Actuellement, de nombreux chercheurs dans le monde se penchent sur ce qui pourrait bien être la prochaine révolution d’Internet : l’Internet quantique.

L’Internet que nous connaissons et utilisons actuellement présente de nombreux défauts et lacunes : de la perte dans le cloud au vol de données perpétré par les pirates informatiques, en passant par le manque de sécurisation des liaisons de communication ; si bien que les chercheurs et gouvernements recherchent une solution plus fiable. C’est de là que l’idée de créer et d’exploiter des réseaux quantiques a émergé.

Une infrastructure quantique délivrée des contraintes des réseaux classiques

Ronald Hanson, chercheur à l’université de Delft, a expliqué que « la principale caractéristique d’un réseau quantique est que vous envoyez des informations quantiques au lieu d’informations classiques ».

Une information classique se caractérise par des bits de valeur de 0 ou 1 alors qu’une information quantique utilise des bits quantiques, également appelés qubits, dont la valeur peut se superposer simultanément en 0 et 1. De plus, les qubits peuvent être codés, par exemple, dans les états de spin d’électrons, de noyaux atomiques ou dans les états de polarisation d’un photon.

Imaginez des réseaux dotés d’une architecture complète et dans laquelle les informations peuvent être créées, stockées et déplacées facilement sans les nombreuses contraintes imposées par les réseaux traditionnels. Cette infrastructure numérique procurerait un niveau de protection de données, de confidentialité et de puissance de calcul beaucoup plus haut que ce que l’on connait présentement.

Créer ce genre de réseaux est justement l’objectif que se fixent Ben Lanyon et son équipe de chercheurs. Ce scientifique vient de l’Institut d’optique et d’information quantique d’Innsbruck, en Autriche, et son équipe et lui sont membres de l’Alliance européenne pour l’Internet quantique, qui est chargée de créer un réseau quantique.

La première étape afin d’atteindre cet objectif est de mettre en place un réseau quantique utilisant une fibre optique standard pouvant relier au minimum 3 appareils sur une distance de 50 à 100 kilomètres. Selon Ben Lanyon, un tel réseau pourrait voir le jour dans les 5 prochaines années.

L’Internet quantique, la promesse d’un Internet sûr ? © Pixabay

Le Quantum Key Distribution (QKD)

Le QKD est une application dans laquelle les qubits sont utilisés pour créer des clés secrètes, c’est-à-dire des chaînes aléatoires de 0 et 1 qui servent à coder des informations classiques.

Cette application implique 2 parties que nous allons appeler Alice et Bob en référence à un article paru pour la première fois en 1978 et qui traite de la cryptographie à clé publique. Alice est donc la partie du QKD qui va envoyer des qubits à Bob, cette seconde partie sera chargée de mesurer les qubits et n’obtiendra la même valeur que celle encodée par Alice dans les qubits que dans certains types de mesures. Alice et Bob vont ensuite se transmettre des données sur un canal public afin de déterminer la nature des mesures, et partager les valeurs en qubits. Par la suite, ils pourront également utiliser ces valeurs privées pour créer une clé partagée secrète afin de chiffrer les messages classiques. En d’autres termes, si un intrus intercepte les qubits, Alice et Bob le sauront, puis feront disparaître les qubits et recommenceront à se transmettre les données jusqu’à ce que l’intrus se résigne à quitter le canal quantique.

En juillet 2018, Alberto Boaron de l’université de Genève, en Suisse, et son équipe ont annoncé qu’ils avaient réussi à transmettre des clés secrètes via le QKD jusqu’à une distance de plus de 400 kilomètres de fibres optiques, à 6,5 kilobits par seconde. En revanche, jusqu’à présent, les systèmes disponibles dans le commerce, comme ceux vendus par la société ID Quantique, basée à Genève, ne peuvent se déployer que sur une distance de 50 kilomètres de fibre.

En marge de cette application, les chercheurs comptent déployer des réseaux quantiques plus vastes que le QKD. La prochaine étape consiste donc à transférer des états quantiques directement entre les nœuds. Toutefois, alors qu’en utilisant la polarisation d’un photon comme avec le QKD, les qubits codés peuvent être envoyés sur des fibres optiques, cette méthode est problématique quand il s’agit d’envoyer des qubits pour transférer de grandes quantités d’informations quantiques. Ces dernières peuvent effectivement se perdre en cours de route, ou tout simplement ne pas être enregistrées par un détecteur, ce qui en fait un canal de transmission peu sécurisé.

