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Les “prisons ouvertes” sont peut-être la solution pour la réinsertion des détenus en France

Surpopulation, état de délabrement, conditions de vie… Autant de problèmes relatifs au milieu carcéral en France. La Garde des Sceaux Nicole Belloubet a proposé le 20 avril dernier un projet de loi de programmation de la justice où elle met en avant les prisons ouvertes. Gros plan sur l’une des deux qui existent en France actuellement. 

Un lieu de détention très original

En France, on recense actuellement 187 établissements pénitentiaires répartis sur tout le territoire. Depuis des années, il existe un problème de surpopulation dans le milieu carcéral et les conditions de vie à l’intérieur de ces lieux ne sont pas toujours aux normes… Et si, comme l’a évoqué la Garde des Sceaux (ministre de la Justice) dans son projet de loi, la solution se trouvait dans des lieux de réinsertion ouverts ? Deux « prisons ouvertes » existent en France aujourd’hui : l’une en Corse et l’autre dans l’Aisne, à Moyembrie.

Située au nord de Soissons à l’écart du village de Coucy-le-Château-Auffrique, la ferme de Moyembrie ressemble à une exploitation agricole classique à une exception : elle accueille des détenus, qui viennent y finir leur peine avant leur libération. Ici, tout est accessible et point de contrôle à l’horizon. La ferme-prison fonctionne sur la confiance et avec des règles de vie assez simples. En ce moment, ce sont 20 détenus nommés « résidents » qui y vivent. Tout le monde porte une tenue de travail, il est donc difficile de reconnaître les « encadrants » (cinq salariés d’une association partenaire de l’administration parlementaire) dans le lot. La ferme accueille régulièrement de nouveaux résidents.

Un endroit idéal pour se réinsérer en douceur

Karim, l’un des nouveaux arrivants, s’exprime sur ce lieu nouveau pour lui : « C’est comparable avec la maison, mais pas avec la prison ». Et le résident d’ajouter : « Plus de bruit de détenus, plus de portes qui claquent, ce n’est vraiment plus pareil ». Depuis 2003, ce sont 800 hommes qui sont passés à la ferme pour terminer de purger des peines souvent lourdes (décidées en cour d’assises). Karim, lui, restera à Moyembrie un an. « C’est une renaissance, un sas de décompression avant de rentrer à la maison », résume-t-il. Il faut faire la demande de transfert au juge d’application des peines pour venir à la ferme et en général, un détenu sur deux est accepté.

À Moyembrie, chaque résident se voit remettre des consignes écrites : ce sont les règles de vie. Rémi, l’un des encadrants, en explique la teneur : « On s’engage à travailler tous les matins. On partage le repas du midi ensemble. Pas d’alcool, pas de violence, y compris verbale ». L’encadrant explique que le but ici est la réinsertion progressive des détenus. « En détention, on peut perdre certaines règles de savoir-vivre. L’idée, c’est qu’à la ferme, tout doucement, on réapprenne à vivre ensemble, à se respecter ». C’est dans la même optique que les après-midis sont obligatoirement consacrés à préparer la sortie de détention, en cherchant une formation, un logement, un emploi.

Une relation de confiance qui fait ses preuves

Chaque nouvel arrivant visite la ferme et on lui montre les limites de la propriété. En l’absence de barbelés et de mur d’enceinte, c’est primordial. Simon, un autre encadrant, explique le concept : « On est au milieu de la nature, entouré de forêts. Les gars ont le droit d’être sur les 24 hectares de la ferme. Tout est basé sur la confiance ». Il semble d’ailleurs que la tentation de s’évader n’effleure même pas l’esprit des résidents. « Cela arrive très très rarement. Les gars ici ont une profonde envie de s’en sortir et sont à la fin de leur peine. Ils n’ont rien à gagner à s’évader, ce serait trop bête », affirme Simon. La sensation d’être à l’air libre et en semi-liberté est également fondamentale.

À Moyembrie, on peut travailler à la maintenance des bâtiments, à l’élevage des poules et des chèvres (les résidents produisent et vendent du fromage) et même au maraîchage. C’est l’activité préférée de Rudy, un résident âgé de 32 ans, dans sa dernière année de détention ici. Il exprime clairement sa chance d’être à la ferme de Moyembrie et la différence avec la prison : « Ici, c’est les oiseaux, la fraîcheur, bientôt le soleil, pas de mur, les arbres. En plein air, pour se reconstruire, c’est ce qu’il y a de mieux. Là, on a un pied dehors et on fait tout pour avoir le deuxième. » Il en est convaincu, la ferme-prison est « une chance » et il faudrait « beaucoup plus de lieux comme ça, ou une autre structure qui permette de se réinsérer ». Les résidents ont même le droit à des sorties contrôlées pour aller faire les courses une fois par semaine.

Un espace accueillant pour les visites

Le mot « confiance » revient encore dans la bouche de Rudy. « Il faudrait aussi avoir confiance en beaucoup plus de détenus ». En tout cas, cette confiance ne manque pas ici, puisque certains résidents sont même emmenés chaque semaine à Paris pour la livraison des paniers de légumes bio aux 400 clients de la ferme. Dans la même veine, les encadrants laissent les résidents recevoir de la visite toute la journée les samedis et dimanches. Ce qui change des 45 minutes tolérées au parloir en prison… Ici, les familles se promènent dans la ferme et déjeunent sur place. À Moyembrie, les détenus sont fiers de recevoir leurs proches.

Christophe, un homme de 44 ans, arbore fièrement la clé de sa chambre qu’il garde tout le temps sur lui. Il accueille ses proches, dans ce qui lui semble être « un appartement ». Il explique d’ailleurs avoir bien aménagé cet espace de vie personnel. « J’ai refait la pièce, papier peint, frise, peinture. Pour moi, c’est la clé du paradis. J’ai ma grande fenêtre avec mon rideau. Il n’y a plus de barreaux. Quand les gens viennent, on peut s’asseoir, boire un café. » En somme, la ferme-prison est un premier pas vers une vie normale.

Pour les sceptiques qui parlent de coûts et d’économie, il faut savoir que la journée d’un résident à la ferme de Moyembrie coûte à l’Etat environ 30 euros. Par comparaison, dans une prison classique, il faut compter en moyenne plus d’une centaine d’euros. Si le concept doit bien sûr être contrôlé et approfondi, il apparaît comme une solution plus que crédible aux problèmes liés à la question des prisons en France.

 

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