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“Ma famille et moi sommes autosuffisants, voici pourquoi nous avons choisi ce mode de vie”

À la ferme du Chaudron Magique, Marie-Pascale et Martin Lavoyer ont une philosophie de vie très différente de la plupart des gens d’aujourd’hui. Fermiers depuis plus de 40 ans, ils ont décidé de tenter l’expérience de l’autosuffisance pour leur famille. Si le chemin est long, il n’est pas impossible pour autant.

À Brugnac, un petit village du Sud-Ouest de la France, la Ferme du Chaudron Magique a su rebondir sur diverses problématiques, afin de survivre d’une part, mais aussi, de tendre vers une autosuffisance quasi totale. Comment ont-ils procédé ? Pourquoi avoir choisi ce mode de vie ? Quels sont les bénéfices de ce type de vie ? Ils ont accepté de nous parler à cœur ouvert, de leur vécu, de leurs difficultés et de leurs joies.

AU COURS DE NOTRE VIE NOUS AVONS REÇU, DONC MAINTENANT NOUS RESTITUONS

La ferme du chaudron magique

QUELQUES MOTS SUR L’HISTOIRE DE LA FERME DU CHAUDRON MAGIQUE

En 1975, le couple Lavoyer arrive plus ou moins par hasard sur la commune de Brugnac et tombe amoureux d’une petite ferme. Ils décident de s’y installer et d’y tisser leur vie, à leur façon. Ils ont donc commencé par être de simples chevriers (éleveurs de 40 chèvres), puis petit à petit, ils ont étendu leurs compétences à l’agriculture, la transformation de produits, etc. 

De fil en aiguille, l’autoconsommation, l’agriculture et le troc sont devenus des piliers de cette entreprise à taille humaine. La ferme est aujourd’hui dirigée par 4 personnes de la famille (les parents, le fils aîné et son épouse). En parallèle, un autre des trois fils est impliqué sur la gestion des forêts. Enfin, 6 salariés et 2 stagiaires viennent compléter l’équipe.

Monsieur Lavoyer

Pourquoi avoir choisi un mode de vie autosuffisant ?

Martin Lavoyer (ML) : Après les 30 glorieuses, il y a eu une peur terrible de la faim. Les divers produits chimiques qui sont apparus ont donné l’illusion au monde qu’il n’y aurait plus de famine. Sauf qu’aujourd’hui, force est de constater que ce système n’a pas fonctionné pour tous, avec pour preuve, le nombre de personnes mourant de faim chaque jour. Nous sommes désormais totalement conscients des effets pervers de ce style d’agriculture. Pendant mes études, plus j’apprenais sur la bio et plus j’avais envie de me lancer.

Je ne me reconnaissais pas dans ce système imposé. Je savais que quelque chose de mieux pouvait être fait. Alors, nous avons décidé de nous lancer, à notre échelle. Nous avons fait ce que nous avons pu… On a beau être ingénieur, il faut aussi se tromper pour mieux recommencer. Nous avons donc puisé dans nos connaissances et l’expérience aidant, nous avons réussi à améliorer nos compétences, jusqu’à pouvoir nous autosuffire.

L’AGRICULTURE EST UN MOT FÉMININ ET ELLE A ÉTÉ INVENTÉE PAR LES FEMMES AU NÉOLITHIQUE PAR LE BIAIS DE LA SÉDENTARITÉ

 

 Au niveau de l’agriculture, avez-vous toujours opté pour du bio ?

ML : Non, nous avons d’abord commencé sans label. Nous avons été labellisés en 1979 pour notre blé bio, que nous vendions très bien (2.60 francs le kilo, soit 0.40 euros). Mais la course au prix bas a dénaturé le travail de certains agriculteurs bio, dont le nôtre. Le prix au kilo est descendu à 1.60 francs en 1987, soit 0.24 euros. Parce que nous ne rentrions plus dans nos frais, nous avons quitté la bio en 1986.
Puis, en 2006, notre fils aîné a décidé de revenir travailler à la ferme, mais si et seulement si, nous repassions en agriculture biologique labellisée et si la production de farines s’intensifiait. Nous sommes donc repassés en bio en 2009. Et un boulevard s’est ouvert à nous.

Nous avons prospecté les enseignes bio qui voulaient de la farine et du fromage. Certains nous demandaient même des yaourts, du lait cru, du lait pasteurisé… Du coup, nous avons élargi la gamme grâce à cette demande.

Les informations sur la ferme

Quelle a été la première initiative vers l’autosuffisance ?

ML : Nous sommes arrivés dans cette ferme il y a un peu plus de 40 ans. En famille, nous avons planté tous les arbres : il n’y en avait aucun. Nous avons commencé par ça.