Pour pallier ce problème, les scientifiques ont eu recours à ce que l’on appelle l’enchevêtrement, qui fait partie des caractéristiques des systèmes quantiques. En gros, quand deux systèmes quantiques entrent en contact, ils s’enchevêtrent et sont décrits par un seul état quantique. Par conséquent, la mesure de l’état d’un système a un impact immédiat sur l’autre, même s’ils sont éloignés de plusieurs kilomètres. Einstein a appelé l’enchevêtrement, « action fantasmagorique à distance ». Reprenons l’exemple de Bob et Alice : ces deux nœuds de réseaux sont constitués chacun d’un fragment de matière isolé. En entrant en contact, ces deux fragments de matière vont ainsi s’enchevêtrer via un processus impliquant l’échange de photons enchevêtrés. Grâce à ce procédé, Alice pourra exploiter sa part d’enchevêtrement pour envoyer un bit entier à Bob sans pour autant transmettre un bit physique et c’est cela qui rendra le transfert infaillible et sécurisé. Ce qui est à retenir, c’est qu’une fois que les deux nœuds s’enchevêtrent, le protocole de transfert entre les systèmes quantiques devient robuste et fiable.

Dans 5 ans, un réseau quantique devrait voir le jour

Toutefois, pour réaliser des transferts sur de longues distances, il est impératif de répartir l’enchevêtrement sur les réseaux de fibre optique standard. En janvier 2019, l’équipe de Lanyon, à Innsbruck, a réalisé un record d’enchevêtrement de la matière et de la lumière sur plus de 50 kilomètres de fibre optique. Pour réaliser cet exploit, les chercheurs ont utilisé un ion piégé, c’est-à-dire un ion de calcium unique confiné dans une cavité optique utilisant des champs électromagnétiques.

Quand l’ion est manipulé avec des lasers, il finit par coder un qubit comme une superposition de deux états d’énergie tout en émettant un photon avec un qubit codé dans ses états de polarisation. Les qubits dans l’ion et le photon sont ainsi enchevêtrés et la tâche consiste à envoyer le photon à travers une fibre optique en ne brisant pas l’enchevêtrement. Cependant, l’ion piégé émet un photon d’une longueur d’onde de 854 nanomètres (nm) et ne dure pas longtemps à l’intérieur d’une fibre optique. Par conséquent, les scientifiques ont envoyé le photon émis dans un cristal non linéaire pompé par un puissant laser.

L’ensemble du procédé convertit le photon entrant en une autre longueur d’onde adaptée aux fibres optiques. Les chercheurs d’Innsbruck ont ensuite injecté ce photon dans une section de fibre optique de 50 kilomètres de long. Une fois envoyés sur l’autre extrémité, les chercheurs ont testé l’ion et le photon pour voir si l’enchevêtrement tenait toujours, et ce fut le cas.

Les réseaux quantiques ouvriront la porte à de nombreuses opportunités

Si le projet aboutit, cela ouvrira la porte à d’innombrables possibilités

Désormais, l’équipe de Lanyon se fixe pour objectif d’emmêler deux nœuds d’ions piégés distants de 100 kilomètres. Chaque nœud transmettrait un photon enchevêtré sur 50 kilomètres de fibre optique à une station située au centre. Là, les photons seront mesurés de manière à perdre leur enchevêtrement avec leurs ions respectifs, ce qui entraînera un enchevêtrement des ions eux-mêmes. En d’autres termes, les deux nœuds formeront chacun un lien quantique via une paire de qubits intriqués. Ce système s’appelle l’échange d’intrication. Même si pour le moment, ce processus est relativement inefficace, selon Lanyon, c’est un bon début pour développer des systèmes d’échange plus rapides et plus performants.

Toutefois, les chercheurs sont unanimes sur le fait que mettre en place un réseau quantique pleinement opérationnel et pouvant couvrir de grandes distances, à l’aide de répéteurs quantiques, reste un défi.  Malgré tout, les chercheurs sont déjà en train de mettre en place la construction d’un réseau quantique pouvant relier au moins 3 villes.

Pour sa part, Ronald Hanson reste confiant et déclare que les chercheurs disposent désormais de plateformes avec lesquelles ils peuvent commencer à explorer pour la première fois les véritables réseaux quantiques. Il ajoute que bien qu’il n’y ait aucune garantie que cette entreprise réussisse, nous pourrions faire de grandes choses si ce projet de création de réseaux quantiques aboutit.

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