Jeanne d’Arc, vue en cours d’histoire, statufiée dans chaque église de France et tiraillée de toutes parts est, presque 600 ans après sa mort, toujours très présente dans la mémoire collective et l’actualité. Cependant, que savons-nous réellement sur la vie de Jeanne d’Arc ?

 La vie de Jeanne d’Arc

Maison natale de Jeanne d’Arc
Seule représentation contemporaine connue de Jeanne d’Arc, esquissée en marge d’un registre par Clément de Fauquembergue, greffier du parlement de Paris, le 10 mai 1429

Née vers 1412 (lors de son procès en 1431 elle estime avoir 19 ans) à Domrémy, dans une famille de laboureurs, Jeanne d’Arc mène, selon les témoins de son procès en réhabilitation, une vie très pieuse dès l’enfance. Dévote, elle affirme, lors de son procès, avoir reçu dès son plus jeune âge la visite de l’archange Michel, de sainte Catherine et sainte Marguerite. Au fil des années, les voix lui enjoignent de libérer le Royaume de France du joug anglais et de faire couronner roi de France le jeune Dauphin Charles, fils du roi Charles VI le fou.

Peu à peu, son village voit en elle la jeune femme d’une prophétie arguant que « la France, perdue par une femme, serait un jour sauvée par une femme ». Sa force de conviction est telle, qu’elle n’a que 17 ans lorsqu’elle parvient à convaincre, après une énième entrevue, le capitaine de Vaucouleurs de lui organiser une rencontre avec le Dauphin, alors réfugié à Chinon. Là débute son épopée !

Jeanne d’Arc en costume de paysanne, Paris, BnF, département des manuscrits, ms. Latin 14665, fo 349 ro, xve siècle.

Après leur entrevue, le Dauphin autorise Jeanne d’Arc à partir en direction d’Orléans dans une troupe de ravitaillement. La population l’accueille dans la liesse, mais ce n’est pas le cas des chefs de guerre. Pourtant, par son charisme et son enthousiasme, elle galvanise les troupes françaises, ce qui permet de repousser les troupes anglaises et de libérer la ville de son long siège.

Peu après, lors de la bataille de Patay, les Anglais se retirent. Forte de ces éclatantes victoires, Jeanne d’Arc convainc le Dauphin et ses capitaines de se diriger vers Reims pour le faire sacrer roi. Seulement, il faut passer par le territoire bourguignon, allié des Anglais. Mais sa réputation la précède et les villes lui ouvrent tour à tour leurs portes laissant le passage vers la ville du sacre. Une fois sacré, le Dauphin devient le roi de France Charles VII, et l’équilibre des forces bascule.

Jeanne d’Arc au bûcher.
Enluminure du manuscrit de Martial d’Auvergne, Les Vigiles de Charles VII, BnF, département des manuscrits, Ms. Français 5054, fo 71 ro, vers 1484.

Elle souhaite ensuite libérer Paris, mais le siège est un échec et Jeanne est blessée. Charles VII décide de lever le siège de Paris et de dissoudre l’armée. C’est la fin de la période de grâce militaire de Jeanne d’Arc. A la tête d’une petite troupe, elle mène de petites campagnes miliaires, mais sans grand succès.

ELLE EST BRÛLÉE VIVE À ROUEN

Le 23 mai 1430, elle est capturée par les Bourguignons. Charles VII ne verse pas de rançon comme il était d’usage à l’époque, et ce sont finalement les Anglais qui paient 10 000 livres tournois. Débute alors un périple dans différentes villes du nord de la France, alors sous contrôle anglais. Après plusieurs tentatives d’évasion, elle arrive à Rouen où se déroule son procès. Après plusieurs mois d’interrogatoires à charge menés par Pierre Cauchon, évêque de Beauvais, et de mauvais traitements de la part des Anglais, elle est contrainte de signer un acte d’abjuration. Elle reprend alors les vêtements de femme et semble sauvée. Mais dans sa geôle, elle est battue, et un lord anglais « tente » de la « forcer ». Elle reprend alors les vêtements d’homme et devient relapse, c’est-à-dire retombée dans ses erreurs. Son sort est scellé, elle est finalement brûlée vive sur un bûcher dressé sur la place du vieux marché de Rouen, le 30 mai 1431. Ses restes sont dispersés dans la Seine pour éviter de créer des reliques. Dans le chapitre 32 du livre Quand la science explore l’histoire par Philippe Charlier, le supplice de Jeanne d’Arc est décrit, suivi de l’histoire de ses « reliques » et de leur analyse.

