Il arrive parfois qu’on pense à ce qui pourrait arriver à notre corps après la mort : inhumation, incinération… Mais une autre question se pose également : que peut donc devenir notre patrimoine génétique une fois décédé ? Une question éthique qui a justement été débattue et qui a opposé une famille américaine à bon nombre de chercheurs.

Donner son corps à la science est un acte louable et qui peut être utile pour faire avancer la recherche concernant certaines maladies. Mais dans le cas de Henrietta Lacks, morte d’une tumeur en 1951, ce don n’a pas été volontaire et depuis, ses cellules continuent d’être utilisées par des chercheurs et organismes privés. Des cellules de la tumeur en question avaient été prélevées avant sa mort. Les scientifiques ont ensuite découvert que celles-ci survivaient en dehors du corps humain et pouvaient être cultivées dans des boîtes de pétri ou encore in vitro.

Ainsi, pendant 62 ans, le double de l’âge qu’avait Henrietta à sa mort, les cellules de la tumeur ont été exploitées par des scientifiques aux quatre coins du monde, servant pour la recherche sur des vaccins, des tumeurs, etc. Un nom leur a même été attribué : les cellules HeLa. Le problème, c’est que la famille d’Henrietta, aujourd’hui composée de ses descendants, petits-enfants et arrière petits-enfants, n’était absolument pas au courant de l’utilisation du génome de leur aïeule. En tout cas, pas jusqu’en 1973, année où un scientifique qui utilisait des répliques des cellules HeLa a appelé des membres de cette famille pour avoir un échantillon de sang.

Henrietta Lacks en 1945-1950.

Depuis, les descendants d’Henrietta Lacks se sont battus pour obtenir les droits de propriété (pour ainsi dire) du génome. Certains pour l’argent que ce trafic générait, d’autres simplement pour réhabiliter leur parente. Certains organismes de recherche avaient même mis en ligne une version téléchargeable gratuitement de l’ensemble du patrimoine génétique d’Henrietta ! Selon l’écrivain et journaliste Rebecca Skloot, les scientifiques avaient même la possibilité de dresser des rapports « remplis d’informations personnelles concernant Henrietta et sa famille » rien qu’en disposant de ces cellules prélevées il y a 62 ans !

Mais après plusieurs années d’oppositions farouches, la famille Lacks a finalement obtenu gain de cause en 2013. C’est l’Institut National de la Santé américain, le NIH qui a tranché : oui, la famille d’Henrietta a son mot à dire dans l’utilisation qui est faite de ses gènes, mais ne bénéficiera pas de contreparties financières. La petite-fille, Jeri Lacks Whye, explique au New York Times : « Le gros problème est l’intimité. Savoir que les informations sur notre grand-mère, sur nous-mêmes, pouvaient se retrouver dans la nature. » Avec cet accord, la famille d’Henrietta sera désormais consultée lorsque quelqu’un voudra utiliser ses cellules. Cependant cet accord ne permet qu’aux laboratoires affiliés au NIH de pouvoir demander cette autorisation.

La famille d’Henrietta Lacks en 2009.

Une histoire qui pose une question éthique fondamentale : les scientifiques ont-ils tous les droits concernant l’utilisation de nos gènes ? Grâce à cet accord qui fera certainement jurisprudence s’il devait y avoir des cas similaires dans le futur, la famille des personnes décédées dont on utilise l’ADN aura son mot à dire. L’utilisation de cellules pourra être limitée voire interdite si c’est le souhait des proches de la personne.

Heureusement, les cellules de tumeur d’Henrietta Lacks ont surtout été utilisées pour des recherches contre le cancer, des maladies, des vaccins, etc. On n’ose pas imaginer ce qu’un scientifique un peu fou aurait pu faire avec cet ADN… Peut-être du clonage ? On est rassuré de savoir que des démarches existent pour permettre à n’importe qui de protéger le patrimoine génétique d’un membre de sa famille décédé ou tout simplement plus en mesure de le faire lui-même. Comment réagiriez vous si vous appreniez que les gènes d’un défunt parent étaient utilisés à votre insu pour les besoins de la science ?

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