Durant l’Antiquité, la ville de Baia était un lieu particulièrement huppé où riches et puissants assouvissaient leurs désirs les plus fous. Retour sur l’histoire du « Las Vegas » de l’Empire romain, peu à peu englouti par les eaux.

LA CAPITALE DE LA DÉBAUCHE

Il y a plus de 2 000 ans, la station thermale de Baia, située à 30 kilomètres de Naples, permettait aux poètes, généraux, riches et puissants d’assouvir leurs désirs les plus fous. Le grand orateur romain Cicéron y a écrit de nombreux discours, tandis que le poète Virgile et l’écrivain Pline l’Ancien disposaient de résidences à quelques pas des thermes romains.

Capitale de la fête et de la débauche, Baia était le lieu de villégiature privilégié par les citoyens romains les plus riches, et les hommes d’État construisaient de somptueuses villas près de ses plages, disposant de thermes chauffés et de piscines carrelées de mosaïques où ils pouvaient assouvir tous leurs fantasmes.

La baie de Baia, par le peintre Joseph Mallord William Turner

Un habitué y avait même fait construire une nymphée, sorte de caverne privée dédiée uniquement au « plaisir terrestre » entourée de statues de marbre.

Comme l’explique John Smout, chercheur travaillant aux côtés des archéologues chargés d’effectuer des fouilles sur le site : « Baia aurait été le théâtre de nombreuses histoires intrigantes. »

La légende veut que Cléopâtre s’en soit échappée à bord d’un navire après le meurtre de Jules César en 44 avant J.-C., tandis qu’Agrippine y aurait empoisonné son mari Claude afin que son fils Néron devienne empereur de Rome.

AGRIPPINE Y AURAIT EMPOISONNÉ CLAUDE AFIN QUE SON FILS NÉRON DEVIENNE EMPEREUR DE ROME

« Elle a empoisonné Claude en lui faisant ingérer des champignons toxiques lors d’un dîner », explique Smout. « Cela n’a pas suffi, alors la nuit même, elle a demandé à son médecin personnel de lui administrer une nouvelle dose de poison, qui s’est cette fois révélée mortelle. »

Les eaux thermales et le climat particulièrement doux de Baia ont d’abord attiré la noblesse durant la seconde moitié du IIe siècle avant J.-C. La ville était alors connue sous le nom de « champs Phlégréens », en raison des nombreuses caldeiras qui parcouraient la région.

« J’ai visité cette région quand j’étais enfant. Je me souviens que le guide avait enfoncé un parapluie dans le sol, et que de la vapeur et de la lave en étaient sorties », ajoute Smout.

Néron à Baia, par le peintre Jan Styka

LES CALDEIRAS ÉTAIENT VÉNÉRÉES PAR LES ROMAINS

Durant l’Antiquité, les caldeiras étaient vénérées par les Grecs et les Romains qui les considéraient comme des points d’entrée vers le monde souterrain. Ces dernières ont également permis un certain nombre d’innovations techniques, comme l’invention du ciment imperméable (constitué d’un mélange de chaux et de roches volcaniques), notamment utilisé pour construire des thermes somptueux.

Ironiquement, cette forte activité volcanique a aussi causé la chute de Baia. Durant plusieurs siècles, le bradyséisme, qui désigne dans ce cas précis une baisse lente du niveau du sol d’origine volcanique, a peu à peu enseveli une grande partie de la ville dans un tombeau aquatique.

À Baia, les touristes peuvent visiter le temple de Mercure

Il a finalement fallu attendre les années 1940 pour que cette partie du littoral italien jadis populaire connaisse un regain d’intérêt touristique, avec la publication d’une photographie aérienne laissant entrevoir un édifice imposant situé juste au-dessous de la surface de l’océan.

Le cliché a ensuite poussé les géologues du pays à étudier les ruines trouvées près du rivage, signes révélateurs que des parties de la colline avaient peu à peu été englouties sous les eaux.

Deux décennies plus tard, les autorités italiennes affrétaient un submersible afin d’étudier les fonds marins, et faisaient une découverte fascinante : l’activité sismique et la pression souterraine semblaient continuellement « engloutir » et « recracher » Baia au fil des siècles. Une sorte de « purgatoire géologique ».

UN « PURGATOIRE GÉOLOGIQUE »

Jusqu’à l’aube du XXIe siècle, ses ruines étaient étudiées par une poignée d’archéologues intrépides. Il a fallu attendre 2002 pour que ce site archéologique sous-marin soit désigné zone de protection marine et ouvert au public.

Depuis, la technologie de numérisation 3D et d’autres avancées dans le domaine de l’archéologie marine nous ont offert pour la première fois un large aperçu de ce chapitre de l’Antiquité : plongeurs, historiens et photographes ont réalisé des clichés de rotondes et portiques entièrement immergés, ainsi que du célèbre temple de Vénus (des thermes romains qui faisaient la renommée de Baia).

Ces découvertes leur ont ensuite permis d’en apprendre plus au sujet de cette capitale du péché et de la débauche sous l’Empire romain.

En raison de l’ondulation de la croûte terrestre, ces ruines se trouvent aujourd’hui dans des eaux relativement peu profondes (environ 6 mètres sous la surface). De nombreuses expéditions de plongée sont organisées et les touristes peuvent en admirer certaines en prenant un bateau doté d’un fond en verre.

LES RUINES DE BAIA SE TROUVENT À ENVIRON 6 MÈTRES SOUS LA SURFACE

Par temps calme, il est possible de voir des colonnes romaines, des routes anciennes et des places élégamment pavées, ainsi que les statues de Claudia Octavia (fille de l’empereur Claude) et Ulysse, qui marquent l’entrée de grottes sous-marines.

La plupart des reliques immergées sont en fait des répliques. Pour admirer les vraies, les visiteurs doivent se rendre sur la colline du château de Baia, où elles sont exposées dans un musée. Beaucoup de ruines de la cité romaine sont également visibles à proximité du Parco Archeologico delle Terme de Baia, partie de la ville antique qui n’a pas été engloutie.

Ces ruines composées de terrasses en mosaïques et de bains romains en forme de dôme ont été excavées durant les années 1950 par Amedeo Maiuri, l’archéologue qui avait aussi participé aux fouilles de Pompéi et Herculanum.

Si vous souhaitez admirer les reliques de ce Las Vegas de l’Antiquité, il va cependant falloir faire vite. Les sismologues prédisent un regain d’activité volcanique le long de la côte de Baia, qui rendra une fois de plus le sort de la ville engloutie particulièrement incertain. Vingt tremblements de terre de faible amplitude ont été enregistrés dans la région l’année dernière, et les autorités locales ont déjà évoqué la possibilité de fermer définitivement l’accès aux ruines sous-marines aux touristes.

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