En cette journée mondiale de sensibilisation à l’autisme, le fondateur du Daily Geek Show a souhaité vous partager son propre témoignage.

Cliquez ici pour lire le témoignage complet.




En voici un extrait :


Avant de démarrer la lecture de ce témoignage, il est essentiel de rappeler que chaque autiste est différent. Les troubles du spectre autistique sont très larges et variés, je ne suis le porte-parole de personne et ce témoignage n’est en aucun cas une définition de l’autisme, je ne partage ici que ma propre expérience.

Je suis diagnostiqué autiste de haut niveau, avec en comorbidités une lourde anxiété sociale et généralisée, des particularités perceptives, une rigidité cognitive et des difficultés d’attention. Si mon autisme est au centre de mon témoignage, il est important de souligner que j’y aborde de nombreux aspects de moi-même et qu’il ne faut donc pas forcément tout lui imputer. J’ai mes propres forces et faiblesses, ma propre identité. Je vous remercie.


Le matin

Les lumières de mon appartement me réveillent en s’allumant en douceur. Mes paupières s’ouvrent. C’est un bon jour aujourd’hui, je le sens, je suis dans le présent. J’ai une perception du temps tellement particulière que parfois, j’ai du mal à me situer dans l’année, et mon cerveau me joue des tours. Il m’arrive de réfléchir dès le réveil à des problèmes que j’ai déjà résolus plusieurs mois ou années plus tôt en pensant qu’ils sont d’actualités. Ces petits “bonds” dans le temps peuvent être très déroutants mais je me suis habitué à ne pas faire confiance à mes premières pensées matinales.

Je compense une grande partie de mes difficultés grâce à une technologie abondante qui m’accompagne à chaque étape de mon quotidien. Mon téléphone, mes applications et ma montre connectée sont des outils sans lesquels je ne parviendrais à avancer dans ma journée avec un tel niveau de réussite, selon des critères professionnels ou sociaux standards. J’organise ma vie très méticuleusement et je prévois toutes mes interactions longtemps à l’avance, de la plus simple à la plus complexe. Poser des événements sur mon calendrier réduit mon anxiété et paradoxalement, augmente ma résilience face aux imprévus. D’une certaine manière, je me prépare aussi à ce que ma journée ne soit pas telle que je l’ai prévu et je m’accorde des créneaux pour y faire face car mon manque de flexibilité et ma rigidité cognitive rendent ces situations extrêmement éprouvantes. Je consulte mon téléphone et je repasse point par point le contenu de ma journée, à la fois sur ce que je dois faire à mon travail mais également sur ce que je dois faire auprès de mes amis. J’ai des interfaces dédiées à mes différents besoins, je me sers de tableaux Trello pour gérer mes tâches personnelles et j’utilise mon calendrier pour anticiper toutes mes interactions dans la vie réelle. Je fais beaucoup d’effort pour exister dans ce monde, et parvenir à être correctement intégré socialement et professionnellement.

Je dois me préparer longuement pour parvenir à sortir de chez moi, alors c’est un travail mental que je démarre dès ma sortie du lit. Me voilà debout et je commence déjà à me mettre la pression, à attiser ma détermination et ma motivation pour “vaincre” cette journée et parvenir à réussir la toute première étape et l’une des plus difficiles : passer le seuil de ma porte. J’ai l’impression d’être un boxeur qui se prépare à combattre. Je rentre dans ma salle d’eau et je prends une douche interminable, généralement jusqu’à avoir vidé mon chauffe-eau. C’est un moment de grâce dans ma journée. Tous mes sens sont en osmose avec l’eau brûlante qui s’écoule sur mon corps. Pendant ce moment, je ne suis plus vraiment moi. Je me sens bien.

