Nature dégradée, faune en danger, ressources qui s’amenuisent… Aujourd’hui, le constat est clair : notre planète va mal. Alors que nos sociétés s’en remettent souvent au jugement d’experts et de scientifiques, une association a fait un choix original mais non dénué de bon sens : faire appel à des chamans colombiens pour « ausculter » les terres de la Drôme. 

Des chamans Kogis en visite dans la Drôme

Bien que ces populations soient de plus en plus en danger, il subsiste sur notre planète des ethnies vivant loin du monde moderne, en harmonie avec la Terre. C’est notamment le cas des Kogis, une civilisation pré-colombienne vivant dans une zone montagneuse (à plus de 5 800 m d’altitude) sans monnaie, ni écriture ni trace de notre société de consommation. Très proche de la nature, à l’affût des moindres changements dans leur écosystème, les Kogis ont en leur sein des chamans, sortes de sages aux connaissances étendues. L’association Tchendukua, fondée par Eric Julien, a eu l’idée de faire appel aux Kogis au lieu des experts habituels pour « ausculter » les terres de la Drôme, dans le sud de la France.

Quoi de plus logique finalement que de faire appel à ceux qui n’ont jamais rompu leur relation avec la Terre pour aménager nos territoires ? Grâce à l’association (qui vient en aide aux Kogis depuis 1997 pour leur trouver des terres fertiles), cinq chamans vont venir pendant quinze jours en août dans la Drôme. Pour quatre d’entre eux, ce sera la première fois qu’ils quitteront leur coin de paradis montagneux, situé à 50 kilomètres de la mer des Caraïbes. Au programme de cette quinzaine : ballade sur le territoire drômois, dans le Haut-Diois, afin de faire un « diagnostic » de la zone. Ils partageront leurs impressions avec huit scientifiques volontaires venant de l’ENS Lyon, de l’Université de Lausanne, en passant par l’Université de l’Oregon ou du Brésil.

Un chaman Kogi pose dans la nature colombienne

Un regard bienveillant et connaisseur sur la nature

Pour ceux qui douteraient de la capacité de ces chamans à dresser un état des lieux pertinent, il faut savoir que les 12 000 âmes de cette communauté vivent en dehors de tout confort moderne depuis des millénaires, dans un environnement totalement préservé (concentrant d’ailleurs 35 % des espèces d’oiseaux du pays). L’association Tchendukua a compris depuis longtemps que nos territoires feraient bien de s’en inspirer. « Les Kogis ont une très forte conscience que les humains, dans ses équilibres et déséquilibres, sont le reflet du territoire. On est en bonne santé si le lieu dans lequel on habite est en bonne santé », explique Eric Julien. Le fondateur de l’association va même plus loin en affirmant que cette ethnie voit le territoire comme un corps : « Pour eux, le territoire est un corps qui respire, chute et crée ».

Ainsi, quand on demande aux Kogis de « faire un diagnostic » de l’état de notre territoire, ces derniers se rattachent à des éléments physiques : qualité de l’eau, présence de la faune et de la flore, caractéristiques de la roche… Tout au long de leur séjour, les cinq Kogis seront en contact avec divers scientifiques : géographes, médecins, astrophysiciens… Pour Eric Julien, l’enjeu ici n’est pas de trouver des solutions concrètes dans l’immédiat, mais plutôt de changer de regard et de perspective. « Edgar Morin disait qu’il était temps de décoloniser nos imaginaires : aujourd’hui, l’anthropocentrisme remet en cause nos systèmes de représentations. La meilleure manière de changer de regard est de s’ouvrir à l’inconnu pour faire ressortir de nouveaux systèmes de pensée et registres d’action. »

La vallée du Haut-Diois dans la Drôme en 2004

Ce système peut-il fonctionner ?

C’est certain, sur le papier l’idée est vraiment séduisante. Presque poétique. Mais cette façon de procéder peut-elle vraiment avoir un impact sur nos sociétés ultra-modernes et déconnectées de la nature ? Si chacun comprend la nécessité de renouer avec la nature, la formule a un côté incantatoire et est rarement suivie de faits à grande échelle. La question que l’on peut se poser est la suivante : avons-nous un niveau de conscience collective suffisant pour être attentifs aux conseils, si bien fondés soient-ils, d’une population qui ne partage en rien notre quotidien ?

Selon Eric Julien, c’est tout à fait possible aujourd’hui. « Dans cette époque où l’anthropocène détruit notre écosystème, on est peut-être plus à même d’entendre ce genre de discours ». D’après lui, si la parole des chamans Kogis est appuyée par une poignée de scientifiques, elle aura davantage de crédit et de poids. « Si un scientifique dit que ce que font les Kogis n’est pas idiot, cela rendra certainement la parole plus audible. » Autre élément d’espoir prouvant que la démarche convainc au plus haut niveau, le soutien apporté à cette expérience par l’AFD, l’Agence Française de Développement ainsi que le Ministère de la Transition Écologique, qui finance à hauteur d’un tiers la venue des Kogis dans la Drôme.

Une femme de la tribu Kogi accompagnée de son enfant

Au vu de l’état de notre planète, il semble urgent d’agir afin de la préserver au maximum. Si nous avons sans doute perdu beaucoup de temps, il n’est somme toute pas trop tard pour changer le fusil d’épaule et se tourner vers des populations vivant en connexion avec la Terre. Rien ne dit que l’expérience « chamans dans la Drôme » va fonctionner, mais elle a le mérite d’essayer.

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