L’animation japonaise a soufflé ses cent bougies. Aujourd’hui largement plébiscité par la critique et le grand public, ce fer de lance de la diffusion de la culture japonaise dans le monde a connu une lente maturation avant une explosion rapide. Petit retour sur un siècle d’animation Japonaise.

PETITE HISTOIRE DE L’ANIMATION JAPONAISE

Les expérimentations

Empereur Meiji (1852-1912) après 1890

Au tout début du XXe siècle, tout est à inventer dans le cinéma d’animation. Le Japon découvre les films d’animation occidentaux à la toute fin de l’ère Meiji (1862-1912) et s’intéresse vite au support. Les recherches effectuées par les historiens évoquent ainsi une première diffusion publique d’un film d’animation japonais en janvier 1917. Cette même année, 18 films d’animations japonais sont recensés dans les sources. A cette époque, point de celluloïd ou de numérique mais de nombreuses expérimentations artistiques : peinture, papier découpé, craie, peinture directement sur la pellicule.

Comme le rappelle Brigitte Koyama-Richard, l’animation japonaise, même si la technique vient d’Occident, s’inspire des traditions artistiques anciennes comme les rouleaux peints emaki (déroulé en séquence au fur et à mesure de l’avancement du récit) ou encore les kamishibai (spectacle de rue où un conteur accompagne son récit de dessins).

Capture d’écran du film d’animation Namakura Gatana, restauré en 2008 au Centre du Film de Tokyo.

Les trois pionniers reconnus de l’animation japonaise sont Shimokawa Ôten (ou Hekoten), Kitayama Seitarô et Kôuchi Junichi (ou Sumikazu). En 1916-1917, ils ont été les premiers à travailler sur des mini-films d’animation. Plus tard, deux d’entre eux ont créé les premiers studios d’animation dans les années 1920. Très vite, au cours des années 20, le cinéma d’animation japonais se démarque de la production cartoonesque pour proposer des sujets adultes et parfois tragiques comme dans Genzô Akagaki, tokkuri no wakare / Genzô Akagaki, la coupe de l’adieu (1924) de Hakuzan Kimura.

Que ce soit Tezuka dans les années 1960 ou les studios actuels, il y a toujours une volonté d’expérimentation graphique et narrative. L’on pense bien entendu au travail du regretté Satoshi Kon mais également des séries comme La mélancolie d’Harumi Suzumiya ou encore Trapèze (Kuchu Branko), Gankutsuou le comte de Montecristo et Concrete Revolutio.

Installation dans son marché national

Après la Seconde Guerre mondiale, le dessin animé japonais change d’échelle. Le studio Toei achète un petit studio d’animation. Toei investit massivement dans la structure dont l’effectif passe de 20 à plus de 500 personnes et sort 19 longs métrages dans ses quinze premières années d’existence.

Osamu Tezuka, grand admirateur de Walt Disney, se lance dans l’animation. En 1961, il fonde le studio Mushi qui est le premier à produire une série animée hebdomadaire dont chaque épisode dure 20 minutes, qui préfigure les cadences de productions postérieures. En 1963, il connait un succès retentissant avec Astro le petit robot.

Avec l’essor de la télévision, les productions animées connaissent un succès retentissant. De plus en plus de studios apparaissent, et les films et séries sont largement diffusés à travers le pays. Peu à peu, les séries d’animations prennent le pas sur les longs métrages d’animation, plus coûteux, plus longs à produire et moins rentables.

Cependant, revers de la médaille, la profession se précarise et les conditions de travail se détériorent. Cette situation perdure toujours aujourd’hui et est l’une des raisons de la crise actuelle que connait la profession.

Explosion internationale

A partir des années 1970, le Japon, fort de sa colossale production de séries animées, exporte de plus en plus vers les Etats Unis et l’Europe. Les séries animées arrivent alors sur les écrans occidentaux, parallèlement aux productions locales. Déjà on remarque une différence flagrante entre la production japonaise à l’image de Candy ou d’Albator, les dessins animés américains portés par Disney et les séries pour enfants françaises, le plus souvent en stop motion comme Le Manège enchanté ou Sidonie et Aglaé.

EN FRANCE, DES SCÈNES SONT COUPÉES CAR JUGÉES TROP VIOLENTES POUR UN PUBLIC JEUNESSE

En France, c’est l’émission Récré A2, débutée en 1977, qui présente les premiers animés japonais. Ils forment ensuite le cœur du Club Dorothée lancé en 1987, car leur prix est largement inférieur aux autres séries. A ce moment-là, les films d’animations et les séries animées sont vues en Occident comme destinés aux enfants à quelques exceptions près, comme le chef-d’œuvre français Le Roi et l’oiseau. Au cours des dix ans de diffusion du club Dorothée, certains animés comme Dragon Ball, Ken le Survivant, Lamu ou les Chevaliers du Zodiaque ont soulevé la polémique car, si au Japon ils sont destinés à un public d’adolescents et de jeunes adultes, en France, les spectateurs étaient bien des enfants. Pour cette raison, les dialogues sont souvent adaptés et certaines scènes sont coupées, voire le scénario altéré, car jugé trop violent pour un public jeunesse.