Aléas de la postérité

Célèbre de son vivant, tant chez ses alliés que chez ses ennemis bourguignons et anglais, sa postérité après son exécution ne s’est jamais véritablement démentie. De son vivant déjà, plusieurs auteurs, dont Christine de Pisan, la comparent aux neuf preuses (paragraphe 26).

Quelques années après sa mort sur le bûcher de Rouen, plusieurs femmes ont affirmé être Jeanne d’Arc ayant échappé à la mort. La majorité sont rapidement confondues pour leurs mensonges. Toutefois, deux d’entre elles sont passées à la postérité et l’une d’entre elles, Jeanne des Armoises, a même été reconnue par les propres frères de Jeanne d’Arc. Mais ces deux femmes disparaissent assez rapidement des chroniques.

Les notables de Troyes remettent les clefs de la ville au roi Charles VII en présence de Jeanne d’Arc.
Miniature du manuscrit de Martial d’Auvergne, Les Vigiles de Charles VII , Paris, BnF, département des manuscrits, Ms. Français 5054, fo 62 ro, vers 1484.

Ainsi, en 1455, le roi de France Charles VII, qui devait tant à la Pucelle d’Orléans, ordonne la tenue d’un procès en révision. Plus de 20 ans après sa mort, le nouveau procès mené par Thomas Basin lave l’honneur et la mémoire de Jeanne d’Arc. En effet, outre le fait que le premier procès mené à charge par Pierre Cauchon à la solde des Anglais ait été entaché de nombreuses irrégularités, il était impensable que le nom du Dauphin devenu roi soit rattaché à celui d’une femme hérétique et relapse.
Les décennies, puis les siècles suivants, Jeanne d’Arc reste dans la mémoire collective, mais sans éclat particulier. Avec la Renaissance, le Moyen Âge est relégué dans l’obscurité et, si les Lumières exhument le personnage de Jeanne d’Arc, c’est avec des écrits grivois voire licencieux.

Jeanne au siège d’Orléans
Jules Lenepveu, vers 1886-1890. Panthéon de Paris.

Il faut attendre le XIXe siècle et la mise en avant de grandes figures nationales pour que Jeanne d’Arc intéresse de nouveaux les historiens, les artistes, les hommes politiques et le grand public. Dans le siècle de l’émergence de l’État-nation dans toute l’Europe, la France, en opposition constante avec ses voisins, se cherche des héros historiques et iconiques. Sont ainsi convoqués Clovis, Charlemagne, Roland, Saint Louis, Eudes comte de Paris, ou encore Du Guesclin, mais également Jeanne d’Arc. Seule femme de ce panthéon national, elle représente à la fois les valeurs chrétiennes d’une partie de la population, une femme issue du peuple et, parallèlement, une cheffe de guerre victorieuse puisqu’elle a contribué à « bouter les Anglais hors de France » et donc à la protection du sol national. Jeanne d’Arc est alors disputée entre les catholiques, les royalistes et les républicains. Commence alors une période de réhabilitation de Jeanne d’Arc par les intellectuels et les autorités publiques, mais la tâche est loin d’êtres aisée.

Réhabilitation compliquée

Jules Bastien-Lepage, Jeanne d’Arc, 1879, h/t, 254 × 279.4 cm, Metropolitan Museum of Art

Réhabiliter une figure historique aussi ambivalente que Jeanne d’Arc s’est avéré d’emblée une opération compliquée. L’héroïne tragique et mystique inspire les artistes et les écrivains. Mais d’un point de vue politique, les avis sont partagés. Figure royaliste et chrétienne, elle n’a pas la faveur des révolutionnaires et des républicains du début du XIXe siècle, ce qui, allié à la misogynie de l’époque, contribue à la faire passer pour une paysanne simplette et une folle de Dieu.

Jeanne d’Arc en costume de paysanne, Paris, BnF, département des manuscrits, ms. Latin 14665, fo 349 ro, xve siècle.

