Les Français n’entendent parler des agriculteurs que dans trois cas : pendant le salon de l’agriculture, lorsqu’ils bloquent les routes pour protester, ou en regardant la célèbre émission de M6 : L’Amour est dans le pré. Mais en réalité, derrière ces stéréotypes surfaits, existe une profession en péril, seule face au reste de la France.
Un agriculteur se suicide tous les deux jours en France. Un chiffre extrêmement alarmant et qui reste constant. La grogne des agriculteurs est-elle véritablement justifiée ? Comment se fait-il que ces femmes et ces hommes, mamelle de la France, soient aussi désespérés ?
Être agriculteur ou éleveur aujourd’hui, est probablement l’un des métiers les plus ingrats au monde. En plus de la singularité parfois très pénible de leur travail, ils sont soumis à la volonté de la politique, des industriels, du temps et du client. Depuis toujours, l’agriculture est un métier difficile, mais cela fait 50 ans maintenant que ce secteur s’éteint peu à peu. Comme le précise Laurent Pinatel, porte-parole de la Confédération paysanne, les agriculteurs sont à bout de souffle, acculés par les dettes, les pressions politiques et économiques, rongés par la honte, à la limite de la mort, pendant que certains préfèrent y succomber.
La politique tue nos agriculteurs
PRODUIRE PLUS ET SE MODERNISER EN FAISANT DES EMPRUNTS CONSÉQUENTS
Le monde agricole est face au mur. La Politique Agricole Commune mise en place dans les années 50, puis continuellement soutenue depuis lors a conduit la France et ses agriculteurs vers un gouffre sans fond. La surproduction a entraîné la destruction de la vie paysanne et des campagnes françaises. Les agriculteurs ont été contraints de produire plus et donc de se moderniser en faisant des emprunts conséquents auprès des banques, comme Christophe et Marie-Hélène Rozé, agriculteurs à Mirambeau. Cette surproduction était censée palier les mauvaises récoltes, mais l’agriculture intensive n’a fait qu’appauvrir les sols, les ressources ainsi que les Hommes. Bien que les diverses lois mises en place ne retirent aucun bénéfice, les divers gouvernements successifs n’ont eu de cesse de soutenir la PAC en prônant encore plus les cultures et les élevages intensifs, redistribuant des aides minimes. La tendance du moment reste au « Manger français », un slogan qui va même jusqu’à s’exporter, alors que les agriculteurs français n’arrivent même plus à payer leurs dettes…
Jean-Marc Gibert est éleveur dans la Loire, il a tenté de mettre fin à ses jours en 2010, après avoir accumulé problèmes de santé et mauvaise récolte de son lait qui contenait des bactéries, ayant conduit à l’abattage de ses vaches. Sans revenus, une surcharge de travail monstrueuse, 6 jours de vacances en 30 ans de travail, etc., ont conduit cet homme à vouloir se donner la mort…
Une agriculture française endettée
La surproduction a entraîné des surcoûts de toutes parts. En effet, les agriculteurs amenés à produire plus, se sont aussi soumis à la dure loi des industriels qui rachètent leurs produits à des prix imposés. Qu’est-ce que cela signifie ? Tout simplement que ce sont les industriels, qui se mettent d’accord pour fixer les prix des matières premières, des fruits, des légumes et de la viande. En ce sens, les grandes surfaces peuvent alors marger de façon conséquente sur leurs prix en rayons. De son côté, l’agriculteur lui, percevra toujours le même pécule, ce dernier étant toujours très bas et lui permettant tout juste de couvrir ses frais.
Afin de survivre, chaque paysan se doit de suivre la cadence et en ce sens, il devra s’équiper : nouvelles machines, salariés, etc. Ils se tournent alors vers les banques pour contracter des emprunts qu’ils ne pourront bien souvent plus rembourser… Curieusement, les petits producteurs, ainsi que ceux qui prônent les productions biologiques ou raisonnées s’en sortent mieux que ceux qui travaillent dans les productions de masse… !
