En 2020, l’industrie du jeu vidéo peine encore à être pleinement inclusive en termes de représentation. Malgré quelques avancements récents notables, de nombreux progrès se font encore attendre. Depuis quelque temps, différents jeux vidéo ont pris leur responsabilité en élargissant leurs options en termes de couleur de peau et/ou de type de cheveux proposés. Comment expliquer que ces changements prennent autant de temps ? Comme dans de nombreux autres domaines de notre société, les personnes racisées souffrent d’un manque de représentation considérable. Bien plus qu’il n’y paraît, les jeux vidéo sont en réalité un miroir de notre société. Il s’y cristallise les enjeux de nos sociétés contemporaines.

La représentation des personnages noirs dans les jeux vidéo

Si la représentation des personnes noires dans le monde du gaming progresse, différentes évolutions se font cependant toujours attendre, et ce, à de nombreux égards. Le leader du matériel gaming Logitech avait notamment annoncé vouloir « mettre le paquet sur la diversité » lors d’un shooting photo organisé avec le média MadmoiZelle en novembre dernier. De manière générale, le monde du gaming a un besoin urgent de diversité, entre autres en ce qui concerne les personnages jouables, les avatars. Le premier personnage jouable noir fut créé en 1979 dans le cadre du jeu Basketball sur Atari.

Brice, le fondateur de Persos Cachés, partage sur MadmoiZelle ses premiers souvenirs liés aux jeux vidéo, s’estimant particulièrement chanceux car très jeune il a pu jouer avec un personnage noir : « J’ai eu beaucoup de chance, parce qu’on a très vite eu une Mega Drive et Streets of Rage. Même tout petit, et pas encore conscient de ce genre de problématiques, Adam était mon personnage préféré. J’imagine que comme tout le monde, on aime bien choisir des personnages qui nous ressemblent… J’ai bien dû attendre une vingtaine d’années pour réaliser qu’on n’était quasi jamais représentés et que c’était un vrai souci. »

Jennifer d’Afrogameuses partage également son souvenir du premier vrai personnage féminin noir : « Par la suite, j’ai joué Senna, que je considère être le premier vrai personnage féminin et noir dans League of Legends. Ça m’a bouleversée car pour la première fois, dans mon jeu préféré, je pouvais jouer un personnage qui me ressemblait vraiment, et pas qu’à moitié ! »

Suite à l’annonce le 11 juin 2020 de la sortie de la nouvelle console PlayStation 5 et de l’extension Spider-Man : version afro-américaine, un retentissement conséquent s’est fait sentir sur la toile. Les cheveux crépus particulièrement réalistes de Miles Morales représentant Spider-Man semblent avoir constitué un réel tournant. Il s’agit d’une avancée considérable face au problème de la représentation du cheveu noir dans la pop culture.

Les Sims 4 et notamment les Black Simmers ont également joué un rôle essentiel en ce qui concerne cette prise de conscience. Un Simmer est une personne adepte du fameux jeu de simulation de vie. Les Black Simmers constituent une communauté de fans des Sims qui personnalisent le jeu pour y inclure des éléments issus de cultures noires. Cela comprend notamment des coupes et textures de cheveux, vêtements, mais aussi des petites décorations ou des aliments. Ce groupe a notamment organisé une manifestation Black Lives Matter dans les Sims. Le journaliste François Oulac approfondit cette thématique dans un article pour Numerama. L’engagement des Black Simmers offre au jeu aux millions de joueurs un réel outil d’inclusivité. Si l’engagement des Black Simmers est à saluer, Ebonix, créatrice du hashtag #BLMSimsRally, regrette, dans des propos rapportés par Numerama, que les créateurs des Sims laissent ce travail à des joueurs bénévoles. Comme l’illustrent les Black Simmers, une représentation réaliste et détaillée est essentielle afin de pouvoir réellement parler d’un changement de fond.

L’ajout d’Afro Puffs dans le jeu Animal Crossing a également mobilisé les internautes en proposant différents types de cheveux crépus.

Si ce changement est à saluer, il est important de rappeler que celui-ci était attendu de longue date. Il est entre autres intéressant de citer Taniesha Bracken-Hucks qui avait lancé une pétition réclamant plus de coupes adaptées aux cheveux crépus dans Animal Crossing en proposant elle-même certaines coupes ! Cette dernière est parvenue à récolter près de 60 000 signatures !

