Sur Twitter, le hashtag #balancetonstage a ouvert la parole de dizaines d’étudiant.es en médecine et en infirmerie, jusque-là tétanisés par la peur des représailles et l’indifférence des responsables d’établissements. Les témoignages convergent pour dénoncer une banalisation du sexisme, des violences psychologiques, ainsi que des blagues morbides, dignes de traumatiser les jeunes soignant.es…

« Ils étaient contents de leur blague, alors que la patiente était morte »

Alors que Clotilde, 21 ans, allait porter son repas à une patiente lors de son premier stage d’infirmière, obéissant aux ordres de ses collègues, le fait de se retrouver nez-à-nez avec un cadavre ne la fit pas rire plus que ça. La patiente était morte « depuis déjà longtemps », se souvient l’étudiante, au vu et au su des infirmier.es qui avaient délibérément envoyé Clotilde dans sa chambre pour lui faire une blague. « J’avais 18 ans, et c’était ma première confrontation à la mort », témoigne-t-elle.

Clotilde a saisi l’occasion du hashtag #balancetonstage sur Twitter pour dénoncer la violence qu’elle a subie. « Ils étaient contents de leur blague, alors que la patiente était morte », relate-t-elle. Si le hashtag avait été lancé par des stagiaires d’écoles de commerce, les étudiant.es en médecine et en infirmerie eurent une pléthore d’anecdotes à y raconter. Cécile, 24 ans, rapporte ainsi qu’elle a dû faire la toilette à un patient décédé, suivant les consignes de collègues qui, « pour rire », lui avaient « juste dit qu’il était sédaté ».

Entre soignant.es et stagiaires, les violences psychologiques semblent malheureusement la norme, solidement ancrée depuis des décennies. Du haut de ses trente ans d’ancienneté, Isabelle Derrendinger, directrice de l’école de sages-femmes de Nantes et secrétaire générale de l’ordre des sages-femmes, se reconnaît dans les témoignages parus sur Twitter : « Les mains aux fesses dans le bloc opératoire, c’était la norme. Je regrette que la réalité du XXe siècle soit la même que celle du XXIe. […] je suis trop bien placée pour savoir qu’il ne s’agit pas d’un fantasme étudiant, mais d’une réalité inacceptable. »

Les dénonciations des étudiant.es sont, on l’espère, le signe d’un changement. « On est passé de la loi du silence à la loi du hashtag. Il faudra aller plus loin », encourage Isabelle Derrendinger. En 2017, avec le livre Omerta à l’hôpital, le livre noir des maltraitances faites aux étudiants en santé paru aux éditions Michalon, le médecin Valérie Auslender s’insurgeait publiquement contre la « violence innée du système hospitalier ». Elle recueille alors 130 témoignages édifiants d’étudiants ou anciens étudiants en santé : « Ouvrir cette boîte de Pandore a délié des langues, dit-elle. La parole a eu une vertu thérapeutique pour les jeunes et a permis une prise de conscience de la part des pouvoirs publics. »

― insta_photos / Shutterstock.com

Un problème dont on commence à parler, mais qui n’est toujours pas traité dans la réalité

Cécile tenta de se défendre en décrivant l’incident à des responsables de son école d’infirmières, mais affirme n’avoir pas été prise au sérieux, et s’être sentie « complètement délaissée ».

Pourtant, Martine Sommelette, la présidente du Cefiec, l’association qui fédère les directeurs d’écoles d’infirmières, assure qu’un formateur référent est censé accompagner chaque étudiant et traiter ce type de situation. La procédure « dans le cas de contextes malveillants » consiste d’après Mme Sommelette à mettre un terme au stage (« on ferme le terrain de stage »). Mais la présidente reconnaît que « certains directeurs d’instituts n’ont parfois pas les moyens de le faire ». Sollicité, l’ordre national des infirmiers n’a pas souhaité s’exprimer.

Quant à Manon, étudiante sage-femme à Lille, elle a choisi de consulter un psychologue plutôt que de s’adresser à son école pour parler des violences qu’elle subissait pendant son stage. Elle n’a pas non plus protesté au sein de son hôpital, car comme elle l’explique : « On a un rapport à remplir à chaque garde et je n’ai pas envie que mon nom circule. » Elle confie aujourd’hui que ses supérieur.es lui « hurlai[en]t dessus », ne l’appelaient jamais par son prénom, et lui donnaient parfois des tapes sur les mains.

Un secteur sous pression

La violence des plaisanteries que Clotilde et Cécile ont subies n’est que trop révélatrice d’un milieu où l’on rit pour éviter de pleurer. Le rire est bien, comme l’écrivait Bergson dans Le Rire, une « anesthésie momentanée du coeur, pendant laquelle l’émotion ou l’affection est mise de côté ».

Dans un secteur hautement sous pression, c’est sur les stagiaires que la pression retombe. Auprès des infirmier.es qui manquent de temps et de moyens pour mener à bien leur travail, Clotilde, comme beaucoup d’autres stagiaires, s’est sentie « comme un poids pour eux ». A ce titre, Valérie Auslender pointe du doigt la difficile intégration des stagiaires au personnel soignant dans son livre précédemment cité : « Avec toute sa candeur, l’étudiant vient pointer du doigt les nombreux dysfonctionnements. Cela ne peut qu’agacer le professionnel qui essaie de les refouler ; cela ajoute une goutte d’eau à sa perte de sens, déjà compliquée à gérer. » Il va sans dire que la crise du Covid-19 a poussé ces dysfonctionnements à leur paroxysme.

« Les étudiants en santé sont insuffisamment accompagnés pendant leurs stages, et cela s’est renforcé pendant le confinement », constate la Fédération nationale des étudiant.e.s en soins infirmiers, qui estime que près de la moitié des infirmier.es en formation se sont retrouvé.es sans tuteur.rices pendant l’épidémie. Plus de 15 % des étudiants en infirmerie auraient commencé à avoir recours à des anxiolytiques durant la crise. Les mauvais traitements subis lors des stages expliqueraient, selon l’enquête de la FNESI, 55 % des interruptions de scolarité en formation d’infirmier.es.

Malgré les résultats honorables que Clotilde avait obtenus dans le cadre de ses études d’infirmière, les multiples problèmes rencontrés sur ses divers lieux de stage ont fini par la convaincre de se réorienter en marketing.

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