Un consommateur trompé
Les Français oublient généralement que leur main nourricière n’est pas le supermarché dans lequel ils ont pris l’habitude d’aller, mais bel et bien l’agriculteur et le paysan. Il est en effet possible de retrouver toutes les matières premières (farines, céréales, viandes, légumes, fruits, œufs, lait…) chez les petits agriculteurs locaux qui seront ravis de vous accueillir. Il en va de même pour quelques produits transformés, comme le pain, les yogourts, la charcuterie, les spécialités sucrées, etc.). Ces mêmes produits que tout un chacun peut retrouver dans les rayons d’une grande surface avec un macaron « Production Locale » (ou pas !), affichée près du prix. Seulement, ce que le consommateur ignore, c’est qu’il payera le même prix (voire peut-être moins cher), en se rendant directement chez le producteur, sans savoir qu’il aura fait une bonne action.
ACHETER IMPORTÉ OU LOCAL DANS LES GRANDES SURFACES, C’EST UN PEU COMME SI C’ÉTAIT VOTRE CHEF QUI ÉTAIT RÉCOMPENSÉ POUR LE TRAVAIL QUE VOUS AVEZ FOURNI
Prenons un exemple tout simple avec le kilo de tomates : les grandes surfaces achètent en moyenne 0.80 centimes d’euros le kilo de tomates au maraîcher, pour le revendre entre 2 et 4 euros le kilo sur leurs étals. Si le client se rend directement chez le producteur, il payera environ 2 à 3 euros pour son kilo de tomates. Un juste retour des choses puisque c’est grâce à ce producteur que vous pourrez manger de succulentes tomates mûries au soleil.
Le tout est de savoir à qui chacun préfère donner son argent et bien sûr, d’acheter local plutôt que de privilégier des produits importés…
L’agriculture française se sent seule et incomprise
Cette course à la production devient un non-sens manifeste. La France fonce droit dans le mur, un constat alarmant qui est déjà connu, mais sur lequel les dirigeants préfèrent fermer les yeux. Les solutions avancées pour sortir de ces crises à répétitions ne font qu’entériner la problématique. L’agriculteur tente de se faire entendre, mais il reste incompris. En plus de la non-reconnaissance qu’il vit, il n’est pas entendu et n’est pas non plus soutenu.
Sa situation professionnelle déteint et prend le pas sur sa situation personnelle. De nombreux agriculteurs sont célibataires et parfois même éloignés de leur famille. Cet isolement les conduit bien souvent à la dépression, voire au suicide. Le travail étant très pénible, les horaires étaient extrêmement élastiques, les moments de repos et de vacances sont extrêmement rares et la vie de couple s’efface. La solitude de certains agriculteurs pèse aussi lourd que le poids de leur travail. Et la vie devient un boulet à traîner…
Une lueur d’espoir
Après les remous de ce début d’année, des paroles réconfortantes ont été prononcées par le gouvernement. Les agriculteurs attendent maintenant leur mise en pratique, afin de se redonner un peu d’espoir.
Il existe aussi une nouvelle génération de paysans qui décide de casser les codes. Le respect de la terre prime, les petites productions sont privilégiées, tout comme l’entraide et le partage. Les valeurs d’autrefois sont conservées, ces paysans rebelles entendent bien révolutionner le monde agricole et redonner toute leur place aux produits locaux, qui ont du goût et au juste prix. Ce relent d’espoir permet de raviver une flamme faible, mais toujours présente.
Ce que l’on appelle aujourd’hui « la grogne des agriculteurs » n’est qu’un sursaut de désespoir de la part de ceux qui nourrissent la France. Ces descentes dans les rues, des routes bloquées, ces pneus incendiés, ces gens en colère, le sont, car ils se sentent seuls, incompris et totalement perdus. Nous avons tous la possibilité de rendre toute la gloire méritée à ce noble métier. Encore faut-il que l’on se donne la peine de remettre de l’ordre dans nos habitudes, pour eux, les générations futures et l’avenir de la France. Car il serait bon de se demander ce qu’il adviendrait de ce pays, si l’agriculture était amenée à disparaître… ?