Mercredi 21 février, les salles de cinéma françaises vont accueillir la dernière pépite de Guillermo del Toro : La Forme de l’eau. Le réalisateur mexicain, à son meilleur niveau depuis Le Labyrinthe de Pan, nous y dévoile l’improbable histoire d’amour unissant une jeune femme muette et une créature marine – cobaye de laboratoire – dans une Amérique en pleine Guerre froide. On est rassuré : l’imagination de del Toro est intacte ! 

 

Une héroïne de films Disney

Le film s’ouvre sur Elisa, une jeune femme plongée dans un profond sommeil qui lévite dans une pièce remplie d’eau. Il a beau s’agir d’un rêve, cette première scène donne le ton général de ce conte de fées moderne et gothique, qui oscille entre onirisme enchanteur et militarisme patriotique. Elisa, jouée par Sally Hawkins, est une jeune femme muette qui vit selon une routine réglée à la seconde près : réveil, bain, oeufs durs, et départ pour le travail. Femme de ménage à l’institut de recherche aéronautique de Baltimore, Elisa va se voir confier le nettoyage des sols d’un étrange laboratoire où les scientifiques américains s’adonnent à d’étranges expériences…

Elise peut facilement être perçue comme la version humaine de Belle, cette fâcheuse manie de chanter à tout bout de champ en moins. Elle incarne toutes les valeurs féminines si chères à Walt Disney : souriante, jolie, gentille, serviable, et compatissante, elle a tout de la femme-enfant qui n’a pas (encore) conscience de la cruauté du monde extérieur. Sa chaleur naturelle et sa candeur authentique assurent un contraste saisissant avec son lieu de travail et Richard Strickland, le grand méchant de ce conte fantastique.

Gothique palace

L’institut a tout du château gothique et torturé de la Bête : les gargouilles, les tourelles menaçantes et le lierre galopant ont cédé la place à d’immenses sols de béton froids où s’accumulent d’imposantes et bruyantes machines de l’enfer. On est à mi-chemin entre le laboratoire d’un scientifique fou et de la tanière d’un ogre, un lieu froid, désolé, sordide et oppressant – à l’image du maître des lieux : Richard Strickland.

Incarné par le talentueux Michael Shannon, Richard Strickland est la caricature du militaire patriotique par excellence. Terne, impavide, froid et calculateur, cette brute autoritaire personnifie à lui seul tout ce conservatisme réactionnaire typique des années 60, teinté par-ci par-là de racisme et de misogynie. Nouveau superviseur de l’institut, Strickland est prêt à tout pour devancer les Russes, absolument tout. Même à disséquer cette étrange créature que des chercheurs américains ont rapporté du fleuve Amazone, persuadé qu’elle renferme le secret de la victoire des Américains sur les Rouges.

« L’Homme est-il un monstre ou le monstre un homme ? »

Assignée au nettoyage du laboratoire, Elisa fait la connaissance de l’homme amphibien, un « monstre » aquatique piégé dans une gigantesque cuve d’eau. Une créature qui n’est pas sans rappeler l’agent Abe Sapien dans Hellboy : et pour cause, c’est l’acteur Doug Jones qui joue ces deux personnages ! L’Homme amphibien a beau être pourvu d’un corps robuste, imposant et couvert d’écailles, il fend l’armure dès sa première rencontre avec Elisa qui lui fait découvrir la cuisine en lui donnant un de ses oeufs durs, l’initie aux plaisirs de la musique avec Benny Goodman et lui enseigne même la langue des signes ! Un apprivoisement qui va conduire ces deux êtres que tout oppose à nouer une impossible romance…

Ce n’est pas la première fois qu’un film aborde la question de l’humanité chez les êtres différents, qu’ils soient difformes ou d’une autre espèce. Tout le monde se souvient de l’inoubliable Elephant Man de David Lynch, ou du Bossu de Notre-Dame qui questionnaient ouvertement la prévalence des valeurs morales de l’Homme face à celles du « monstre ». Avec La Forme de l’eauGuillermo del Toro s’inscrit dans cette droite lignée de films humanistes et engagés, en attribuant à son héroïne et à l’homme amphibien les valeurs élémentaires que l’Homme se targue d’être le seul à posséder : la pitié, la compassion, la générosité… et l’amour. Un sublime plaidoyer pour la tolérance et la solidarité à découvrir ce mercredi en salles.

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