Pendant plus de cent ans, la classification des mérous à dents longues a suscité un débat dans le monde scientifique. Grâce à une étude approfondie menée par une équipe de chercheurs, et à la découverte décisive d’échantillons sur un marché au Vietnam, une nouvelle espèce de mérou, appelée mérou de boue (Epinephelus randalli), a enfin été identifiée. Cette découverte, publiée dans la revue Species Diversity, éclaire d’un jour nouveau la taxonomie de ces poissons prisés pour leur valeur commerciale en Asie.
Une confusion historique et taxonomique
En Asie de l’Est, les mérous à dents longues sont très appréciés pour leurs qualités culinaires. La question de savoir s’il s’agit d’une seule espèce ou de deux espèces différentes était au cœur de la controverse. La problématique remontait au XVIIIe siècle, lorsque les premières descriptions scientifiques des mérous à dents longues avaient distingué deux espèces : Epinephelus bruneus, identifiée en 1793, et Epinephelus moara, décrite en 1843.
Cependant, au fil du temps, les scientifiques ont regroupé ces poissons sous une seule espèce, E. bruneus. Ce changement a engendré une confusion durable, amplifiée par des diagrammes scientifiques imprécis, des variations physiques subtiles, et l’utilisation de noms locaux qui se chevauchaient.
Malgré des décennies de débat, aucun consensus clair n’a émergé, laissant des zones d’ombre dans la classification et les stratégies de gestion de ces poissons. Face à cette situation, une équipe de chercheurs a décidé d’approfondir l’enquête pour mettre fin à cette controverse.
Une nouvelle espèce émerge
Le point de départ de cette avancée scientifique a été les marchés aux poissons très animés de Ha Long, au Vietnam. Les chercheurs y ont acquis plusieurs spécimens de mérous provenant des eaux côtières de la mer de Chine méridionale. À ces échantillons s’ajoutaient d’autres spécimens collectés dans diverses régions, incluant notamment les eaux autour de Taïwan, de la Corée du Sud et du Japon.
L’équipe a combiné plusieurs approches pour analyser ces spécimens : des examens morphologiques détaillés, une analyse de l’ADN et une consultation de documents historiques. Ces méthodes ont permis de révéler des différences nettes et constantes entre les populations de mérous vivant dans la mer de Chine méridionale et celles de la mer de Chine orientale. Les résultats ont confirmé que ces deux populations représentaient en réalité deux espèces distinctes.
La première, située au nord, regroupe les mérous à longues dents, dont l’appellation scientifique E. bruneus a été confirmée. La seconde, vivant dans les eaux méridionales, a été identifiée comme une nouvelle espèce : le mérou de boue (E. randalli), nommé en l’honneur de l’éminent ichtyologiste John E. Randall, décédé en 2020. Les différences entre ces deux espèces se manifestent notamment par la structure de leurs nageoires dorsales. Les mérous de boue présentent des rayons plus fins et flexibles sur leurs nageoires, en contraste avec ceux des mérous à longues dents.
Implications pour la pêche et la conservation
Cette étude a également mis en évidence l’ambiguïté historique qui a persisté dans la taxonomie de ces poissons. Les chercheurs précédents ont utilisé des diagrammes incomplets ou déformés, ce qui a entraîné une mauvaise identification des populations et des hypothèses erronées. Les mérous à longues dents se trouvent dans les régions septentrionales, tandis que les mérous de boue se trouvent dans les mers côtières du sud de Taïwan, de la Chine et du Vietnam.
Cette redéfinition taxonomique ne se limite pas à une simple clarification scientifique. Elle revêt une importance capitale pour la gestion durable des ressources marines. En identifiant clairement les espèces, les chercheurs peuvent améliorer le suivi des populations de poissons, mieux évaluer les impacts de la pêche, et adapter les stratégies de conservation à leurs besoins spécifiques.
Dans leurs conclusions, les chercheurs soulignent l’importance de l’utilisation de noms scientifiques précis. « L’utilisation de noms scientifiques corrects est fortement recommandée pour le développement approprié de la gestion des stocks, de l’aquaculture et de la conservation des mérous », insistent les auteurs de l’étude. Par ailleurs, le mystère de la mort de centaines d’éléphants au Botswana a été élucidé.