Inséré dans le projet de loi des finances de 2020, l’Assemblée a voté le mercredi 13 novembre un article visant à octroyer aux services fiscaux et aux douanes le droit, à titre expérimental pour une durée de 3 ans, de surveiller les informations personnelles des utilisateurs sur les réseaux sociaux. Une solution qui permettrait de lutter contre la fraude fiscale.
CONTRÔLER ET SURVEILLER LES DONNÉES POUR LUTTER CONTRE LA FRAUDE FISCALE
Vous appréciez partager vos derniers achats ou vos déplacements sur vos réseaux sociaux ? Vous allez peut-être désormais faire plus attention à cela. En effet, vos données seront bientôt traquées et contrôlées par les services sociaux et les douanes. Pour quelle raison ? Éviter toute fraude fiscale et repérer les fraudeurs sur le web.
Les députés ont adopté, le mercredi 13 novembre, l’article 57 du projet de loi de finances pour 2020 qui permettra effectivement au fisc et aux douaniers de récolter les informations personnelles des Français sur les réseaux sociaux et les réseaux d’achat en ligne en cas de nécessité. Ils souhaitent vérifier les revenus déclarés à l’aide de dispositifs informatiques spécifiques. Parmi les réseaux concernés on trouve Facebook, Instagram, Twitter, Le Bon Coin ou encore eBay.
UN DISPOSITIF À TITRE EXPÉRIMENTAL SEULEMENT PENDANT 3 ANS
Ce dispositif est mis en place à titre expérimental pour une durée de 3 ans, comme l’a précisé Joël Giraud, député de La République en marche dans les Hautes-Alpes, à la suite du vote. Les députés opposés à cette décision s’inquiètent du manque d’information concernant les données qui seront traquées. « On pourrait admettre une technique de cette nature vis-à-vis de groupes ciblés envers lesquels il y a une suspicion de fraude. Mais là, il n’y pas de limite », a expliqué Véronique Louwagie, députée Les Républicains dans l’Orne.
Philippe Latombe, député MoDem, s’interroge quant à lui sur la liste des réseaux sociaux qui seront surveillés et sur la question des informations de nature religieuse : « Seront-elles exclues ou pas ? On ne le sait pas ! » « Cette collecte ne pourra que générer une autocensure spontanée », s’est également indignée Emmanuelle Ménard, journaliste et députée dans l’Hérault.
UNE ATTEINTE À LA VIE PRIVÉE DE CHACUN ?
L’Assemblée a voté cette décision malgré les alertes émises par la Commission nationale de l’information et des libertés (CNIL). En effet, elle avait dénoncé en septembre le caractère particulièrement intrusif d’un tel dispositif dans la vie privée des utilisateurs. Elle avait donc remarqué qu’il y avait un risque d’une « atteinte particulièrement importante au droit au respect de la vie privée et à la protection des données à caractère personnel ». Plus grave encore, ce dispositif pourrait « porter atteinte, par exemple, à la liberté d’opinion et d’expression. La collecte de l’ensemble des contenus librement accessibles publiés sur Internet est susceptible de modifier, de manière significative, le comportement des internautes qui pourraient alors ne plus être en mesure de s’exprimer librement sur les réseaux et plateformes visés. »
« Il s’agit ici de prendre un bazooka pour tuer une mouche (…) Le gouvernement est bien incapable d’estimer les effets positifs de sa mesure », s’est indignée la Quadrature du Net. Cette association de défense des droits et libertés des citoyens sur Internet a publié le 5 novembre un article critique au sujet de ce dispositif. « L’écoute des plateformes reste un outil de surveillance de masse (…) Demain, cette méthode pourrait être utilisée pour repérer la fraude aux allocations, pour identifier des résidents étrangers ou encore faire du fichage politique – si ce n’est pas déjà le cas », a-t-elle expliqué sans cacher son opposition. Pour faire suite à ces critiques, le gouvernement avait précisé que l’État n’aura pas le droit de se servir des données des utilisateurs comme il lui plaît.
UN POSSIBLE ÉQUILIBRE ENTRE VIE PRIVÉE ET SURVEILLANCE DES INFORMATIONS ?
Face aux critiques, la Commission des finances a restreint le dispositif. Le fisc et les douaniers ne pourront avoir accès qu’à un certain nombre de données. Ainsi, ils pourront uniquement s’occuper des activités non déclarées, de l’économie souterraine (trafic de drogue) et des infractions dans le domaine de la domiciliation fiscale frauduleuse à l’étranger et des activités professionnelles « occultes » (non-paiement de cotisations obligatoires). « Nous exclurons 97 % des manquements fiscaux », a expliqué Joël Giraud. Par ailleurs, les données plus sensibles concernant l’orientation sexuelle ou politique, qui devaient initialement rester sur les réseaux sociaux durant trente jours maximum, ne pourront désormais y rester que cinq jours.
Joël Giraud a ajouté qu’il a pu trouver « un juste équilibre entre lutte contre la fraude et respect de la vie privée« . Gérald Darmanin a également expliqué que les contrôleurs fiscaux peuvent déjà utiliser des données publiques trouvées sur les réseaux sociaux. Ce sera donc désormais à l’aide des « algorithmes et (de) l’intelligence artificielle » que les informations frauduleuses seront traquées.
Mais, ce dispositif permet-il réellement une limite entre la surveillance des fraudeurs et le risque éventuel d’une traque généralisée des utilisateurs ? Cette question est un des principaux débats que soulève l’article 57. En moyenne, chaque année, la fraude fiscale constitue un manque à gagner pour l’État d’une valeur de plusieurs milliards d’euros. Malgré son vote, la surveillance des données sur les sociaux interroge donc encore beaucoup.
Adopté par l’Assemblée, cet article doit désormais être voté par le Sénat et le Conseil constitutionnel. Néanmoins, il se pourrait que le Conseil d’État le refuse, considérant effectivement qu’il n’a pas sa place dans le domaine de la finance et ne « concerne ni les ressources ni les charges de l’État », comme a pu le rapporter le site web Next INpact. L’article 57 pourrait donc être finalement refusé par le Conseil constitutionnel lors d’un prochain vote.
Par Cécile Breton, le
Source: Le Monde
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