Le 2 octobre 2018 dernier, la loi Egalim avait été adoptée par l’Assemblée nationale, après plus de 9 mois de débats parlementaires intensifs. Cette loi Agriculture et Alimentation offrait d’encourageantes perspectives pour obtenir une agriculture plus verte et respectueuse de l’environnement. Pourtant, 23 des 98 articles viennent d’êtres censurés par le Conseil Constitutionnel, mettant un coup d’arrêt aux défenseurs de la biodiversité, enthousiasmés par le projet initial. Explications.
Une censure conséquente sur un sujet déjà adopté par l’Assemblée nationale
La Loi Egalim était initialement conçue pour venir au secours d’agriculteurs de plus en plus en souffrance, tout en construisant une agriculture française innovante et diversifiée. Pour la structurer, ONG, représentants des producteurs, consommateurs et élus ont travaillé main dans la main afin de fournir un projet de loi abouti et équilibré. Amélioration de l’équilibre des relations commerciales dans les secteurs agricole et alimentaire, et développement d’une agriculture saine et durable, voici ce qui constitue l’essence de cette loi. Le Daily Geek Show avait d’ailleurs rédigé un article à l’annonce de l’adoption de cette loi.
Plus d’un mois après son adoption, c’est donc plus d’un quart de son contenu qui a été supprimé, le tout sous l’égide d’une seule instance. Pourtant initialement validée par l’Assemblée Nationale, représentative du peuple français, le Conseil Constitutionnel en a donc décidé autrement. Cette véritable censure éclaire d’un contenu résultant de plusieurs mois de débat pose de véritables questions quant au fonctionnement de notre démocratie.
C’est donc un total de 23 articles qui ont été abrogés. Parmi ceux-ci, des mesures pourtant attendues par les divers organismes verts, dont voici trois exemples :
L’article 78 sur « la cession à titre onéreux de variés de semences relevant du domaine public » : article majeur, il permettait à quiconque de donner, d’échanger mais également de vendre des semences de variétés non inscrites au catalogue officiel des utilisateurs non-professionnels. Cela s’étendait donc du petit jardinier amateur jusqu’aux collectivités publiques.
L’article 86 sur « l’intégration de la biodiversité et de la préservation des sols à l’enseignement agricole » : Mieux instruire pour mieux préserver la nature et nos sols demain, c’était pourtant un objectif noble qui aurait permis une meilleure compréhension des besoins et des nécessités de notre terre, pour une agriculture plus saine et durable, et sur du long terme.
L’article 43 sur : « l’étiquetage des miels composés de mélanges » : si l’origine du miel ne vaut fondamentalement pas un gage de qualité, cette mesure avait pour but de rassurer le consommateur quant à la qualité du produit. L’étiquetage automatique aurait également pu construire un moyen dissuasif envers les importations, parfois douteuses, qui sont proposées dans nos supermarchés discounts.
Si cette procédure de censure est légalement valable, son motif dérange. En effet, la cause officielle est que le Conseil Constitutionnel a considéré que ces articles aujourd’hui supprimés étaient des « cavaliers législatifs », c’est-à-dire qu’ils ne présentaient pas de lien, même indirect, avec le projet initial. Cette explication très surprenante agace notamment les responsables de l’élaboration de cette loi.
Cette révision intervient néanmoins car plus de soixante sénateurs avaient saisi le Conseil Constitutionnel car pour eux, la loi Egalim « méconnaissaient plusieurs principes constitutionnels »
De même, nous pouvons nous questionner sur le message envoyé au reste de la population française : ce projet était un exemple d’initiative démocratique, regroupant d’abord des états généraux, puis tout un tas d’acteurs, détaillés plus tôt, autour de la table. L’ensemble de ces divers points de vue émergeant de plusieurs horizons permettaient de construire un projet, riche et acceptable par toutes les parties prenantes. Pour les instances comme l’Assemblée Nationale, c’est une perte de souveraineté. Elues par le peuple, ces chambres qui avaient voté l’adoption de la loi Egalim se voient censurées, sans pouvoir y répondre, par une instance supérieure.
Une influence des lobbies soupçonnée
La majorité des personnes et organismes ayant réagi à cette censure expresse s’interrogent sur l’influence des lobbies, planant depuis des années sur les plus hautes instances étatiques.
Pour information, le Conseil Constitutionnel est constitué d’un effectif réduit de 9 personnes. Ses membres sont nommés, et donc non élus, par le Président de la République, le président du Sénat et par le président de l’Assemblée nationale. Ainsi, leur légitimité n’est pas populaire. Depuis 2016, c’est notamment Laurent Fabius qui le préside. Parmi les membres, nous retrouvons des noms connus du paysage politique français tels que Lionel Jospin ou Valéry Giscard d’Estaing (membre de droit car ancien Président de la République) mais également des noms plus discrets comme Michel Charasse ou Nicole Maestracci.
Leur décision de retoquer la loi agace et met en question leur impartialité. Une ONG pro-environnementale est au même titre un lobby qu’un syndicat industriel. Cependant, ce n’est un secret pour personne, l’argent injecté octroie une plus grande force de persuasion. Ainsi, leur égalité théorique n’est pas valable dans la pratique. Les activités de lobbying auprès des parlementaires sont courantes, avec comme justification officielle le fait que le point de vue des entreprises doivent être apporté au débat pour qu’ils soient efficaces. Cependant, certains souhaitent une totale séparation des organismes pour éviter cette situation flirtant pour certains avec la corruption.
Sur le papier donc, les parlementaires peuvent écouter les arguments des lobbies, leurs recommandations et conseils, mais ils doivent prendre une décision finale de manière libre. Ici, la décision de censure du Conseil Constitutionnel signifie que les articles supprimés étaient tout bonnement hors sujet à leurs yeux. Pourtant, c’est le fruit de plusieurs mois de travail rigoureux de divers auteurs.
L’article 78 est un exemple efficace qui pourrait vous éclairer sur l’influence des lobbies : La loi prévoyait l’autorisation de la vente de semences anciennes à tous. Jusque-là réservé aux grands groupes tels que Monsanto, DuPont ou encore Dow Chemical, ces géants des semences allaient perdre leur hégémonie sur ce gigantesque marché très lucratif. En effet, des associations comme Réseau Semences Paysannes auraient très bien pu en vendre, et on peut estimer que les consommateurs français, de plus en plus friands des produits locaux et biologiques, se seraient tournés vers ce nouveau marché…. au détriment de Monsanto.
Quoi qu’il en soit, l’association « Les amis de la Terre » a décidé de déposer un recours auprès du Conseil Constitutionnel afin de protester contre cette décision de censure..
Par Benjamin Cabiron, le
Source: lareleveetlapeste
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