres sont sans appel. En 2022, on recensait encore 200 000 oiseaux à guano, 2 500 manchots de Humboldt, 11 000 lions de mer. Aujourd’hui ? 200, 500 et 1 200 respectivement. Un véritable effondrement. Le plateau blanchâtre de guano est presque intact : les oiseaux ne l’occupent plus.
Grippe aviaire, El Niño, surpêche : trois fléaux qui asphyxient la chaîne alimentaire marine
Comment en est-on arrivé là ? Le déclin s’est accéléré fin 2022, avec une grippe aviaire meurtrière. Puis, comme si cela ne suffisait pas, El Niño est revenu, déstabilisant la chaîne alimentaire : les eaux froides, riches en nutriments, se sont raréfiées, et avec elles le plancton, base de l’alimentation des anchois. Or ces derniers sont la proie favorite des oiseaux et mammifères marins.
En parallèle, la surpêche a achevé d’aggraver la crise. En 2024, les prises d’anchois ont bondi de 25 %, atteignant 4,6 millions de tonnes. Une exploitation essentiellement destinée à l’aquaculture mondiale, sans considération pour les besoins de la faune marine locale.
Quand la biodiversité marine s’effondre, c’est toute l’agriculture péruvienne qui vacille
Sur terre, le dispositif de protection a été exemplaire. Toutefois, en mer, les animaux ne sont plus à l’abri : pêche industrielle et filets les menacent directement. Et ce phénomène ne s’arrête pas aux frontières péruviennes : au Chili aussi, on constate une chute de 60 à 80 % des colonies de manchots.
Mais les conséquences dépassent largement le seul enjeu écologique. Le guano, encore récolté (11 000 tonnes cette année contre 17 000 en 2019), est vital pour les petits agriculteurs péruviens. Sans oiseaux, pas de guano. Et sans guano, comment fertiliser les sols ? La question, posée par Brayhan Caceres, résonne comme une alarme nationale.
Des solutions existent : il faut repenser la pêche et protéger les zones marines avant qu’il ne soit trop tard
Face à cette situation alarmante, des solutions existent. Elles impliquent avant tout de repenser le modèle de pêche, avec des quotas plus stricts, une saisonnalité respectée, et la création de zones marines protégées où la faune peut se reproduire. Côté scientifique, renforcer les programmes de surveillance comme celui du Programa Punta San Juan est crucial.
Par ailleurs, il faut une mobilisation internationale : l’anchois péruvien nourrit l’aquaculture mondiale, et cette responsabilité doit être partagée. Chaque sac de farine de poisson acheté à l’étranger influe, en bout de chaîne, sur l’avenir de Punta San Juan.
Enfin, raconter ces histoires, leur donner un visage, une voix, comme celle de Willy Hernandez ou de Brayhan Caceres, c’est aussi redonner de la valeur à la nature qui disparaît dans le silence.
Par Eric Rafidiarimanana, le