Dès la fin de la période napoléonienne, Jeanne d’Arc connaît un engouement sous la restauration des Bourbons. Dès lors, les historiens s’emparent de son histoire, certains à desseins politiques. C’est ainsi que naissent les rumeurs sur sa survivance après 1431, voire son ascendance royale. Jeanne d’Arc ne serait alors plus une paysanne de Lorraine, mais la fille bâtarde d’Isabeau de Bavière et de Louis d’Orléans, cachée et élevée dans un but politique. Les historiens y voient alors une explication de son savoir militaire sur le maniement des armes, la direction de troupes ou encore le fait de monter à cheval en armure. Ces théories perdurent tout au long du XIXe et du XXe siècle. D’autres historiens ont clairement cherché à minimiser ses actions, la renvoyant à un statut de faire-valoir.

Statue de Jeanne d’Arc sur la place du Vieux Marché de Rouen

Dès 1909, l’Église catholique la fait béatifier et quelques années plus tard, en 1920, Jeanne d’Arc est canonisée et devient une des saintes patronnes secondaires de la France. Une loi instaure alors une fête nationale le second dimanche de mai. Dès lors, nombre d’écoles, surtout privées, adoptent le nom de Jeanne d’Arc, et chaque église, ou presque, du territoire y dépose une représentation. Dans le même temps, livres puis films à son sujet se multiplient, participant à l’engouement du public. En tant que figure chrétienne et nationale, il n’est pas étonnant que certains mouvements politiques aient tenté, tout au long du XXe siècle, de s’accaparer le personnage politique de Jeanne d’Arc. De ce fait, l’image de Jeanne d’Arc, présente dans l’inconscient collectif, devient peu à peu une figure sulfureuse.
Ainsi, depuis plusieurs décennies, l’image de Jeanne d’Arc est associée au Front national. Depuis 30 ans, le Front national organise des défilés du 1er mai destinés à honorer Jeanne d’Arc la patriote et Jeanne d’Arc la fille du peuple, deux thématiques chères à ce parti. Ces défilés ont peu à peu remplacé les célébrations nationales instaurées en 1920

CETTE ASSIMILATION DE JEANNE D’ARC PAR LE FN EST TRÈS RÉCENTE.

Mais ce n’est pas une tentative nouvelle. En effet, depuis longtemps, de nombreuses factions et mouvances de droite catholique et d’extrême droite, mais également de gauche et d’extrême gauche, se sont emparés de la sainte à des fins de propagande. Pendant la seconde moitié du XIXe siècle et une bonne partie du XXe, la gauche républicaine défend l’aspect populaire de la Pucelle, fille du peuple trahie par le roi et brûlée par l’Église, comme le rappelle l’historienne Colette Beaune citée dans cet article de L’Express. Cependant, après la Seconde Guerre mondiale, la ferveur s’étiole peu à peu de ce côté, laissant le champ libre à une récupération totale. Cette assimilation de Jeanne d’Arc par le FN est très récente, puisque le premier défilé parisien date du début des années 1980. Dès lors, sa réhabilitation populaire semblait impossible et l’évocation même de son nom sujette à caution.

Cependant, la situation change doucement. Des ouvrages d’histoire, mais également des bandes dessinées et surtout, depuis 2015, l’ouverture au public de l’Historial Jeanne d’Arc qui lui est consacré à Rouen rééquilibrent la situation. Cet historial présente, de manière documentée, contextualisée et ludique, l’histoire de Jeanne d’Arc.

Salle gothique de l’Historial Jeanne d’Arc à Rouen

D’autre part, Jeanne d’Arc est une figure populaire dans plusieurs pays et se manifeste parfois de manière étonnante dans la pop culture. Ainsi, au Japon, elle apparaît dans des mangas comme Fate, Jeanne, et dans des jeux vidéo.

A la rédaction, nous avons été emportés par le destin de Jeanne d’Arc et les aléas de sa postérité mémorielle ainsi que les tentatives de récupération dont elle fait l’objet. Si le destin de Jeanne d’Arc vous a passionné, retrouvez d’autres femmes cheffes de guerre.

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Armoises
Armoises
3 années

Pourquoi ne pas évoquer le retour de Jeanne à Metz en 1436 ?
http://www.jeannedomremy.fr