― © Capcom — Monster Hunter World

D’autres jeux vidéo se doivent également d’être mentionnés, tels que Black Desert, NBA 2K 2020, Guild Wars 2, Sunset Overdrive ou Assassin’s Greed Origins . Le jeu Deathloop, qui sortira au printemps 2021, propose par ailleurs deux personnages principaux, respectivement un homme et une femme noirs.

Les problématiques liées à la sous-représentation des personnes noires dans les jeux vidéo

Les jeux vidéo sont comme un miroir de notre société. Ainsi, le manque de diversité y est tout autant présent. Les causes y sont multiples. Les problématiques liées à la représentation des personnes noires dans les jeux vidéo sont en effet beaucoup plus complexes qu’il n’y paraît au premier abord. Il s’agit non seulement d’une question esthétique liée à la couleur de peau et au type de cheveux mais également au rôle des personnages racisés dans les jeux vidéo.

Un première raison souvent évoquée concerne les dirigeants dans le monde du gaming. Il semblerait en effet qu’une méconnaissance conduise à une faible représentation. François Oulac pour Numerama cite une étude de l’International Game Developers Association relevant que seuls 2 % des développeurs dans le monde étaient noirs.

Brice, le fondateur de Persos Cachés, pour MadmoiZelle s’exprime à ce sujet : « La représentation passe aussi par la vision du développeur, et tant que les studios resteront aussi peu variés, ça ne bougera jamais. Embauchez plus de minorités. Dans les studios de développement, dans la com, même dans les studios de doublage. Alors, peut-être que ça commencera à changer. »

Il est absolument essentiel d’avoir des personnes noires et de manière générale des personnes racisées aux postes à responsabilités afin de pouvoir observer un réel changement. Jennifer d’Afrogameuses ajoute une remarque à ce sujet pour MadmoiZelle : « La prochaine étape après avoir inclus des personnages racisés dans les jeux vidéo, c’est de créer des histoires authentiques qui leur ressemblent. Et ça ne peut se faire qu’en collaboration avec les personnes concernées qui ont l’expérience et l’expertise sur ces sujets-là. Il ne faut pas omettre d’intégrer ces gens dans le processus de création et bien sûr de les créditer pour leur travail. »

La représentation ne concerne pas seulement l’apparence mais bien la création de nouveaux récits. François Oulac partage sa vision future de nouveaux récits pour les jeux vidéo dans cette même lignée lors de son entretien avec MadmoiZelle :

« Mon rêve serait un jeu de type Assassin’s Creed, mais se déroulant dans un contexte purement africain, ou abordant l’histoire coloniale. La franchise se concentre sur de grands empires du passé, moi j’aimerais qu’on se focalise sur une histoire africaine : on en a marre du Moyen Âge et de l’Antiquité occidentale !

« On peut aussi imaginer des jeux politiques, où l’on joue un esclave tentant de s’échapper, un héros colonisé… Évidemment, on parle là de périodes douloureuses de l’Histoire, mais d’un autre côté on a plein de jeux dans l’Allemagne d’Hitler, alors pourquoi ne pourrait-on pas se mettre dans la peau d’un personnage luttant contre des colons ? On a déjà tué des tas de nazis dans les jeux vidéo. Pourquoi ne pas y tuer des esclavagistes ? »

Il semble être parfois nécessaire de se rapporter à des jeux plus indépendants proposant des thématiques dites plus niches, voici certains exemples à explorer : Sumatra : Fate of Yandi parle de la nature et des légendes d’Indonésie. Black Myth : Wukong explore la mythologie chinoise. Certains jeux ont également besoin de soutien pour aboutir, voici un jeu inspiré de l’histoire caribéenne : Tales of Ka. Il reste cependant important de constater que certains univers n’ont pas encore été explorés.

Par ailleurs, trop souvent, la gamme de couleurs de peau proposée est bien trop limitée et ne correspond pas à la réalité. Si certains aspects semblent s’apparenter à du colorisme, des questions techniques semblent être tout aussi importantes.

