Alors qu’elles absorbaient 17 % de nos émissions de CO2 en 1990, les forêts tropicales n’en séquestrent que 6 % aujourd’hui. Si la tendance continue, elles pourraient même devenir des générateurs de carbone à l’avenir. Une donnée alarmante qui remet en cause les plans pour atteindre la neutralité carbone dans les décennies à venir.

Des puits à carbone de moins en moins efficaces

Les forêts tropicales sont de précieuses alliées, puisqu’elles représentent 50 % des capacités mondiales de séquestration des gaz à effet de serre. Sans elles, l’impact sur la planète du CO2 que les activités humaines relâchent serait encore plus important. Cependant, une étude publiée le 4 mars dans la revue Nature a révélé que leur capacité à absorber les émissions de ces gaz à effet de serre est en chute nette. Une découverte plus qu’alarmante.

Pour parvenir à ce résultat, les chercheurs du Musée royal de l’Afrique centrale et de l’université de Leeds ont regroupé les données de deux réseaux dédiés à l’étude des forêts. Pendant 30 ans, ils ont étudié la croissance et la mortalité de 300 000 arbres, répartis sur 565 parcelles de forêt situées dans la forêt tropicale amazonienne et dans la forêt tropicale subsaharienne. Ils ont ainsi constaté que l’absorption de CO2 diminuait, en particulier dans la forêt amazonienne.

Ainsi, au cours des années 1990, les forêts tropicales absorbaient environ 46 milliards de tonnes de carbone, soit environ 17  % des émissions de CO2 produites par l’activité humaine. Cependant, entre 2010 et 2020, elles n’ont absorbé que 25 milliards de tonnes de CO2, ce qui représente environ 6  % des émissions de CO2. Il est à noter que ces émissions ont, quant à elles, continué d’augmenter.

Forêt tropicale sur l’île de Bali, en Indonésie — © Eric Bajart / Wikipedia

Des forêts affectées par le réchauffement climatique

« Les taux de CO2, la température, la sécheresse et la dynamique interne des forêts sont des facteurs importants, a précisé le docteur Wannes Hubau, chercheur au Musée royal de l’Afrique centrale et l’un des auteurs de cette étude, à l’AFP. L’augmentation de la concentration en CO2 dans l’atmosphère a boosté la croissance des arbres, mais chaque année, ce phénomène est de plus en plus contrebalancé par les effets néfastes de l’augmentation des températures et des sécheresses, qui ralentissent la croissance des arbres, et peuvent même les tuer !”

En effet, les quantités de CO2 dégagées ont accéléré la croissances des arbres des forêts tropicales. Cependant, comme ces arbres arrivent plus vite à maturité, leur durée de vie est plus courte. En plus d’absorber moins de CO2, ils commencent à en dégager en vieillissant : il y a de plus en plus d’arbres dans les forêts, et la densité des bois moyenne d’une forêt peut entraîne la modification de certains traits fonctionnels globaux de la forêt, comme la capacité à absorber du CO2. En plus de ça, la déforestation et les nombreux incendies qui ravagent ces forêts amplifient ce phénomène.

En se basant sur leurs calculs, les scientifiques estiment que la capacité des forêts africaines à absorber le carbone va chuter de 14 % d’ici à 2030, tandis que celle de l’Amazonie atteindra zéro avant 2035.

La nécessité de changer de politiques climatiques et environnementales

Si les scientifiques pensaient la situation déjà catastrophique, celle-ci vient encore d’empirer. En effet, plusieurs des scénarios envisagés par l’accord de Paris sur le climat, y compris les plus pessimistes, partent du principe que les forêts vont continuer d’absorber le CO2 sur le long terme. « Nous avons découvert que l’un des aspects les plus inquiétants du changement climatique a d’ores et déjà débuté, a précisé Simon Lewis, l’un des auteurs de l’étude, professeur de géographie à l’université de Leeds. Nous sommes en avance de plusieurs décennies sur les modèles climatiques les plus plus pessimistes. »

Wannes Hubau, un expert des écosystèmes forestiers au Musée royal de l’Afrique centrale, à Bruxelles, a expliqué à l’AFP que “la mortalité est une étape naturelle du cycle de la vie des arbres de forêt. Mais en pompant autant de CO2 dans l’air, nous avons accéléré ce cycle. » C’est pourquoi « nous allons devoir revoir nos modèles climatiques, mais également les stratégies de compensation que nous avions basées sur ces modèles”.

« En même temps qu’une protection accrue de la forêt tropicale, une réduction encore plus rapide que prévu des émissions humaines de gaz à effet de serre sera nécessaire pour éviter un changement climatique catastrophique », a déclaré Anha Rammig, de l’université technique de l’Ecole des sciences de la vie, à Munich, dans une présentation de la recherche. Un projet qui risque d’être difficile à réaliser, à l’heure où la France a rejeté 80 millions de tonnes de CO2 en seulement 2 mois et 5 jours, et où, malgré la promesse de neutralité carbone d’ici 2050, le gouvernement a décidé d’augmenter les budgets carbone, c’est-à-dire les plafonds d’émissions, prévus entre 2019 et 2023.

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