Avec l’avènement d’internet à haut débit au milieu des années 2000, il est devenu aisé de visionner des séries complètes en streaming et de les partager sur les réseaux sociaux, les forums et les sites spécialisés. Parallèlement, les éditeurs français proposent un nombre toujours croissant de licences en provenance du Japon.

Depuis la sortie au cinéma du Voyage de Chihiro, les longs métrages d’animations japonais sont de plus en plus attendus par le public occidental. Studio Ghibli en tête, les films japonais sont de plus en plus reconnus par la critique et le public. Le succès récent de Your Name de Makoto Shinkai en est le plus brillant exemple, tout comme l’accélération des sorties de films d’animations japonais au cinéma.

CHANGEMENT DE PERCEPTION

Une portée patriotique

Dès les débuts de l’animation au Japon, le gouvernement s’intéresse à ce support, notamment en commandant des petits films à visées pédagogiques de quelques minutes.

Mais c’est à partir des années 1930, alors que le pays entre dans une phase de repli nationaliste politique et d’expansion coloniale, que les productions patriotiques commencent à voir le jour. L’armée investit massivement dans les studios d’animation. Les films d’animations, très populaires, permettent de distiller facilement des messages au peuple. En adoptant le style cartoonesque typiquement américain, très en vogue dans l’archipel, la production se standardise. Mais les personnages mis en scènes sont issus de l’histoire et du folklore japonais et servent une idéologie nationaliste, impérialiste et xénophobe. Les premiers ennemis mis en scène sont les chinois (représentés en cochons) puis les russes (dessinés comme des ours blancs ivrognes) avant d’être les américains (avec un simulacre de Mickey) à partir de 1936.

À PARTIR DE 1939, LE GOUVERNEMENT JAPONAIS PROMULGUE UNE LOI RENFORÇANT LA CENSURE DES MÉDIAS ET DES DIVERTISSEMENTS : LES FILMS DOIVENT TOUS METTRE EN AVANT LE PAYS ET LES VALEURS PATRIOTIQUES

Pendant la guerre, le ministère de l’éducation japonais commande également des films de propagande directement destinés aux enfants, prônant les valeurs traditionnelles familiales, valorisant le travail et l’entraide en période difficile.

C’est vers la fin de l’année 1945 que le premier long métrage d’animation japonais voit le jour : Momotaro le divin soldat de la mer. En 74 minutes, le héros, issu des contes traditionnels japonais, dirige les troupes japonaises victorieuses qui soumettent les peuples voisins. Il est l’aboutissement technique et idéologique des commandes de propagande. L’Empire japonais capitule quelques mois plus tard, mettant un terme à ce type de commandes gouvernementales.

Une composante économique et culturelle de premier plan

A partir des années 1960, le nombre de grands studios d’animation japonais augmente, tout comme la production massive de films et de séries d’animation. Les studios peuvent ainsi se permettre de vendre à bas coût leur production, assurant leur export.

Le vif succès rencontré en occident par les séries d’animation japonaises à partir des années 1980 et 1990 attire l’attention du gouvernement. Les séries animées s’inspirent de plus en plus de la vie quotidienne et de la culture japonaise. Les enfants du monde entier sont ainsi familiarisés très jeunes à la culture japonaise, en douceur. La culture japonaise devient ainsi un centre d’intérêt en occident et les séries d’animation japonaise un support à l’exportation et à la valorisation de l’image du Japon à l’étranger. C’est aujourd’hui particulièrement visible dans la politique du « Cool Japan » mise en place par le gouvernement nippon à destination de l’étranger.

La Japan Expo de Paris © Flickr / Frédéric BISSON

Cette production et cet export massif sont également une composante importante de l’économie japonaise. Fondée sur une précarité des animateurs, malgré de gros revenus, la profession est régulièrement en crise et peine de plus en plus à trouver des animateurs de qualité qui refusent les conditions de travail aux cadences infernales et aux salaires très bas.

Il est souvent annoncé que le téléchargement illégal puis le streaming sauvage sont en cause dans la crise des studios d’animation, mais une réforme structurelle des conditions de travail des jeunes animateurs serait peut-être la bienvenue pour relancer la machine.