Une fois que je sors de la douche, je me sèche et je me prépare à m’habiller. C’est une étape obligatoire mais très désagréable. Je ne supporte pas les vêtements et j’ai beaucoup de mal à en trouver que je tolère vraiment. Enfant, j’étais infernal à ce niveau et malheureusement, cela ne s’est pas amélioré avec le temps. Du coup, j’ai des séries du même t-shirt, chemise ou pantalon dont je fais parfois varier la couleur ou le dessin mais qui ont toutes l’avantage de produire les mêmes sensations sur ma peau. On me demande parfois si je porte les habits de la veille… Alors qu’en réalité, c’est simplement que j’ai mis une chemise propre identique à la précédente. J’ai également besoin que mes habits soient parfaitement ajustés et collés contre mon corps, ce qui me vaut parfois des remarques du style “tu es coincé”, “tu es étriqué dans ta chemise, ouvre des boutons” mais c’est indispensable pour mon confort. Mon hypersensibilité tactile fait que le moindre stimuli peut susciter chez moi des réactions très fortes, indésirables et incontrôlées, l’inconfort pouvant faire exploser mon irritabilité et ma colère. Ne plus être soi-même à cause d’un vêtement peut sembler difficile à croire mais dans mon cas, c’est une réalité à laquelle je dois faire attention. Maintenant que je suis habillé, j’enfile mes chaussures. Je ne fais jamais mes lacets parce que j’ai une mauvaise motricité fine et je suis incapable de retenir mon attention sur des choses qui ne suscitent pas mon intérêt. Faire un noeud me prend un temps qui me paraît interminable, alors cela fait très longtemps que j’ai abandonné. Je fais juste passer les lacets sous la languette de mes chaussures et je n’y touche plus jusqu’à ce qu’elles deviennent inutilisables.

J’ai une routine parfaitement millimétrée le matin et la moindre chose altérant son déroulement peut gravement et durablement m’affecter. Je mange mon yaourt aux fruits en regardant un documentaire animalier, je bois un verre de soda light, je vérifie que j’ai mes clefs et mon porte-feuille sur moi.

Je suis prêt.

Le moment tant redouté est arrivée, je dois sortir de chez moi. Si je suis accompagné, je peux facilement le faire mais je suis toujours en difficulté lorsque je suis seul. Je dois tellement combattre ma nature pour y parvenir, cela me rend physiquement malade, je lutte contre mon propre bien-être pour pénétrer dans le monde extérieur. Parfois c’est tellement difficile que je fais appel à des stratégies sophistiquées pour me monter en pression en poussant à outrance mes raisonnements vers des aspects qui me terrifient, pour propulser une peur plus forte par-dessus la première et me contraindre à l’action. Par exemple, si vraiment je sens que je n’arrive pas à sortir de chez moi, je vais me convaincre que les conséquences vont avoir des ramifications catastrophiques : si je ne vais pas à mon travail, je vais le perdre, si je le perds, je n’aurais plus de source de revenus et j’aurais très peu de chances de retrouver un boulot à cause de mes particularités, si je n’ai plus les moyens de payer mon loyer, je me retrouverai à la rue, etc. Je vais m’accabler par tous les scénarios possibles et imaginables. C’est une façon très particulière et très énergivore de commencer ma journée mais c’est nécessaire pour me permettre de trouver en moi les raisons et la force de rejoindre “le monde des humains”.

Parfois, je ne parviens pas à ouvrir la porte de chez moi. La culpabilité m’engloutit complètement et je plonge dans un sentiment d’impuissance profondément pesant. C’est dans ces moments-là que le handicap devient très concret et impossible à ignorer. Ce n’est pas normal de ne pas parvenir à sortir de chez soi. Et ça m’effraie énormément. La cruauté et le rejet des autres m’ont appris dès l’enfance que c’était à moi de m’adapter quel qu’en soit le prix. C’était tout faire pour me dissimuler parmi les autres, ou mourir. Très conscient de cela dès le plus jeune âge, je me suis toujours fixé des objectifs extraordinairement élevés pour être parfaitement intégré socialement et professionnellement, ce qui relève sincèrement de l’exploit, que je paie toujours au prix fort. Mais c’est mon choix. Je lutte contre mon autisme chaque jour. C’est une lutte pour exister parmi les autres, pour exister dans cette société, pour exister pour moi-même. Alors lorsque je perd une bataille et que je ne parviens pas à ouvrir la porte de chez moi, une peur terrible m’envahit parce qu’il y a toujours ce risque que je me replie sur moi-même comme j’ai pu le faire dans le passé et je m’y refuse. Cela me renvoie à des moments que je ne veux pas revivre… que je ne PEUX pas revivre. Mon record sans sortir de chez moi : 117 jours. Ce n’est pas compatible avec mon travail, mes amis, mon amour. Chaque matin, il y a cette épée de Damoclès au-dessus de ma tête et cette première bataille à mener. Aujourd’hui, c’est un bon jour. Je me suis bien préparé et conditionné. J’ouvre la porte de chez moi et je sors à l’extérieur.

