Voici un oiseau qui ne ménage pas ses efforts pour obtenir les grâces de ces demoiselles, en établissant une véritable stratégie de séduction. Les oiseaux jardiniers mâles construisent sur le sol des tonnelles faites d’herbes sèches et de brindilles. Afin d’attirer les femelles, ces tombeurs décorent leurs garçonnières de façon créative avec des couleurs assorties et des effets d’optique, sans reculer devant la triche ou le vol pour se mettre en valeur…

Quand on retourne à Disneyland une fois sorti de l’enfance, on ne peut pas s’empêcher de poser des questions sur le règne des illusions. Mickey Mouse, par exemple, n’est pas du tout une souris, mais une personne déguisée en souris. L’architecture est elle aussi trompeuse. Ce château géant n’est pas aussi grand qu’il n’y paraît, parce que ses architectes ont appliqué un stratagème appelé perspective forcée : les fenêtres près du sommet sont plus petites, donc elles semblent plus éloignées.

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L’oiseau jardinier aurait trouvé cet effet trompe-l’œil risible. Il déployait ses propres astuces visuelles bien avant que Walt Disney ait développé les siennes. Le jardinier à nuque rose mâle construit une belle structure tubulaire faite de brindilles, d’os et de coquilles d’escargots pour créer des cours à chaque extrémité. Il les organise d’une manière très particulière, bien qu’à l’opposé de ce qui se passe à Disneyland : en déployant la perspective forcée, le jardinier mâle rend sa cour visuellement plus petite. Et il le fait avec un objectif très précis : faire une belle rencontre et se mettre en couple. Voici la saga du jardinier séducteur, une romance qui comporte plus de mensonges, d’illusions et même de vols que certaines séries télévisées…

En Australie et en Nouvelle-Guinée, 24 espèces des Ptilonorhynchidae (car tel est le nom scientifique de cette famille d’oiseaux) cultivent des rituels d’accouplement plutôt bizarres et qui nous font mieux comprendre l’expression « faire la cour ». Certains mâles construisent de bâtons et de brindilles sèches de grandes structures appelées des tonnelles qui ressemblent à des grottes, en aménageant une cour où ils amassent des objets de couleurs très particulières. Un tas de ferraille bleu, par exemple, pourrait inclure des baies, une pièce de plastique bleu et toutes sortes d’objets insolites. D’autres oiseaux jardiniers construisent des tonnelles plus simples et plus petites, faites de bâtons disposés verticalement pour créer une sorte de tunnel.

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Le jardinier à nuque rose mâle est dans ce dernier camp privilégiant une décoration des plus minimalistes : pour aménager sa cour, il choisit les roches ternes, des coquilles d’escargots et des os. Mais il se rattrape sur le poids des décorations pouvant atteindre 11 kg. Cela peut prendre plus d’un mois à un mâle pour apporter, parfois de relativement loin (deux à trois kilomètres), tous ces éléments décoratifs.

Cependant la femelle du jardinier ne s’en soucie pas. La phase centrale de la parade nuptiale se déroule de la façon suivante : le mâle se place dans un buisson au-dessus de sa garçonnière et appelle la femelle. Si elle le rejoint, il va descendre et prendre position dans l’une des cours. « Il commence à se pavaner et puis elle va à l’intérieur [de la tonnelle], et il se pavane un peu plus et fait un drôle de bruit », dit l’écologiste évolutionniste John Endler de l’université Deakin en Australie. « Une sorte de tick-tick-tick-tick. »

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Maintenant, imaginez que vous êtes la femelle du jardinier à nuque rose. Les murs serrés de la structure dirigent votre attention sur la cour. Si le mâle avait placé des objets de toutes tailles pêle-mêle tout au long de la cour, elle semblerait assez grande à vos yeux. Les objets plus éloignés paraissent plus petits et donnent une impression de profondeur.

Or ce n’est pas ce qui se passe ici. Les os et les pierres semblent avoir la même taille parce que le mâle est en train de tricher. Il a placé les plus grands objets plus loin de l’œil et les petits plus près de vous. Selon Endler, cela a pour effet de rendre la cour plus petite et l’oiseau lui-même plus grand. Il utilise l’art de la perspective forcée pour se mettre en valeur.

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Ce n’est pas la seule illusion d’optique utilisée par cet oiseau malin. A un autre stade du processus d’accouplement, il prend position à côté de l’entrée de sa charmante demeure, en se mettant de façon à ne pas obstruer la vue des objets à la femelle. Après tout, les mâles qui trouvent les objets les plus jolis et les plus colorés sont les plus désirables.

C’est là où cela devient intéressant : alors que l’extérieur de la tonnelle semble assez simple, le mâle a peint l’intérieur en rouge en mastiquant des morceaux de plantes et de fruits. Il n’a pas fait cela pour mettre la femelle dans l’ambiance, mais pour jouer avec sa vision de la couleur. Le mâle ramasse un objet typiquement coloré, que la femelle voit sur le fond gris de la cour, et l’agite. Il rejette l’objet, en saisit un autre, et l’agite aussi. Il va aussi secouer de temps en temps la crête colorée sur sa tête pour faire bonne mesure.

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Pendant tout ce temps, les yeux de la femelle s’ajustent à la peinture rouge bordant la tonnelle. A ce moment-là, sa rétine compare les données fournies par différents cônes, c’est-à-dire des photorécepteurs sensibles au rouge ou au vert.

Mais la peinture est faite pour stimuler ses cônes rouges. « A la fin, la femelle va devenir moins sensible à la lumière rouge, ce qui fera ressortir les objets verts », explique Endler. La bataille entre les cônes rouges et verts est gagnée par les verts. (Les cônes humains fonctionnent de la même façon. Vous pouvez voir comment le vert et le rouge sont liés dans votre globe oculaire avec cette démonstration. En regardant les rayures vertes, vous désensibilisez vos cônes verts, donc quand vous regardez un objet blanc, le rouge remplace le vert de façon presque magique.) En effet, le mâle va agiter une quantité disproportionnée d’objets verts devant les yeux de la femelle habitués au rouge afin de l’impressionner.

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Après ce rituel qui dure en moyenne une minute, advient la phase périphérique de la parade nuptiale. Le mâle court autour de la tonnelle en bombant le torse. Si la demoiselle en quête de reproducteur est réceptive, elle va le laisser s’accoupler avec elle. Sinon, elle va s’envoler comme une vraie allumeuse. En général, l’amoureux éconduit se console assez vite, étant adepte de polygynie.

Pour la mise en scène de la parade nuptiale, les mâles ne doivent pas seulement s’occuper de la logistique et des effets spéciaux. Les opportunistes n’hésitent pas à détruire les tonnelles de leurs voisins ou à voler des objets laissés sans surveillance. Ceci est relativement rare si les tonnelles sont espacées de plusieurs centaines de mètres. Mais quand la densité augmente, le maraudage aussi. « Il y a l’autre côté de la médaille : si vous partez marauder chez quelqu’un, votre propre tonnelle risque de subir le même sort », relativise Endler. « Cela ressemble beaucoup à ce qui se passe en politique, n’est-ce pas ? »

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Il est vrai, l’oiseau jardinier n’est pas l’animal le plus loyal ni le plus fidèle en amour. Mais il est sûrement l’un des plus créatifs. Au lieu de simplement offrir un cadeau à la femelle ou bien d’exposer un plumage exubérant, le jardinier érige une construction digne d’une œuvre d’art.

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