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Des scientifiques observent des serpents neutralisant le poison des grenouilles

Certaines espèces développent des toxines pour se défendre ou attaquer, tandis que d'autres apprennent à y résister

Image d’illustration — © Gabsch / Wikimedia Commons

En plein cœur de l’Amazonie colombienne, dix serpents royaux (Erythrolamprus reginae) se sont retrouvés face à une situation inhabituelle. Maintenus en captivité et privés de nourriture pendant plusieurs jours, ils ont reçu une proie peu engageante : des grenouilles dendrobates à trois bandes (Ameerega trivittata). Ces amphibiens sont tristement célèbres pour leur peau imprégnée de toxines mortelles telles que l’histrionicotoxine, la pumiliotoxine et la décahydroquinoline, qui perturbent les fonctions cellulaires essentielles.

L’évolution des armes chimiques dans la nature

Sur les dix serpents, six ont préféré rester à jeun. Les quatre autres, plus téméraires, ont attaqué leurs proies. Cependant, un comportement intrigant a été observé avant qu’ils ne les avalent : les serpents ont traîné les grenouilles sur le sol, comme pour en réduire la toxicité, un phénomène rarement documenté chez les reptiles. Ce comportement rappelle celui de certains oiseaux qui frottent leurs proies pour éliminer les substances nocives, selon Valeria Ramírez Castañeda, biologiste à l’université de Californie, Berkeley, et ses collègues qui ont mené cette expérience. Trois serpents ont survécu au repas, suggérant que leur organisme est partiellement adapté à ces toxines.

Depuis des centaines de millions d’années, la nature est engagée dans une véritable course aux armements chimiques. Les microbes ont été les premiers à utiliser des molécules toxiques pour éliminer leurs rivaux ou attaquer des hôtes. Les animaux, à leur tour, ont développé des toxines pour chasser ou se défendre, tandis que les plantes ont conçu des poisons pour dissuader les herbivores. En réponse, de nombreux organismes ont développé des mécanismes pour résister à ces substances, et certains vont même jusqu’à les stocker pour en faire des armes.

Ces adaptations intriguent les scientifiques, qui espèrent non seulement mieux comprendre ces stratégies biologiques, mais aussi en tirer des leçons pour traiter les intoxications humaines. Rebecca Tarvin, biologiste évolutionniste à Berkeley, souligne que ces toxines jouent un rôle dans l’écosystème, influençant les interactions entre les espèces. « Quelques milligrammes d’une seule molécule peuvent modifier l’ensemble des relations dans un écosystème », explique-t-elle.

Comment les espèces deviennent toxiques

Les toxines peuvent être produites, hébergées ou acquises via l’alimentation. Certaines espèces fabriquent elles-mêmes leurs toxines. Les crapauds bufonidés synthétisent des glycosides cardiaques, qui perturbent les fonctions cellulaires essentielles en bloquant une protéine clé, la pompe sodium-potassium. D’autres, cependant, doivent leurs capacités toxiques à des microbes vivant dans leur corps qui produisent de la tétrodotoxine, comme le poisson-globe, dont la chair est hautement toxique. 

Et puis il y a un troisième groupe, composé d’animaux qui deviennent venimeux en absorbant les toxines présentes dans leur nourriture. Les grenouilles venimeuses, comme celles offertes aux serpents royaux, ingèrent des toxines en consommant des insectes et des acariens. Pour devenir toxiques sans s’intoxiquer elles-mêmes, ces espèces ont apporté des modifications à leurs protéines cellulaires. Par exemple, certains insectes se nourrissant de plantes riches en glycosides cardiaques ont évolué pour rendre leurs pompes sodium-potassium résistantes à ces toxines.

Cependant, ces adaptations ne sont pas sans conséquence. Susanne Dobler, biologiste moléculaire à l’université de Hambourg, a étudié la punaise de lit, qui consomme des graines d’asclépiade riches en glycosides. Elle a constaté que plus la pompe sodium-potassium devient résistante, moins elle fonctionne efficacement, ce qui affecte particulièrement les cellules nerveuses. Pour contourner ce problème, la punaise semble utiliser d’autres mécanismes, comme des protéines transporteurs ABCB, pour expulser les toxines hors des cellules.

Ces transporteurs pourraient également expliquer pourquoi certains insectes, comme le coléoptère rouge vif qui se nourrit de muguet, tolèrent les glycosides. Ces substances toxiques sont simplement excrétées, et leurs excréments deviennent même une arme défensive contre les prédateurs.

Les stratégies des serpents et autres animaux résistants

Chez les serpents royaux, le foie semble jouer un rôle clé. L’équipe de Tarvin a découvert que des extraits de foie de ces serpents contiennent des composants capables de neutraliser les toxines des grenouilles dendrobates. Ces mécanismes pourraient inclure des enzymes qui transforment les substances toxiques en composés inoffensifs ou encore des protéines qui agissent comme des « éponges » en se liant aux toxines pour les empêcher d’atteindre leurs cibles. Des stratégies similaires ont été observées chez d’autres animaux, comme les écureuils terrestres de Californie, dont le sang contient des protéines neutralisant le venin des serpents à sonnettes. 

Cependant, cette résistance n’est pas absolue. Les serpents à sonnette, par exemple, continuent d’adapter leur venin pour surmonter les défenses de leurs proies, tandis qu’eux-mêmes restent vulnérables à leur propre venin en cas d’exposition suffisante. Malgré ces adaptations biologiques, beaucoup d’espèces préfèrent éviter directement les toxines. Les serpents terrestres traînent leurs proies sur le sol avant de les avaler, et certaines tortues consomment uniquement les parties non toxiques des tritons. De même, les chenilles monarques, pourtant résistantes aux glycosides cardiaques, drainent le liquide toxique des plantes d’asclépiade avant de s’en nourrir.

D’autres espèces optent pour une stratégie encore plus audacieuse : transformer les toxines en armes défensives. Par exemple, le coléoptère irisé transporte les glycosides cardiaques qu’il ingère sur son dos pour dissuader ses ennemis. Les papillons monarques, eux, stockent ces toxines issues de l’asclépiade pour devenir eux-mêmes toxiques et se protéger des prédateurs.

Ces interactions complexes montrent à quel point les toxines influencent l’évolution. Noah Whiteman, biologiste à Berkeley, souligne que ces substances ont un impact considérable sur les écosystèmes et les espèces. Par exemple, une toxine produite par une plante d’asclépiade en Ontario peut, par une chaîne évolutive, façonner la biologie d’un oiseau migrant jusqu’au Mexique pour se nourrir de papillons monarques. Par ailleurs, une famille découvre un serpent noir à ventre rouge très venimeux dans sa maison en Australie.

Par Eric Rafidiarimanana, le

Source: Science Alert

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