Puis nous avons mis en place un potager et nous avons acheté des chèvres laitières. Ensuite, après une récolte catastrophique, ma femme a eu l’idée d’acheter des chèvres angoras. Nous sommes donc allés aux États-Unis, car il n’y en avait pas du tout en France. Du coup, les journaux ont commencé à parler de nous, la télévision est venue et tout naturellement, la ferme a commencé à avoir un peu de notoriété. C’est à ce moment-là que nous nous sommes dit que nous pourrions également vivre du tourisme et nous avons donc appris le métier. Nous avons donc acheté quelques animaux supplémentaires essentiels pour les visiteurs : lapins, vaches d’Écosse, poules, cochons gascons, canards… Mais également essentiels pour l’autoconsommation ! Les lapins se mangent, les vaches donnent du lait, les poules donnent des œufs et se mangent également, tout comme les cochons ou les canards.

Nous avons pour projet de finir nos vieux jours dans une maison 100 % écologique que nous allons construire nous-même (avec de l’aide bien sûr !). Celle-ci sera autonome en eau et probablement en électricité. Nous vivrons proches de la ferme, donc nous serons autosuffisants à 100 % (croisons les doigts).

Le panier pique-nique pour les visiteurs

Comment fonctionnez-vous ?

ML : Aujourd’hui, nous sommes d’abord producteurs. Ensuite, nous transformons certains produits. Nous livrons environ 70 magasins entre Toulouse, Bordeaux et le Lot-et-Garonne.

L’emblème de la ferme

Grâce à notre potager et nos cultures, nous avons notre propre alimentation végétale. Nous avons aussi entre 80 et 90 hectares de terres que nous cultivons. Nous y produisons entre 16 et 20 hectares de blés anciens et le reste se divise entre l’avoine, l’orge, des petits pois, du sarrasin, du seigle, du maïs non hybride, du chanvre pour faire de l’huile et bientôt de la farine. Puis, nous avons ensuite nos chèvres qui produisent du lait, avec lequel nous faisons nos yaourts et nos fromages.

Ensuite, nous profitons de la laine des chèvres angoras pour nous habiller chaudement (pulls, chaussettes, couvertures, écharpes, etc.). Enfin, nous sommes autonomes en bois grâce à nos forêts et en miel puisque notre belle-fille est aussi apicultrice. La revente de nos produits dans les enseignes spécialisées nous permet de payer toutes nos charges. Nous sommes en train de penser à une solution sur ces points, mais je laisserai faire la nouvelle génération. Le stockage pour l’énergie n’est pas encore au point et trop cher.

Puis, le tourisme est notre troisième carte à jouer puisqu’il nous rapporte ce que des années de mauvaises récoltes ne nous permettent plus de gagner. Enfin, ce que nous n’avons pas, nous l’échangeons par le biais du troc. Avec d’autres fermiers, nous échangeons des services ou des produits. C’est ainsi que nous avons pu devenir quasi-autonomes.

Nous achetons quand même des services indispensables comme le téléphone, l’eau et l’électricité, même si nous pensons à d’autres solutions notamment pour l’eau.
Puis il nous arrive d’acheter quelques denrées alimentaires, comme du poisson, du sel ou encore du vin bio.

Aujourd’hui, notre ferme est toujours basée sur l’élevage, mais la production végétale prend une grande ampleur grâce à notre fils Raphaël et cela est très positif. Nous en sommes fiers, car nous contribuons à la gestion des problèmes environnementaux.

Combien de personnes vous rendent visite chaque année ?

ML : Nous avons eu jusqu’à 20 000 personnes jusqu’en 2002. Actuellement, c’est plutôt entre 12 000 et 14 000 personnes. Nous n’avons jamais été préparés à autant de visiteurs. Nous avons donc été obligés d’embaucher pour développer cela. Ainsi, nous proposons des ateliers de fabrication de pain et de fromages sur place, il est possible de traire les chèvres, nourrir les chevreaux et entrer dans certains enclos pour être au plus près des animaux. Nous encourageons les centres aérés à venir découvrir la vie à la ferme et pourquoi pas, à dormir dans des tentes tipi disposées à l’entrée, etc.). Nous avons dû réaliser des parkings pour les visiteurs, des aires de pique-nique, mais également mettre en place des toilettes (sèches !) pour les petits comme les plus grands.

Mais nous ne misons pas tout sur le tourisme. Dans notre système, celui-ci ne représente qu’un quart de nos recettes, ainsi, même s’il n’y a pas de visiteurs, nous pouvons continuer de vivre.

Comment vos enfants ont-ils vécu ce mode de vie ?