Le journaliste François Oulac s’exprime à ce sujet lors d’un entretien avec MadmoiZelle : « Il existe une ‘tradition’ consistant à mal représenter les cheveux des personnes noires dans le jeu vidéo. Comme je l’explique dans mon article, ça vient en partie d’un manque de ressources techniques pour représenter les personnages noirs, qui ont longtemps été absents des jeux ; du coup, on n’a pas créé d’outils 3D pour modéliser leurs cheveux ; du coup, on ne met pas de personnage noir parce qu’on n’a pas les ressources pour… c’est un cercle vicieux. On se retrouve donc avec des options très limitées et pas très bien réalisées, surtout dans les jeux où on peut customiser son avatar : une grosse afro, des dreads épaisses façon Bob Marley, quelques tresses collées, voici de quoi on devait se contenter. Sans parler de l’option ‘on a gardé des cheveux lisses, on les a juste colorés en noir’. »

Des médias anglophones rappellent régulièrement que la problématique n´est pas seulement liée à la gamme de couleurs ou aux types de cheveux proposés mais également à la luminosité et ainsi à une méconnaissance de la mise en valeur des peaux dites non blanches. Voici un exemple dans le Jeu Black Desert, où les traits du visage ne se distinguent que difficilement. Beaucoup de jeux proposent comme „solution“ des couleurs claires. Ceci ne rÈgle cependant en aucun cas la question d´une représentation réaliste et fidèle. En réalité, il s’agit bel et bien d´une problématique liée aux techniques de luminosité.


― © Capcom — Black Desert

La série Insecure réalisée par la directrice de photographie Ava Berkofsky est un exemple de succès dans ce domaine. Dans cette vidéo, le média Mic partage quelques techniques sur la luminosité et l’éclairage sur les peaux noires dans Insecure.

La non-représentation des personnes racisées dans les jeux vidéo est intrinsèquement liée aux standards d’une beauté blanche de notre société favorisant les cheveux lisses. Ceux-ci expliquent par ailleurs les discriminations liées au type de cheveux.

Brice pour MadmoiZelle cite également le racisme de joueurs blancs qui expliquent ne pouvoir s’identifier à des personnages d’une autre couleur de peau : « C’est encore pire quand je lis les réactions de certains joueurs blancs face aux rares jeux où nous sommes représentés : ils hurlent, demandent des remboursements, parce qu’ils ont du mal à s’identifier aux personnages. Nous, à côté, on n’existe pas, apparemment. » Qu’en est-il des gameurs racisés ? Pourquoi l’identification ne devrait-elle se faire que dans un sens ?

― © Sony / Nintendo / Square Enix

Des initiatives à soutenir

Face aux différentes problématiques présentées dans les parties précédentes, que faire ? Nous avons à cœur de vous présenter quelques projets qu’il est important de soutenir. Le groupe de Black Simmers précédemment présenté a déjà joué un rôle considérable en s’exprimant en ligne sur ces sujets à travers, en autres, l’organisation d’une manifestation Black Lives Matter dans les Sims et l’ajout de nombreuses options.

La page Persos Cachés s’engage pour plus de diversité ethnique dans la sphère du jeu vidéo en France. D’après le fondateur, Brice, il est temps d’apporter plus de diversité et que celle-ci soit enfin visible et représentée dans les jeux vidéo. Persos Cachés est au service des personnes racisées dans le milieu du gaming, pour les minorités de manière générale.

Le travail de Jennifer Lufau, fondatrice d’Afrogameuses, est tout aussi essentiel car il lie les jeux vidéo et l’afroféminisme. Le monde du jeu vidéo est un domaine vécu par beaucoup comme particulièrement sexiste. Afin de soutenir activement cette initiative, il est également possible de se rendre sur son compte Utip. Jennifer justifie son engagement au cours d’un entretien auprès de MadmoiZelle « Ne pas se voir représentée, c’est synonyme de ne pas compter, finalement. C’est comme si on prétendait que les minorités (dans mon cas les femmes noires) ne jouaient pas aux jeux vidéo. »

Ainsi, dans le jeu vidéo, le design et le rôle des personnages noirs est un enjeu de justice sociale. Cependant, et comme le rappelle François Oulac pour Numerama, ces questions n’ont pas à être politiques. Il ne s’agit pas de s’opposer aux autres joueurs mais bien plutôt de s’imposer comme joueur à part entière ; l’objectif principal étant que l’inclusivité devienne la norme. A quand un épisode du podcast Kiffe ta race qui explore les questions raciales sur la place des personnes racisées dans les jeux vidéo ?

Il est essentiel de parler de la place des personnes noires dans les jeux vidéo. Cependant, il est également nécessaire de rappeler que la problématique de la représentation concerne une part bien plus importante de notre société. Qu’en est-il de toutes les personnes racisées, qu’elles soient par exemple asiatiques, arabes, roms, juives ou musulmanes ? Quelle est la place accordée de manière plus générale aux personnes qui ne correspondent pas à une certaine « norme » trop souvent blanche, validiste et/ou grossophobe ? Même si les évolutions présentées sont à saluer, elles ne sont pas encore suffisantes. Il est temps que la diversité devienne simplement la normalité.

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