Je pénètre dans le chaos.

Le chemin du travail

Dehors, tout est une agression. Mon hypersensibilité exacerbe mes sens et j’ai l’impression que chaque élément du monde extérieur veut me communiquer quelque chose. Mais il y a beaucoup trop d’informations. Une quantité astronomique. Les lumières trop vives me font physiquement mal, je les fuis. Je préfère largement un ciel voilé. Les sons viennent de toutes les directions et je les sens me toucher le visage, comme s’ils appuyaient sur mes joues. Ce sont des sensations très désagréables et j’ai l’habitude de me palper le visage. J’ai du mal à gérer la distance des sons parce qu’il y en a trop qui me viennent en même temps et j’ai souvent du mal à les associer à ce qu’il y a autour de moi. J’ai toujours mes boules quiès ou mes écouteurs sur moi, mais mon attention est tellement diffuse en extérieur que j’oublie parfois de les mettre, ce qui est un comble. Je dois redoubler d’efforts pour parvenir à me mouvoir jusqu’à ma destination alors j’oublie très facilement tout le reste. Le vrai problème, c’est qu’il m’est quasiment impossible de faire abstraction de toutes ces sensations envahissantes. Tout m’agresse et je dois faire preuve d’une extraordinaire concentration pour ne pas me décomposer et pour fonctionner “normalement” aux yeux des autres. Mon hypersensibilité donne l’impression aux gens que je dramatise toujours les choses constamment et que je fais des montagnes de petites choses insignifiantes. C’est un peu une double peine, c’est assez injuste mais les gens peuvent difficilement se mettre à ma place, donc je ne peux pas y faire grand chose non plus. Comme si cela ne suffisait pas, en dehors de mes particularités perceptives, j’ai une énorme difficulté à hiérarchiser et traiter les informations que je réceptionne. Comme tout se mélange, généralement à un niveau très égal, je ne priorise pas le traitement des informations sociales par rapport aux autres et cela peut me mettre en très mauvaise posture, dans un monde qui repose sur ces interactions. Cela peut créer de gros décalage ou des réactions complètement inappropriées : dire bonjour à un voisin mais lui fermer la porte au nez ou tout aussi bien l’inverse, lui tenir la porte mais ne pas lui répondre quand il me parle par exemple, ce qui ne manquera pas de lui déplaire et de paraître très irrespectueux à ses yeux.

Je ferme la porte de l’immeuble et je regarde la rue, c’est le chaos. Mes sens sont en feu. Je dois rester concentré, il faut que j’arrive à destination sans m’effondrer ou faire de crise, ce qui n’est pas du tout souhaitable. Je me connais parfaitement et je sais anticiper les signes de mes crises autistiques ce qui me permet de prévenir la majorité d’entre elles désormais. Lorsque je suis en crise, je peux avoir des réactions très impressionnantes. Je peux facilement me retrouver par terre, totalement paralysé. J’ai des flashs qui apparaissent devant les yeux me faisant perdre la vue (ce qui fait que je ne peux pas conduire de véhicule, je serai un danger pour les autres si je faisais une crise au volant), je n’arrive plus à parler et pire encore, je n’arrive plus à penser. Il faut éviter de me toucher ou de me parler fort dans ces cas là, car je peux me mettre à hurler de façon incontrôlable et me débattre sur moi-même. Malheureusement les gens ont tendance à secourir et à encercler une personne en difficulté, ce qui a souvent fait que mes crises en extérieur étaient aggravées par les personnes attentionnées qui souhaitaient m’aider…

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