ML : Nous avons 4 enfants. Et nous avons rapidement mis en place des règles. Je pense qu’ils ont énormément pris sur eux d’avoir des parents qui travaillaient tous les jours. Cela dit, nous avions aussi un avantage : nous étions sur place. Donc ils grandissaient avec nous.

Tous nos choix, avec ma femme, ont été éclairés, par exemple, nous avons fait le choix de ne pas avoir de télévision dans cette famille. Ainsi, au lieu de nous murer dans un silence à table, nous échangions, nous prenions soin des uns des autres, etc. Nous racontions beaucoup d’histoires à nos enfants : toutes les religions, toutes les aventures, etc. Ils ont donc été nourris d’histoires pour ensuite, forger leur imaginaire et connaissances.

Nous nous efforcions de partir en vacances pour que nos enfants puissent avoir une vraie coupure avec leurs parents. Les voyages ont toujours été intenses et chargés en émotions. Nous n’avions pas forcément besoin d’aller très loin. Mais nous avons tenu à ce qu’ils connaissent leurs origines et donc nous les avons emmenés en Amérique du Sud (Brésil). De plus, nos enfants ont fait des études, car nous souhaitions qu’ils aient un bagage intellectuel suffisant. Nous avons fait le taxi pour eux, nous étions loin de tout et faisions entre 400 et 700 km par semaine. Avec le mode éducatif que nous avions choisi, nous étions déjà prêts à cela. Nous l’avions anticipé et discuté. D’autre part, nous organisons des « conseils de famille » depuis 25 ans, cela dans le but de démêler les problèmes que chacun peut rencontrer.

Aujourd’hui, nos enfants, en tant qu’adultes, nous remercient pour la qualité de vie qu’ils ont vécue. Ils se rendent compte de la chance qu’ils ont eue. Nos quatre enfants sont désormais tous heureux : l’aîné travaille avec nous, le second dans les forêts, le troisième est artiste et notre fille est chanteuse lyrique.

NOUS AVONS EU DES BOURSES, LA FRANCE NOUS A AIDÉS POUR L’ÉDUCATION DE NOS ENFANTS

 

Est-ce qu’être fermier et autosuffisant est à la portée de tout le monde ?

ML : Disons qu’il faut être très motivé. Si vous pensez ne travailler que 3 ou 4 heures par jour, ce n’est clairement pas fait pour vous. La base de l’autosuffisance est la motivation, car il faut investir énormément de sa personne. Lorsque l’on met un système en place, il faut l’assumer : chez nous, entre la prise de conscience et le résultat que l’on a aujourd’hui, cela a pris 25 ans.

Multipliez cela par 365 jours, cela fait beaucoup de journées et de soucis. La plupart des exploitations aujourd’hui sont très spécialisées et peu ouvertes à la nouveauté. Et cela conduit à l’échec. Du coup, le manque de patience et la foi nécessaire ne sont pas forcément au rendez-vous…

L’AGRICULTURE EST LE MÉTIER QUI PERMET À LA FRANCE DE SE NOURRIR

Comment faire son pain

Quel conseil donneriez-vous à quelqu’un qui souhaite se lancer dans l’autosuffisance ?

IL FAUT AVOIR UNE VISION À LONG TERME VRAIMENT LUCIDE ET UNE INTELLIGENCE AU PRÉSENT. UN JUSTE MILIEU ENTRE IDÉALISME ET RÉALISME

ML : Je pense qu’il faut commencer petit à petit, par des petites choses et non tout faire d’un coup. Au final, c’est l’accumulation de toutes ces choses qui finiront par faire une grande chose. Ensuite, il faut vraiment tout penser, tout vérifier, et surtout beaucoup anticiper.

Par exemple, saviez-vous que les agriculteurs ne fixent pas leurs prix ?! Il est important de savoir jusqu’où vous pouvez aller dans la revente, en sachant ce que vous investissez et ce qui vous reviendra. Il n’y a que de cette façon que vous pourrez trouver un bon équilibre et surtout, être autosuffisant de votre côté. Notre intuition a fonctionné, car nous avons mis en place notre système petit à petit et sur 40 ans.

NOUS AVONS DE NOMBREUSES DEMANDES DE STAGE, MAIS NOUS NE POUVONS PAS ACCUEILLIR TOUT LE MONDE. DU COUP, NOUS TRIONS ET NE SÉLECTIONNONS QUE LES PLUS MOTIVÉS

Quel a été votre plus mauvais souvenir ?

