Bien avant que Sidney Poitier et Denzel Washington ne crèvent l’écran, les acteurs noirs à succès étaient plutôt rares à Hollywood. Voici l’histoire de Lincoln Perry, alias « Stepin Fetchit », considéré comme la première star de cinéma afro-américaine de l’histoire, qui connut la gloire dans les années 1930.

UN PERSONNAGE CONTROVERSÉ

Lincoln Perry naît en 1902 dans la localité de Key West, en Floride. D’origine jamaïcaine, son père travaille dans une manufacture de cigares et participe occasionnellement à des spectacles de « minstrel », tandis que sa mère travaille en tant que couturière pour le compte d’une famille fortunée de la ville.

Jeune adolescent, Perry se révèle être un joueur de claquettes particulièrement doué et participe à plusieurs tournées à succès à travers les États-Unis qui lui donnent le goût de la scène. Quelques années plus tard, il attire l’attention de plusieurs producteurs grâce au duo comique « Step and Fetch It », qui deviendra plus tard son nom de scène.

Lincoln Perry alias « Stepin Fetchit » et Chubby Johnson dans le film « Les Affameurs » (1952)

À son arrivée à Los Angeles dans les années 1920, un découvreur de talents travaillant pour les studios Fox propose à Lincoln de passer un bout d’essai. L’expérience se révèle concluante, et Perry est engagé en tant qu’acteur.

Affiche de film « Wild Horse » (1931) sur laquelle Perry est crédité en tant que « Stepin Fetchit »

Sorti en 1927, le film muet In Old Kentucky va permettre à l’acteur d’entrer dans une nouvelle dimension. Lincoln Perry y interprète le rôle de « l’homme le plus paresseux du monde », un personnage qu’il incarnera dans de nombreux films, et son jeu désinvolte ne tarde pas à séduire le public… ainsi que la Fox qui lui offre un juteux contrat.

Au début des années 1930, Perry est au sommet de sa gloire. Devenu millionnaire, l’homme fait la une des magazines et des tabloïds, qui mettent en avant son style de vie extravagant. L’acteur possède une douzaine de voitures de luxe, porte de coûteux costumes en cachemire et emploie pas moins de 16 domestiques et chauffeurs.

LINCOLN PERRY JOUE DANS PLUS DE 40 FILMS ET DEVIENT LE PREMIER ACTEUR AFRO-AMÉRICAIN MILLIONNAIRE DE L’HISTOIRE

Au cours de sa prolifique carrière, Perry joue dans plus de 40 films. Véritable figure du show-business, l’acteur organise régulièrement d’impressionnantes fêtes et se révèle proche des plus grandes célébrités de l’époque telles que Will Rogers, John Wayne, Mae West et Shirley Temple (il deviendra quelques décennies plus tard un proche de Mohamed Ali).

Cependant, certains Américains et autres leaders des droits civiques condamnent fermement les clichés véhiculés par les personnages que Perry interprète. Ces derniers sont généralement paresseux et analphabètes, baissent les yeux lorsqu’ils s’expriment et tiennent des discours incompréhensibles, ce qui s’apparente pour de nombreux observateurs à une façon de perpétuer certains stéréotypes racistes.

À l’époque, la NAACP (Association nationale pour la promotion des gens de couleur) se bat pour que les studios hollywoodiens rémunèrent de la même façon les acteurs noirs et blancs et cessent de présenter les Noirs de façon négative.

Perry tente d’obtenir un salaire égal à celui de ses homologues blancs, mais la Fox refuse catégoriquement d’accéder à sa demande. Il quitte Hollywood en 1940 et fait faillite moins de sept ans plus tard. De 1950 à 1976, il fait quelques apparitions à l’écran et enchaîne les rôles mineurs avant qu’un AVC ne vienne mettre un terme à sa carrière. Il décède finalement en 1985 dans un hôpital de Los Angeles.

Photographie de Lincoln Perry datant de 1959

Bien que de nombreux membres de la communauté noire voient d’un mauvais œil la carrière cinématographique de Perry, l’humoriste afro-américain Jimmie Walker a une vision plus nuancée de ses travaux. Pour lui, ses personnages étaient malins et faisaient semblant d’être incompétents afin que les Blancs s’impatientent et finissent par faire eux-mêmes le sale boulot.

Pour le critique de cinéma Mel Watkins, les personnages caricaturaux interprétés par Perry représentaient la résistance des esclaves afro-américains face au travail forcé.

Lincoln Perry était le premier à admettre que le personnage de Stepin Fetchit lui collait à la peau, et le déplorait : « Ce n’est pas parce que Charlie Chaplin joue le rôle d’un vagabond que tous les Anglais sont forcément des vagabonds, et ce n’est pas non plus parce que Dean Martin boit que tous les Italiens sont des ivrognes. »

« CE N’EST PAS PARCE QUE CHARLIE CHAPLIN JOUE LE RÔLE D’UN VAGABOND QUE TOUS LES ANGLAIS SONT FORCÉMENT DES VAGABONDS »

Le Hollywood Walk of Fame compte aujourd’hui plus de 2 600 étoiles, sur lesquelles figurent les noms de célébrités de l’industrie du spectacle

Bien loin des clichés véhiculés par ses personnages, Lincoln Perry écrivait régulièrement des chroniques pour le compte du Chicago Defender dans lesquelles il décrivait son expérience hollywoodienne. En 1976, il recevait une récompense spéciale de la part de la NAACP pour l’ensemble de sa carrière, ainsi qu’une étoile sur le Hollywood Walk of Fame. Si l’héritage de Perry reste encore aujourd’hui controversé, beaucoup reconnaissent qu’il a ouvert la voie aux acteurs noirs à Hollywood.

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