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L’État condamné pour « faute grave et déni de justice » pour un féminicide

"C’est un cri pour que l’on réalise que, lorsqu’une femme ouvre les portes d’un commissariat, il faut l’entendre et prendre sa plainte"

— JeanLucIchard / Shutterstock.com

Après plusieurs années de lutte judiciaire, le tribunal de Paris a condamné le 16 mars dernier l’État pour « faute grave » pour un féminicide. Il devra donc verser la somme de 100 000 euros aux proches d’Isabelle Thomas et de ses deux parents, assassinés le 4 août 2014 par l’ex-conjoint de celle-ci. Une décision particulièrement rare conclue par la justice française.

L’État condamné pour « faute grave et déni de justice » dans le cadre d’un féminicide

Le 16 mars dernier, la justice française a condamné l’État pour « faute grave et déni de justice » dans le cadre du féminicide d’Isabelle Thomas et du meurtre de ses parents par l’ex-conjoint de cette professeure de mathématiques le 4 août 2014 à Grande-Synthe, commune du Nord de la France. L’État devra donc verser 100 000 euros aux proches des victimes. Une décision des plus rares qui est l’aboutissement d’années de lutte judiciaire. Jusqu’à présent, le jugement n’est « pas encore définitif« , comme l’a rapporté Le Monde.

« C’est la victoire de femmes courageuses, innovantes, de beaucoup de travail et de volonté, et aussi celle de l’indépendance de la justice. C’est un cri pour que l’on réalise que, lorsqu’une femme ouvre les portes d’un commissariat, il faut l’entendre et prendre sa plainte« , a expliqué Isabelle Steyer, avocate ayant assigné l’État en novembre 2018 avec Cathy Thomas, soeur d’Isabelle Thomas.

Le 27 juin 2014, Isabelle Thomas s’est rendue au commissariat de Condé-sur-l’Escaut, afin de porter plainte contre son ex-compagnon, Patrick Lemoine. Elle témoigne des violences psychologiques et de l’emprise dont elle a été victime mais également de ce qu’elle a subi deux jours plus tôt : il l’a étranglée, tirée par les cheveux et frappée dans le bas du ventre. Une violence inouïe qui lui a coûté de multiples bleus et sept jours d’incapacité totale de travail (ITT). Le jour suivant, Patrick Lemoine a été placé en garde à vue. Il avait alors affirmé, devant le juge des libertés et de la détention : « Sur les faits, c’est vrai, j’ai agi, mais ce n’est pas pour rien. » Il avait donc été placé sous haut contrôle judiciaire et était dans l’interdiction de rencontrer sa partenaire en attendant le procès prévu pour le 13 août.

Une « négligence fautive qui a conduit à la perte d’une chance de faire révoquer le contrôle judiciaire« 

Néanmoins, Patrick Lemoine ne respecta pas ces obligations. Le 10 juillet 2014, Isabelle Thomas s’est effectivement rendue à nouveau au commissariat, cette fois-ci de Valenciennes, dans le Nord, en expliquant que son ex-compagnon l’a poursuivie dans la rue, l’a attrapée par le bras et l’a menacée sous les yeux de son avocate. Cette dernière a ensuite appelé le parquet de Valenciennes. Le 23 juillet de la même année, la professeure de mathématiques dépose une main courante à Dunkerque dans laquelle elle précise que Patrick Lemoine la suit fréquemment en voiture. Ce dernier est alors convoqué au commissariat mais ne s’y rend pas. Le 4 août, après l’avoir poursuivie à Grande-Synthe, il parvient à arrêter la voiture dans laquelle se trouvaient Isabelle Thomas et ses parents. Il leur tire dessus et les tue tous les trois. Patrick Lemoine est interpellé quelques jours plus tard et se pend ensuite en détention, ce qui entraîna la fin de l’action de la justice.

Isabelle Steyer avait alors dénoncé « trois fautes lourdes« . La première concernait l’établissement d’un contrôle judiciaire qu’elle considérait comme inadapté. La seconde était au sujet de l’inaction de la justice face aux violations répétées et enfin, la troisième concernait des « carences des services de police« . Les juges n’ont pris en compte que la seconde et non les deux autres.

« Bien qu’il ne soit pas démontré qu’une enquête plus rapide aurait pu modifier le cours des événements, (…) les services de police n’ont effectivement pas tout mis en œuvre pour retrouver l’auteur des faits, et cette négligence fautive a conduit à la perte d’une chance de faire révoquer le contrôle judiciaire, estime le tribunal. (…) Cette faute des services de police a ainsi mis Patrick Lemoine en position de commettre les trois assassinats« , a expliqué l’avocate.

« Ne rien faire, ce serait comme s’ils étaient morts pour rien« 

Jusqu’au 16 mars dernier, seules deux affaires de féminicides avaient déjà abouti à des condamnations similaires. En effet, en mai 2014, la justice avait condamné l’État à verser 150 000 euros à la famille d’Audrey Vella, poignardée à mort par son ex-partenaire en 2007. Elle avait pourtant alerté à plusieurs reprises les services de gendarmerie. Plus tard, en janvier 2017, l’État avait également été condamné à verser 54 000 euros à l’enfant d’une femme morte sous les coups de son ex-compagnon.

« Ne rien faire, ce serait comme s’ils étaient morts pour rien« , avait expliqué Cathy Thomas au sujet du féminicide de sa soeur et l’assassinat de ses parents. « Je salue cette victoire judiciaire. Je vois dans la décision du tribunal de Paris une reconnaissance et la prise en compte de la douleur des victimes« , a également rapporté Sandrine Bouchait, présidente de l’Union nationale des familles de féminicide.

« Le cas d’Isabelle Thomas soulève le problème de l’effectivité du droit. Nous avons un droit qui n’est pas appliqué. Là, ça montre que le droit doit être appliqué« , conclut Isabelle Steyer.

Par Cécile Breton, le

Source: Le Monde

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