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En Biélorussie, les manifestants ne désarment pas face au pouvoir. Ils continuent de réclamer le départ du président Alexandre Loukachenko, au pouvoir depuis 26 ans, et dont ils accusent la réélection d’avoir été truquée. Alors que des témoignages font état de tortures lors d’arrestations arbitraires, l’opposition s’organise, dans et en dehors du pays.

Une élection contestée

Les élections présidentielles du 9 août en Biélorussie ont définitivement une saveur particulière. Les électeurs ont décidé de refuser le scrutin, qui donne à Alexandre Loukachenko, au pouvoir depuis 1994, la victoire à 80 % des voix. Les Biélorusses ainsi que l’Union européenne (UE) accusent les élections d’avoir été truquées, et rejettent le scrutin.

À l’issue de cette élection, une voix, un visage se sont affirmés comme nouveau leader de l’opposition : Svetlana Tikhanovskaïa, candidate malheureuse à l’élection mais qui clame qu’elle a remporté le scrutin et appelle les citoyens à manifester pour refuser les résultats d’une élection truquée et contestée.

Une répression violente

Depuis le début des manifestations, la répression contre les manifestants est digne des pires heures de l’URSS. Très vite, la police a commencé à tirer à balles réelles sur la foule, et les témoignages faisant état d’abus se multiplient. Au 13 août, on faisait état de 2 morts suite aux répressions des forces de l’ordre, ainsi que de nombreux blessés. « Il n’y avait jamais eu de manifestations d’une telle ampleur et sur une telle durée et il n’y avait jamais eu une répression d’une telle violence », affirmait Oleg Goulak, du Comité Helsinki, une ONG de défense des droits de l’homme.

Un rapport d’Amnesty International du 17 août faisait état de centres de détention devenus salles de torture. Ainsi, par exemple, une personne a passé 34 heures au Centre d’isolement des délinquants (TsIP), dans une cellule pour 4 personnes, qu’elle était contrainte de partager avec 20 autres femmes. Plusieurs ont été menacées de viol par des policiers, contraintes de s’allonger nues dans la poussière tout en recevant des coups de pied et de matraque. Une fois libérée, les policiers ont dit à cette femme (Katsyaryna Novikava) : « Nous avons tous les renseignements sur toi. Si on te revoit par ici, on te tuera. » Son passeport et ses clés ne lui ont pas été rendus. Le rapport fait également état de détentions arbitraires, et de disparitions de personnes.

La répression s’intensifie également contre la presse, comme le rapportait Ouest-France le 12 août. Matériel confisqué ou détruit, journalistes qui disparaissent… la liste est longue et inquiétante. Andrei Vaitovich, journaliste franco-biélorusse, témoignait pour Franceinfo : « Il y a quelques jours, une journaliste locale a été blessée par une balle en caoutchouc lors d’une manifestation. On voit bien que la police a obtenu une sorte de carte blanche contre les manifestants, mais aussi contre la presse. » Le ministère des Affaires étrangères refuse de donner des accréditations à la presse étrangère, et les autorités traquent les reporters « illégaux » dans les hôtels.

La résistance s’organise

Toutefois, la résistance s’organise. Svetlana Tikhanovskaïa, candidate de l’opposition « par amour » pour son mari, blogueur emprisonné, mène la résistance depuis Vilnius, capitale de la Lituanie, où elle s’est réfugiée avec ses enfants. Dans une vidéo postée le 17 août, elle affirme : « Je suis prête à agir en tant que chef de la nation (…) afin que le pays s’apaise et revienne à la normale. Afin que nous puissions libérer tous les prisonniers politiques et préparer un cadre juridique. »

La prix Nobel de littérature, Svetlana Alexievitch, la voit comme « le symbole d’une soif de changement, soif d’une nouvelle vie, soif d’honnêteté ». Elle-même menacée par le régime, elle n’en poursuit pas moins sa lutte pour plus de justice et de liberté en Biélorussie. Les manifestations dans le pays pourraient ébranler le pouvoir. À la tête du pays depuis 1994, qu’il dirige d’une main de fer, il déclarait, en 2015, en parlant de lui à la 3e personne : « Loukachenko n’est pas un homme à qui on peut dire ce qu’il doit faire. Il est président depuis bien longtemps. Même si le monde entier se prononce contre Loukachenko, il restera président s’il le souhaite. » Les ouvriers se sont également joints aux manifestations, pouvant amener le pouvoir à craindre un nouveau Solidarnosk, comme dans les années 1980 en Pologne, qui ont précipité la chute du pouvoir communiste en place.

La longévité au pouvoir d’Alexandre Loukachenko peut s’expliquer, selon Anna Colin Lebedev, maître de conférence à l’université Paris-Nanterre, par sa politique : « Le leader biélorusse s’est vraiment attaché à construire un État social et un certain modèle économique : un rôle très fort de l’État dans les entreprises, un maintien des services publics, le plein-emploi, l’augmentation des salaires et pendant longtemps ce modèle a fonctionné. » Alors qu’il n’hésite pas à qualifier les manifestants de « rats », ces derniers poursuivent leur lutte, depuis la Biélorussie et à l’extérieur. Des chaînes humaines qui se forment en signe de solidarité dans toute la Lituanie voisine, aux milliers de personnes qui défilent dans toute la Biélorussie, l’heure du changement a peut-être, enfin, sonné.

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