Au Comic Con de New York, les cosplayers ont rivalisé d’inventivité pour faire de leurs fauteuils roulants et marcheurs des accessoires invisibles à leur panoplie de héros. L’incroyable créativité de ces visiteurs venus assister à la seconde grand-messe de la culture Geek restera probablement l’un des plus beaux souvenirs de cette édition 2017.

 

L’union fait la force

Les alentours du Jacob Javits Convention Center regorgent de couples, d’enfants, de familles, de cosplayers et de blerds – contraction de « black nerds ». Difficile de ne pas s’émouvoir de la ferveur de ces milliers de personnes, venues parfois du bout du monde pour assister à ce rassemblement hors du commun. C’est là que réside la beauté du Comic Con new yorkais : vous êtes tous invités à partager votre goût des comics et des mangas peu importe votre couleur, votre statut social, ou votre accoutrement. 

La horde de cosplayers amassés au New-York Comic Con est un parangon d’éclectisme : des petits gamins grimés en Captain America, de sublimes mannequins déguisées Poison Ivy, de jolies cosplayeuses caucasiennes portant l’uniforme du Commando Ginyu… Ça ne respire pas l’originalité, mais ces personnages sont des valeurs sûres. Si votre premier critère est l’imagination, alors il faudra se tourner vers les cosplayeurs en fauteuil roulant ou juchés sur leur marcheur : ce sont eux qui décrochent la palme de la créativité. « Je pense avoir vu plus de fauteuils roulants cette année que dans toute ma vie », s’enthousiasme Dylan « dozen fingers » Cohen, un cosplayer fringué en San Goku, et souffrant du syndrome de Tourette.

 

La Cosplay Therapy

Le dernier jour de la NYCC, le panel « Cosplay and Disabilities » – comprenez cosplay et handicaps – a mis en lumière ces fans invétérés de la Pop Culture, chaque année plus nombreux à se presser aux portes des conventions. Ces gigantesques rassemblements sont une aubaine inespérée pour les personnes atteintes de troubles physiques et psychiques : ce sont des zones sans jugement ! Ces événements leur permettent d’exploiter tout leur génie créatif dans la confection d’un costume qu’ils arboreront fièrement le jour J. Le cosplay leur permet aussi d’améliorer leur sociabilité, de trouver des personnes partageant des intérêts communs.

« Les devoirs, c’est pas forcément le rêve, mais le cosplay, c’est clairement un truc que vous voulez faire ».

« Le cosplay m’a aidé à surmonter mon hyperactivité et mon autisme », explique l’activiste et travailleur social Joseph « Dopple cosplay » Munisteri. L’univers des cosplayers s’affranchit des différences : il lui a enseigné la socialisation et la canalisation de sa formidable énergie – lors des frénétiques séances de couture nécessaires à la confection de son costume. Cette passion est le meilleur moyen de focaliser son attention habituellement si volatile sur une seule et même tâche.

Un autre participant, Justin « LionHeart cosplay » Santiago a vécu une expérience similaire : « Je suis diagnostiqué comme Asperger. » Son enfance n’a pas été un long fleuve tranquille; rejeté par les autres du fait de sa maladie, il a trouvé refuge dans le cosplay. Il est peu à peu sorti sa coquille, s’est fait des amis… « Ça a complètement changé ma vie, et j’en suis très reconnaissant. »

 

Pimp my wheelchair !

Santiago a remarqué que ses comparses de panel atteints de troubles physiques, étaient souvent amenés à créer des costumes beaucoup plus créatifs, du fait de leur condition : « L’année dernière, nous avions un cosplayer qui avait relooké son fauteuil roulant en Trône de Fer ». Construire un costume autour d’un marcheur ou d’un fauteuil n’est pas à la portée du premier venu. C’est ce qui a motivé la création de Magic Wheelchair, une association à but non-lucratif, spécialisée dans la personnalisation et le tuning des fauteuils roulants. Une initiative qui espère abolir l’exclusion persistante que subissent de nombreuses personnes à mobilité réduite.

David Voegel, le directeur régional de Magic Wheelchair, faisait aussi partie du panel. Il explique venir originellement de la fabrication de jouets; ce n’est qu’après la perte de son frère souffrant de dystrophie musculaire qu’il a rejoint l’initiative. Son dernier projet en date est destiné à A.J. un enfant atteint du syndrome de Rett et obnubilé par Blaze et les Monster Machines – une série TV où les héros sont des bolides anthropomorphiques. L’association a pu récolter suffisamment de fonds pour transformer le fauteuil du gamin en Blaze, recourant même à l’impression 3D pour les parties complémentaires.

