L’effort de protection de la biodiversité dans les réserves naturelles serait moins efficace que l’on pensait. Une étude récente suggère que les zones protégées n’englobent pas suffisamment de critères pour réellement faire perdurer la biodiversité. DGS vous explique tout cela en détail.

Différentes « dimensions » dans la diversité

C’est peut-être une étude iconoclaste mais il serait préférable qu’elle fasse des vagues. Publié dans le Proceedings of the National Academy of Sciences, le texte explique qu’environ un quart des mammifères sur Terre sont menacés, principalement par l’action humaine. En étudiant les différentes zones de préservation d’animaux dans le monde, les scientifiques en sont venus à la conclusion que « les priorités de conservation basées sur la répartition des espèces, leur endémisme et leur vulnérabilité pourraient sous-représenter des espèces biologiquement uniques » .

Selon cette étude, cette approche n’est pas à la hauteur en ce qui concerne la protection de la biodiversité des mammifères. Depuis plusieurs mois, de nombreuses voix se sont élevées pour prôner une meilleure inclusion d’autres aspects de la diversité dans le choix des zones à protéger.

Ces aspects sont au nombre de trois et permettraient d’augmenter significativement la diversité des espèces incluses dans ces zones. Le premier, déjà reconnu et utilisé dans la préservation des espèces, est la diversité dite taxonomique. Le deuxième est la diversité phylogénétique, qui quantifie le degré de parenté entre les espèces présentes dans une zone précise. Le troisième est la diversité fonctionnelle, qui est plutôt une mesure des différents traits adaptatifs représentés au sein de ces espèces : modes d’alimentation, de déplacement, relations proies/prédateurs, etc.

Pour prendre un exemple, imaginons une réserve naturelle uniquement composée d’ours, dans laquelle des centaines de races d’ours différentes seraient représentées, brun, grizzly, ou même le panda, etc… On peut conclure que dans ce parc, la richesse spécifique est grande car il y a des centaines d’espèces, mais que la diversité phylogénétique est pauvre (car tous sont des ours).
À l’inverse, s’agissant de diversité fonctionnelle, si dans les centaines de races d’ours toutes sont carnivores, alors la diversité fonctionnelle est faible. Mais si parmi ces espèces certaines sont herbivores ou omnivores, alors la diversité fonctionnelle augmente. Si l’on ajoute à cette zone et à ces spécimens un éléphant et un poisson, la diversité phylogénétique augmente car des animaux assez éloignés des ours en termes de parenté ont été introduits.

Seul 1 % de la planète correspond à ces trois composantes de la diversité

Fernanda Brum, auteur principale de la publication et biologiste à l’université fédérale de Goiás et à l’université fédérale de Rio Grande au Brésil, recommande précisément que ces trois critères soient inclus dans les choix de zones : « Quand nous sélectionnons des zones en fonction de leur richesse en espèces animales, nous ne pouvons pas supposer que nous prenons en compte ces autres choses », explique-t-elle. Elle ajoute : « Les réseaux de zones protégées actuelles ne sont pas situés dans les meilleurs endroits pour prendre en compte toutes ces différentes dimensions [de diversité] » .

En faisant des recherches sur l’impact de l’Homme sur la diversité spécifique, phylogénétique et fonctionnelle, Brum et son équipe se sont demandés si l’organisation des différentes zones protégées existantes prenaient en compte l’intégralité du panel de la biodiversité.

La réponse est claire : c’est non, et il y a encore des efforts à faire. Fernanda Brum et le reste de ses collègue ont comparé les emplacements des plus hautes concentrations de ces trois critères de biodiversité. Ils se sont alors aperçu que, comme prévu, l’Amazonie ainsi que la Papouasie-Nouvelle-Guinée présentaient ces trois « dimensions » en forte concentration. Mais à l’échelle planétaire, les résultats ont montré que les zones prioritaires en fonction des espèces, de la phylogénétique ainsi que de la diversité fonctionnelle étaient spécifiquement distinctes.
En réalité, ces trois aspects de la biodiversité ne se superposent que sur 4,6 % de la surface de la Terre, comme le montre le graphique tiré de l’étude.

Mais il y a plus édifiant encore : les chercheurs ont ensuite comparé ces zones où les trois critères sont remplis avec les différentes réserves dédiées à la protection de la biodiversité. Seulement 1 % de territoires protégés dans le monde contiennent ces trois dimensions de diversité. En prenant en compte ces conditions, il serait même possible d’atteindre l’un des objectifs fixés par la Convention pour la diversité biologique d’Aichi en 2010. Lors de cette convention avait été fixé l’objectif de 17 % de zones protégées sur la surface de la planète avant l’horizon 2020. Nous n’en sommes actuellement qu’à 14 %.

Image présentant les zones rassemblant les critères taxonomiques, phylogénétiques et fonctionnels (marron), l’actuel réseau de zones protégées (vert) et les endroit où ces deux aspects se rejoignent (orange).

Un défi pour la conservation

 » Ce résultat montre un défi à relever au sein de l’organisation de la conservation. Si nous voulons réellement rassembler ces nombreuses facettes de la biodiversité, comment allons-nous procéder ? « , se questionne Fernanda Brum.

Oliver Wearn, écologiste à la Société Zoologique de Londres (mais n’ayant pas participé à cette étude) précise :  » Ils ont pris en compte le fait qu’on ne veut pas conserver, par exemple, la même espèce, ou le même espace fonctionnel, plusieurs fois. Je ne pense pas que tout ceci ait été entrepris auparavant « . Pour lui, le défi est de prendre en considération d’autres critères importants, notamment en soulignant qu’il était important d’identifier les endroits où le besoin d’instaurer une zone protégée est le plus urgent, comme dans les forêts de l’Asie du Sud-Est ou à Madagascar.

Mais cette étude ne reflète qu’une vision étroite de la façon dont sont choisis les espaces de conservation, ajoute Brum. D’autres obstacles peuvent en effet se dresser avant de pouvoir créer une nouvelle réserve : « La création d’une zone protégée tient plus d’une décision politique que d’une décision biologique. Il y a des questions socio-économiques, des conflits avec les activités économiques, il faut une volonté politique de protéger cet endroit, etc. C’est donc plus difficile que de simplement incorporer ces informations biologiques » .

Il faut donc prendre cette étude pour ce qu’elle est, à savoir une recommandation et peut-être même plus, une sonnette d’alarme pour inciter les autorités responsables à mieux gérer les espaces protégés. C’est d’autant plus important lorsque l’on sait que la planète vient d’entrer dans sa sixième extinction de masse, elle-même provoquée principalement par l’Homme.

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