ML : Nous étions toujours oppressés par le stress. Nous avons eu 3 faillites de coopératives laitières lorsque nous vendions le lait de chèvre. Puis, en 2003, nous avons connu de gros problèmes financiers à cause de la canicule. Nous avons eu des récoltes très mauvaises et une chute de 50 % du tourisme sur la ferme. Le climat est une chose que l’on ne peut anticiper…

NOUS AVONS MIS 5 ANS À NOUS REMETTRE D’UNE SEULE ANNÉE

Nous avons été obligés d’emprunter sur 5 ans. Sauf que nous sommes entrés dans un engrenage très malsain, car pour rembourser, nous ne devions rencontrer aucun aléa : aucune perte de récolte, un bon rendement en lait, etc. Et aujourd’hui seulement, nous sommes presque désendettés.

L’espace mohair

Quel est selon vous, le point positif de l’autoconsommation ?

ML : Outre l’aspect financier, il y a des avantages matériels, alimentaires, vestimentaires et mentaux. Sans parler du sentiment de plénitude et d’autosatisfaction spirituel. Et dans des cas comme ça, on a envie d’aider les autres et de ne pas se contenter de ce que l’on a. La plénitude nous permet de nous ouvrir aux autres et c’est tellement beau !

Faire son fromage

Quel est le retour des gens sur votre mode de vie et sur votre ferme ?

ML : Nous avons un retour très positif et cela constitue une grande satisfaction. La visite est payante, nous nous devons donc d’être à la hauteur. Nos prix sont justes, cela afin de palier à nos dépenses aussi. Nous ne tenons aucune statistique sur le retour des gens et ne faisons aucune enquête de satisfaction, mais beaucoup viennent nous trouver pour nous remercier et prendre le temps de parler avec nous.
Parfois, nous avons eu deux ou trois remarques auxquelles nous avons immédiatement remédié (bazar, poussière…), du coup, nous n’avons pas beaucoup de remarques négatives. Nous essayons de faire des visites instructives, chaleureuses, etc.

D’où viennent majoritairement les visiteurs ?

ML : 90 % sont Français, mais nous aussi avons des étrangers qui viennent à la ferme. Beaucoup d’Espagnols, d’Anglais, de Hollandais quelques Américains, Suisses et Allemands.

Les chèvres laitières

Lorsque vous regardez en arrière, à quoi pensez-vous ?

ML : Je n’aurais jamais fait tout ça tout seul. Le fondement de tout ça a été ma rencontre avec ma femme Marie-Pascale. Elle aurait été plus prudente que moi… Nous nous serions peut-être contentés d’un jardin. Mais nous avons assumé nos nuits blanches, nous avons assumé notre famille et finalement, nous avons réussi notre but dans notre vie, même si l’équilibre est fragile.

NOTRE VIE EST UN PETIT CHEF-D’ŒUVRE. JE SUIS HEUREUX D’AVOIR FAIT ÇA. J’AI BEAUCOUP SOUFFERT À CAUSE DE L’ARGENT, MAIS JE SUIS HEUREUX D’AVOIR RÉUSSI À M’EN SORTIR

Lorsque nous nous sommes installés ici, nous n’imaginions pas qu’il y aurait un jour autant de gens qui graviteraient dans notre petite ferme. Aujourd’hui, nous recevons même des demandes de stages de futurs agriculteurs pour que nous les formions. C’est formidable !

Une chèvre angora

QUELQUES CHIFFRES UTILES

ML : Durant les 60 dernières années, la consommation de protéines animales a été multipliée par 16.
Pour l’avenir de la planète, il est bon de revenir à une production végétale plus qu’à l’élevage. Nous sommes fiers d’y contribuer.

Nous produisons environ 80 % de notre alimentation.

Aujourd’hui, pour qu’un agriculteur s’en sorte, il faut qu’il produise en moyenne 5 fois plus qu’il y a 30 ans.

Entre l’autoconsommation et le troc, nous économisons environ 18 340 € à l’année.

Nous avons mis près de 20 à 25 ans pour trouver un système qui nous permette de nous passer de la finance bancaire. Même si nous gardons de bons rapports avec la banque, elle reste une roue de secours et non une solution première.

LE MOT DE LA FIN

ML : Je suis à la retraite. J’ai basé mon existence sur l’économie ou comment apprendre à gagner ma vie. Aujourd’hui, je voudrais la donner. Je voudrais travailler sur les migrants, car nous avons une responsabilité envers ces gens, personne ne peut être neutre. C’est historique.

Enfin, je voudrais aussi consacrer du temps à une personne que je commence à apprécier plus qu’avant : c’est moi. Je veux mourir en paix, cela me permettra de revenir meilleur et avec plus de bagages dans une autre vie.

Pour en savoir plus sur la Ferme du Chaudron Magique :

Un remerciement tout spécial à Marie-Pascal et Martin Lavoyer qui nous ont très bien reçus, ainsi qu’à Madlee Dezod pour le montage vidéo.

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