Au NYCC, certains utilisateurs de fauteuils roulants ont eux aussi requis l’aide d’un tiers pour la réalisation de leur costume – des proches, des amis. David, un habitué du NYCC, explique que c’est de cette manière qu’il a pu achever son cosplay du professeur Xavier – on est loin de Patrick Stewart mais c’est cool. Ce n’est plus leur handicap qui leur vaut l’attention des passants désormais, mais leur costume. Se glisser dans la peau d’un personnage – même fictif – leur permet d’échapper à leur situation le temps d’une journée.

 

Une minorité invisible ? 

Le professeur X est un des rare personnages de comics atteints d’un handicap physique auquel peuvent facilement s’identifier les cosplayers à mobilité réduite. Mais à part lui, la représentation de handicaps moteurs et mentaux dans les comics et les manga est quasi-inexistante. « Il n’y aura jamais de représentation suffisante » dit Munisteri. « Il y a un comics qui s’appelle Hydro Girl, écrit et dessiné par des gens formidables en Australie. Ça parle d’une fille souffrant d’hydrocéphale. » Au-delà de Hydro Girl, Munisteri mentionne un comics britannique, Department of Ability. Le créateur du comics, père d’une enfant en fauteuil roulant, voulait la transformer en super-héroïne pour qu’elle puisse enfin s’identifier à un héros de comics. Les Venture Bros veulent aussi mettre l’accent sur le handicap « mais il n’y en a pas assez » déplore Munisteri.

Les conventions offrent la formidable opportunité d’incarner ses héros préférés malgré une certaine difficulté à se retrouver en eux. Alicia, une jeune fille en fauteuil, s’est déguisée en Alexia la fée démon pour sa première NYCC. « Elle est la gardienne de l’humanité. Elle évolue dans un monde ou les gens sont différents […] Elle les aide avant que les ténèbres ne les submergent. » Sa première expérience de cosplay a été radicale : « C’était libérateur. Le cosplay me permet de gagner en créativité et en confiance. Ici, vous voyez toutes sortes de personnes, ça vous met à l’aise, vous pouvez être vous-même. »

 

Des progrès à faire

Les cosplayers handicapés poursuivent la lutte. Il n’y a qu’une seule fausse note à retenir du NYCC : le sol de la convention. Elizabeth Osterman, une cosplayeuse californienne grimée en Boruto a indiqué avoir eu du mal à se frayer un chemin au milieu de la foule très compacte; une difficulté renforcée par un sol inadéquat à l’utilisation des marcheurs : « Il faut qu’ils trouvent un moyen de fluidifier les allées, il devrait y avoir plus de place pour circuler », assène-t-elle. « Mes roues peinent à fonctionner sur certaines surfaces, la moquette serait beaucoup mieux », déplore-t-elle.

Le problème des améliorations d’accès aux personnes handicapées a été évoqué de nombreuses fois durant la convention. Pendant la séance dédiée au « Cosplay and Disabilities », un éducateur physique du Bronx a pris un moment pour exposer le problème des matériaux de revêtement : « Pour nous qui marchons, ce n’est pas un problème, ni pour les fauteuils motorisés. Mais pour quelqu’un en fauteuil manuel, c’est un calvaire. » Le sol caoutchouté se pose comme la meilleure alternative, offrant aux visiteurs valides et handicapés la possibilité de circuler dans des conditions optimales.

« Quand vous faites du cosplay, vous êtes détendu, parce que vous vous trouvez dans un environnement rassurant, vous êtes à votre place. Vous êtes entouré de gens qui partagent votre passion, des gens qui ne vous jugeront pas. C’est pour ça qu’on fait du cosplay. »

La clé pour obtenir des mesures concrètes de la part des organisateurs, selon les défenseurs comme Munisteri, c’est de faire entendre les besoins de la communauté. Il cite comme exemple la « quiet room » – salle silencieuse – que la convention met à disposition des participants susceptibles d’éprouver une surcharge sensorielle à cause du brouhaha. « L’année dernière, nous avons demandé des coussins dans la quiet room, et devinez quoi : cette année il y avait de bons gros coussins ! ». Il a donc suggéré à l’éducateur de s’adresser directement aux organisateurs, sans passer par les habituels intermédiaires.

Pendant que le Comic Con s’emploie à résoudre ces problèmes logistiques, la communauté du cosplay grandit de jour en jour, réunissant toujours plus de gens issus de tous horizons. Un univers de tolérance et d’acceptation qui encourage une créativité si exacerbée qu’elle en vient à faire oublier tous handicaps !

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