Pendant quatre décennies, la conjecture du lit superposé est restée une idée acceptée et apparemment évidente dans le domaine des mathématiques, sans que quiconque n’en remette en question la validité. Cependant, une récente publication a bouleversé cette croyance bien ancrée, prouvant que l’hypothèse était erronée.
Une conjecture simple mais intrigante
Proposée en 1985 par le physicien Pieter Kasteleyn, la conjecture du lit superposé concerne les graphes, un objet central dans la théorie des graphes. Un graphe est une structure composée de sommets reliés entre eux par des arêtes, souvent utilisée pour modéliser des réseaux, qu’il s’agisse de connexions sociales ou d’autres systèmes complexes.
En doublant ce graphe, on obtient un « graphe à lit superposé », où deux copies identiques du graphe sont reliées par des « posts ». L’idée était de se déplacer d’un point à un autre dans ce graphe et de voir si, après avoir supprimé certaines connexions, on pouvait encore atteindre un autre sommet.
La conjecture stipulait que la probabilité de pouvoir se rendre d’un point « u » à un autre « v » au sein du même niveau serait toujours supérieure ou égale à la probabilité d’atteindre un point « v’ » situé sur le niveau supérieur. Cette idée semblait intuitivement correcte et n’avait jamais été mise en doute pendant de nombreuses années, faute de contre-exemple probant.
Une réfutation inattendue
Pourtant, en juin 2024, la situation a radicalement changé. Un groupe de chercheurs dirigé par Igor Pak, professeur à l’université de Californie à Los Angeles (UCLA), a publié un article sur le serveur de préimpression arXiv, réfutant la conjecture. Ce travail a mis en évidence qu’un contre-exemple existait bel et bien, et que l’idée initiale était fausse. Bien que l’article n’ait pas encore été soumis à une évaluation par les pairs, il a d’ores et déjà secoué le monde des mathématiques.
En mathématiques, il est souvent plus simple de réfuter une conjecture que de la prouver. Il suffit de trouver un seul contre-exemple. Toutefois, la conjecture semblait si évidente que personne ne cherchait à en réfuter la validité. Mais la clé de la réfutation réside dans une approche des hypergraphes, des structures plus complexes que les graphes classiques. L’un des étudiants de Pak, Nikita Gladkov, a été le premier à analyser les travaux d’un autre chercheur, Lawrence Hollom, un étudiant de l’université de Cambridge.
Il avait déjà montré que la conjecture du lit superposé ne pouvait pas être généralisée aux hypergraphes. En convertissant l’hypergraphe de Hollom en un graphe classique, l’équipe a produit un graphe susceptible de réfuter la conjecture du lit superposé. Avec 7 222 sommets et 14 442 arêtes, il était tout à fait monstrueux. Selon M. Pak, la différence entre les probabilités correspondantes était minuscule, « astronomiquement petite », « de l’ordre de -10-6500 ». Les probabilités associées à la conjecture étaient négatives, ce qui prouvait sans ambiguïté que l’hypothèse était erronée.
Les implications de cette découverte
Cette réfutation a des conséquences importantes, non seulement pour la théorie des graphes, mais aussi pour d’autres disciplines comme la physique des fluides ou la percolation, qui s’appuyait sur la conjecture pour expliquer certains phénomènes physiques. Cependant, au-delà des applications pratiques, cette découverte soulève des questions plus profondes sur la manière dont les mathématiques évoluent.
L’un des débats clés qui en ressort est celui de la nature des preuves en mathématiques. Dans le contexte moderne, où les outils informatiques et les techniques de calculs massifs sont couramment utilisés, les chercheurs se demandent si des preuves probabilistes, qui ne garantissent pas la certitude absolue mais offrent une très haute probabilité, peuvent être acceptées comme valides.
Ce type de preuve, bien que largement accepté en physique, n’est pas toujours considéré comme suffisant dans les mathématiques pures, où la rigueur et l’exactitude à 100 % sont souvent exigées. Comme l’a déclaré Igor Pak, certaines conjectures sont motivées par des faits solides, tandis que d’autres reposent sur des croyances non vérifiées. La conjecture du lit superposé, selon lui, appartient à cette deuxième catégorie. Par ailleurs, voici combien de billets il vous faut pour gagner à la loterie, selon les mathématiques.
Par Eric Rafidiarimanana, le
Source: IFL Science
Étiquettes: mathématiques
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