Trois chercheurs américains de Caltech ont déconstruit l’un des mythes scientifiques les plus canoniques : les organismes simples ne peuvent pas dormir. Faux ! Preuve à l’appui, ils ont démontré qu’une « mise en veille » concernait aussi bien les êtres complexes que les êtres dépourvus de matière grise.
« You know nothing »
La neuroscience a cette ambition démesurée – et tragique – de rationaliser scientifiquement tous les phénomènes qui touchent de près ou de loin à notre boîte crânienne. Et ses avancées spectaculaires ont non seulement permis de cartographier les moindres recoins de notre cerveau, mais elles ont aussi permis d’établir un triste constat : nous ne sommes que chimie. Oubliez le mystique cadeau de la conscience ; les thèmes les plus complexes tels que la foi, l’excitation, et l’amour sont explicités par une simple réaction chimique. La ténacité des chercheurs à percer tous les mystères de notre cerveau est louable, mais vaine lorsque le sommeil devient leur sujet d’étude.
On ignore quasiment tout du sommeil : son origine, évolution, et même son utilité est sujette à caution. Il concerne chaque animal dit complexe, comprenez multicellulaire. Tous les êtres complexes dorment : la mouche intempestive, l’adorable panda roux, la majestueuse baleine bleue… Tous. Ce consensus biologique trans-espèce sidère les scientifiques : pourquoi un organisme choisirait-il volontairement de sombrer dans les limbes ? Il devient vulnérable aux yeux des prédateurs, il ne peut ni se nourrir, ni se reproduire… Comme dirait Socrate : « Nous savons que nous ne savons rien. »
Trois cerveaux valent mieux qu’un
L’étude de Ravi Nath a fait voler en éclat les préjugés les plus tenaces sur le sommeil. Ce généticien moléculaire de l’Institut Technologique de Californie (Caltech) étudie ses effets sur les vers Caenorhabditis elegans. Un domaine d’expertise qui n’a jamais trouvé d’écho parmi ses confrères : lorsque Nath leur présentait ses recherches lors de conférences spécialisées, ils pouffaient à l’idée qu’un animal aussi simple puisse dormir. Le scepticisme ostentatoire de ses pairs a fait naître chez Nath une nouvelle problématique : jusqu’à quel point le système nerveux d’un animal doit-il être minime pour qu’il lui manque l’aptitude au sommeil ?
La question lancinante a très vite tourné à l’obsession. Pour y répondre au plus vite, et dans les meilleures conditions, Nath embarque avec lui Michael Brams, et Claire Bedbrook, deux chercheurs doctorants de Caltech. Brams travaillait alors sur les méduses, des créatures parfaites pour le sujet de Nath : elles n’ont ni neurone, ni système nerveux central – leurs neurones se connectant dans un réseau décentralisé. L’heureuse élue était déjà toute trouvée.
Cassiopea, reine du bal
Le trio avait immédiatement repéré Cassiopea. Surnommée la méduse « upside-down », elle a pris l’habitude de s’asseoir dans les fonds marins sur sa cloche – sa tête si vous préférez. Cette méduse si particulière qui répond au doux nom de « méduse à l’endroit à l’envers », bouge rarement par elle-même, ce qui a grandement facilité les choses pour les chercheurs. Ils ont pu concevoir un système vidéo pour suivre à la trace l’activité pulsative de sa cloche.
Mais le pouls seul n’était pas suffisant. Il leur fallait d’autres preuves tangibles d’un comportement ensommeillé chez Cassiopea. Les scientifiques avaient besoin de montrer une cessation d’activité physique subite, proche de la léthargie, accompagnée d’une baisse de réactivité face aux stimuli externes. Par ailleurs, le besoin de sommeil devait directement influencer le comportement de la méduse. Concrètement, il leur fallait prouver que si Cassiopea était privée de son repos journalier, alors elle devrait compenser par un repos plus important le lendemain.
Le sommeil c’est sacré !
Nath, Abrams et Bedbrook ont déménagé Cassiopea dans un réservoir de 35 litres, et ont passé 6 jours et 6 nuits à suivre scrupuleusement son pouls. Première découverte : sa moyenne journalière est d’une pulsation seconde, alors qu’elle tombe à 1/3 de pulsation la nuit. Le trio a même relevé des passages de la nuit où la cloche cesse carrément de battre – entre 10 et 15 secondes – ce qui n’arrive jamais en journée. Premier critère : check. Portés par ces résultats concluants, les scientifiques ont poursuivi leurs investigations en maintenant Cassiopea éveillée toute une nuit – en la chargeant de jets d’eau. L’équipe a constaté une baisse d’activité de 17% le lendemain ! Deuxième critère : check.
Les chercheurs se sont ensuite focalisés sur sa réaction face aux stimuli externes. En pleine nuit, ils ont sorti Cassiopea des bras de Morphée par la plus vieille astuce du monde : un casse-dalle ! Devant ce mélange de crevettes et d’huîtres, la méduse s’est réveillée et a de suite adopté un rythme de vie diurne – de jour. Pas très concluant… Le trio a donc changé de méthode en se concentrant sur sa préférence pour les surfaces dures. Ils ont délicatement soulevé une Cassiopea endormie au moyen d’une plaque qu’ils ont ensuite lentement retirée : l’ensuquée méduse flottait. Son pouls s’est remis à battre la mesure et la créature s’est réorientée par elle-même avec un temps de réaction plus long qu’en plein jour. Troisième critère : check.
Inspirés par leurs prometteuses découvertes, les trois étudiants doctorants planchent déjà sur la recherche d’anciens gènes susceptibles de contrôler le sommeil; et peut-être comprendre pourquoi celui-ci à évolué…
Par Matthieu Garcia, le
Source: Nature
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