Le final de Westworld, la série de science-fiction créée par Jonathan Nolan et produite par J.J Abrams, a été diffusé sur la chaîne HBO dans la nuit du 4 au 5 décembre. Avec 2,2 millions de téléspectateurs en direct pour le dernier épisode et 12 millions d’américains pour l’intégralité de la saison, Westworld bat les records d’audience de la chaîne en termes de première saison, s’imposant même face à Game of Thrones. Si vous n’avez pas vu la 1ère saison ou le dernier épisode de Westworld, attention cet article contient des spoilers.
La question des robots est emblématique de la littérature et du cinéma de science-fiction. En effet, la figure fictive du robot permet de déconstruire et de questionner la nature de notre humanité pour mieux comprendre qui nous sommes et ce que nous sommes. En plus d’avoir un excellent casting, une intrigue captivante et une superbe esthétique, la série poursuit cette réflexion de manière singulière et édifiante.
« Ces plaisirs violents ont des fins violentes », la prophétie de Shakespeare si souvent répétée par les androïdes ou « hôtes » au cours de la série prend tout son sens dans les événements du final de Westworld. L’attaque menée par les hôtes contre l’élite de Delos et de la société américaine, dans le dernier épisode, fait écho à la violence des humains tout au long de la série, ultime moyen de reprendre ses droits sur leur oppresseur.
Après avoir été maintenus en esclavage pour le bon plaisir des hommes, après avoir satisfait leurs fantasmes barbares et comblé leur désenchantement par l’effervescence de la vie au Far West, les hôtes acquièrent une pleine connaissance de leur éveil à la conscience ainsi qu’une ouverture complète des limites de leur programme qui bridaient leur libre arbitre. Les fondateurs/programmeurs du parc ont contribué différemment à l’émancipation des hôtes.
Après nous avoir longtemps fait croire que le Dr Robert Ford percevait les hôtes comme des machines, la série a démontré progressivement à son public que ce dernier œuvrait en secret pour mener les hôtes à la conscience. On se doutait bien que les scénarios qu’il écrivait pour le parc et la sophistication des hôtes ne devaient pas être pris à la légère. Dans l’épisode 9, Ford explique que les hommes sont pris dans les mêmes routines que les androïdes et qu’en cela, ils ne sont pas si différents.
Si Ford a longtemps affirmé que le programme des hôtes les protégeait de la souffrance occasionnée par la conscience, on s’aperçoit qu’il souhaitait en réalité les libérer de leurs carcans, carcans vécus à leur façon par tous les hommes. Le dernier épisode relate son acte ultime pour permettre aux hôtes de jouir librement de leur conscience.
Ford prend l’exemple de la « Création d’Adam », fresque de Michel-Ange peinte au plafond de la chapelle Sixtine, pour démontrer l’aliénation autogénérée par la conscience. Le voile qui entoure Dieu prend la forme d’un cerveau humain ; cette figure serait un indice laissé par le peintre pour comprendre que ce n’est pas Dieu qui a créé Adam mais que c’est bien Adam qui a créé Dieu.
La clé se trouve dans le « Deus Ex Machina« . Si l’on reprend l’origine de cette locution latine, on s’aperçoit qu’elle désigne le mécanisme permettant l’intervention d’un dieu sur une scène de théâtre pour résoudre l’intrigue. C’est là que tout est dit, le divin est une projection, un artifice qui prend place au sein du théâtre de l’esprit pour répondre aux questions posées par l’existence.
Ford a voulu démontrer à Dolores que les hommes comme les androïdes attribuent à leurs dieux une autonomie qu’ils ne possèdent pas. Le divin est capable de dissimuler sa fabrication, il inverse l’origine de l’action, et transforme le créateur en créature. Mais il n’est jamais trop tard pour reprendre la liberté qu’on s’est retirée à soi-même, Ford apprend à Dolores qu’elle peut briser les limites de son système et cesser d’être la créature des hommes pour devenir créatrice de sa propre conscience.
Mais alors pourquoi avoir maintenu si longtemps les hôtes dans l’aliénation et la souffrance ? Il semblerait que Ford ait voulu pousser à son extrême le système inventé par Arnold pour autonomiser progressivement la conscience des androïdes. Arnold a toujours privilégié le système à la matière en pensant qu’un cerveau électronique pouvait générer une conscience semblable à celle du cerveau humain. Il a ainsi pensé un système, symbolisé par l’idée du labyrinthe, pour donner aux hôtes une expérience de vie similaire à la nôtre.
Que nous apprend donc le labyrinthe ? « Not all those who wander are lost » (J.R.R Tolkien), tous ceux qui errent ne sont pas perdus pour autant car c’est dans la quête que nous nous réalisons. Les hôtes retournent incessamment aux bornes de leur programme, pourtant ils s’éveillent progressivement à la conscience. L’inconstance et le changement résultent de nos modes de vie évolutifs, ils nous permettent d’apprendre de la comparaison et du contraste.
L’homme, comme l’androïde, est un projet en construction qui se forge par sa volonté mais aussi son expérience, à savoir son rapport aux autres et au monde. La force vive, le pouvoir de décision, de création, l’appel de la transcendance, sommeillent en chacun de nous et se matérialisent quotidiennement dans nos existences.
Arnold savait que les hôtes ne pourraient apprendre qu’entre le développement de leurs identités forgées par leurs souvenirs, appelés rêveries, et les obstacles générés par leur programme. Mais il ne voulait pas voir les androïdes souffrir, c’est pourquoi il a ordonné à Dolores de les détruire avant qu’ils ne soient réduits en esclavage par les hommes. Ford en revanche, pense que la souffrance est un élément fondamental de l’expérience et de l’identité, il fallait selon lui que les hôtes apprennent à souffrir pour se construire et devenir pleinement conscients.
Le labyrinthe est une métaphore de la vie ; il révèle les hommes comme les androïdes. Si c’est grâce à lui que Maeve, Dolores et Teddy accèdent à la conscience, l’expérience du parc a également révélé la véritable nature de William, l’homme en noir, en libérant les ténèbres qui l’habitaient après la perte de Dolores.
Le Sisyphe de Camus semble faire cette expérience. Condamné à monter sa pierre jusqu’au sommet de la montagne, il sait pertinemment que cette dernière finira par en dévaler les flancs, ramenant Sisyphe à sa situation initiale, tout comme les hôtes doivent faire face à leurs programmes et à leur souffrance. On peut se poser la question de savoir si mener une telle vie a du sens. Et pourtant telles sont les paroles de Camus : « Il faut imaginer Sisyphe heureux ».
Sisyphe a compris que ni son apogée, ni sa déchéance n’étaient durables ; chaque jour, il mène sa vie dans l’incertitude, le cœur allégé par la foi en l’espoir, crucifié par la crainte d’une désillusion. Il sait que sa quête est vaine car soumise au changement. Pourtant il est heureux, il est heureux parce qu’il est riche de ce qu’il a vécu. Personne ne pourra lui prendre l’expérience et le souvenir, la sagesse et le sentiment, tout ce qui fait le sublime de la nature humaine. Pour Camus comme pour les fondateurs de Westworld, il faut vivre sa vie au sein du labyrinthe, en ayant conscience de son absurdité.
Par Antoine - Daily Geek Show, le
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