Le futur

Actuellement, le cinéma d’animation japonais est capable de proposer des films très avant-gardistes sur le plan technique comme Lou et l’île aux Sirènes ou encore Fireworks et Hirune Hime. L’iconique Miyazaki est sorti une énième fois de sa retraite et après s’être lancé dans un court-métrage en 3D, reprend la planche à dessins pour un nouveau long-métrage.

De jeunes réalisateurs comme Masaaki Yuasa (Lou et l’île aux sirènes) et Naoko Yamada (A Silent Voice) sont le visage d’un renouveau de l’animation japonaise aux côtés de Makoto Shinkai.

DE MULTIPLES CÉLÉBRATIONS

Dans les festivals

Les films d’animations japonais sont les habitués des grands festivals. Aussi, il n’est pas étonnant de voir ces mêmes festivals célébrer les 100 ans de l’animation japonaise. Au premier rang, l’on trouve le festival international du film d’animation d’Annecy.

Le festival international du film d’animation d’Annecy

Annecy

Il propose une sélection de six courts métrages d’animation datant de 1917 à 1947 en version restaurée. De la bleuette infantile au conte moral, en passant par la chansonnette animée d’Ari-chan de Mitsuyo Seo, les courts-métrages proposent tout un éventail de la production nippone de la première partie du XXe siècle. Le plus étrange de la sélection est assurément celui sur le cycle de vie des plantes dont les choix artistiques font clairement penser au futurisme italien, avec une animation hypnotique à tendance épileptique des plus intéressante.

Le plus abouti techniquement raconte l’histoire d’une maman crabe et de son petit tourmentés par un singe voleur. Enfin, coup de cœur pour Le goitre volé qui ressemble à un manga ancien animé.

Japan Expo

Toujours en été, la Japan expo a souhaité revenir sur l’ensemble de l’animation japonaise à travers une exposition exceptionnelle. Sur 600m², une grande rétrospective propose une sélection de 100 films d’animation japonais. 80 titres ont été sélectionnés par l’équipe de Japan Expo et un comité d’experts pour les années 1917 à 1999. Le public a été sollicité pour choisir 20 anime parmi une sélection effectuée par le comité pour les anime sortis à partir des années 2000, correspondant à la période de l’existence du festival. Pour réunir ces éléments, l’équipe du festival a travaillé durant plus d’un an avec de nombreux studios, producteurs et artistes au Japon, mais aussi avec les éditeurs et distributeurs français, et de nombreux collectionneurs.

Six salles dédiées à six thématiques représentatives offraient un panorama complet de l’animation et s’articulaient autour d’une salle de projection. Y étaient diffusés des films inédits. Certaines de ces productions encore inconnues du public français et ont été sous-titrées tout spécialement à l’occasion d’Animé 100.

Pour l’occasion, la Bibliothèque Nationale de France est venue pour la première fois au salon pour présenter son riche fond japonais issu du dépôt légal dont des éditions vidéo de films d’animation des années 80 et 90.

Des sommités de l’animation japonaise sont également venues donner des conférences et des interviews.

Forum des Images

Enfin, en décembre, c’est au tour du Forum des images de proposer un hommage au cinéma japonais pour son centenaire. Ainsi, le Carrefour de l’Animation a présenté plusieurs films d’animation japonaise dont plusieurs encore inédits tel (Night is Short, Walk on Girl), des conférences avec Keiichi Hara (Colorful et Miss Hokusai) ou encore sur la restauration des animés japonais en France.

Le livre Un siècle d’animation japonaise

A l’occasion du Forum des images, les éditions Ynnis proposent Un siècle d’Animation japonaise de Matthieu Pinon et Philippe Bunel. Ce bel ouvrage d’un peu plus de 200 pages s’articule autour de quatre grandes thématiques sur l’histoire et les mutations de l’animation japonaise. Richement documenté et illustré, l’ouvrage est accessible aussi bien aux néophytes qu’aux passionnés.

Pour conclure, le cinéma d’animation japonais et les séries d’animation ont connu une évolution et un succès sans équivalent. Si le Japon n’était pas l’un des pionniers du genre, il a su s’approprier ce genre cinématographique et y fondre sa culture et ses traditions. Avec sa production massive et ses bas coûts, il s’est imposé au niveau international, touchant toute la génération des enfants occidentaux des années 1980-1990. Ces mêmes enfants qui sont aujourd’hui les plus grands fans du Japon et de sa culture.

Techniquement en avance, le Japon surprend toujours dans les festivals d’animations internationaux et remporte régulièrement les prix les plus prestigieux. Pour permettre au plus grand nombre de découvrir les plus anciennes perles de l’animation japonaise en version restaurée, il est possible de les retrouver sous-titrés en anglais sur le site Japanese Animated Film Classics.

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