Parfums pour hommes, parfums pour femmes, si au premier abord la distinction saute au nez, c’est pourtant loin d’être évident. Mais d’où vient cette distinction ? De quand date t-elle ? Et surtout, est-elle vraiment physiologique, culturelle ou autre encore ? Le Daily Geek Show a mené l’enquête pour vous auprès d’une douzaine d’experts reconnus du milieu feutré de la parfumerie.
Si l’histoire du parfum remonte à la nuit des temps, son approche actuelle en Occident résulte d’une histoire qui remonte au XVIIe siècle. A cette époque, hommes et femmes portent les mêmes essences, utilisées à la fois pour la toilette sèche et pour parfumer certains accessoires, dont les gants en cuir. L’odyssée du parfum moderne peut commencer et, peu à peu, le genre du parfum se fait sentir : les fleurs pour les femmes et les notes fraîches « propres » pour les hommes, notamment avec « l’après-rasage ».
À CHAQUE GENRE SES CODES ET INGRÉDIENTS ?
Comme le souligne Jeanne Doré, rédactrice en chef de Nez, la revue olfactive, et Auparfum.com, dans la majorité des grandes enseignes de parfumerie, la distinction entre parfums pour femmes et parfums pour hommes est marquée spatialement avant de l’être olfactivement. En effet, dans la nature, les odeurs n’ont pas spécifiquement de genre, fait remarquer Nicolas Olczyk, expert indépendant du parfum, « Parfums Tendances Inspirations ».
LES ODEURS ONT-ELLES UN SEXE ? A PRIORI, NON. – NICOLAS OLCZYK
La question de l’existence de types de parfums genrés et de leurs possibles origines divise quelque peu les experts, mais tous ou presque s’accordent à dire qu’en Occident – cela n’est pas forcement vrai dans le reste du monde – il y a de fait une distinction. Pour certains, elle est nécessaire, pour d’autres culturelles ou encore pour une démarche purement marketing.
Pour Jeanne Doré, « la parfumerie dite « grand public » est très « sexuée » depuis le développement de la parfumerie masculine, à partir des années 50. Avant, le parfum était symboliquement très attaché à la féminité, et le parfumage des hommes était essentiellement un geste lié à l’hygiène ».
Cependant, beaucoup s’accordent à définir les parfums fleuris avec l’accord classique de rose-jasmin, les chyprés et les poudrés comme féminins. Pour Alberto Morillas de Mizensir Parfums, « La parfumerie féminine est beaucoup plus complexe car les femmes recherchent un parfum, un outil de séduction et des émotions diverses. Elles veulent s’approprier leur parfum, qu’il soit à elle seule, qu’il reflète leur personnalité. Cela est beaucoup plus difficile car il faut réussir à intégrer toutes ces émotions dans un parfum, par exemple créer un oriental pas trop lourd, multi facettes, ce qui explique aussi que les femmes ont plus de difficultés à changer de style et donc de parfum ».
Toujours selon Alberto Morillas, « les hommes attendent de la parfumerie des parfums beaucoup plus rationnels, faciles à porter. Il leur faut une parfumerie efficace, des émotions simples avec des parfums boisés, des fraîcheurs, des parfums aromatiques ou orientaux. Les hommes recherchent une émotion immédiate qu’ils puissent comprendre et s’approprier ». Ainsi, du côté des hommes, les parfums de la famille des fougères, des boisés – comme le cèdre et le vétiver – ou encore les cuirs dominent largement.
Bettina Aykroyd, fondatrice Faireletourdumondeenparfums.com relève que les codes de la parfumerie masculine évoluent, les jus « masculins sont devenus plus chaleureux, plus confortables avec des notes gourmandes ». Elle rappelle également que, dans les formules destinées aux hommes, il n’est pas rare d’incorporer du géranium, une note rosée mais pas aussi opulente et féminine qu’une rose. ».
LA QUESTION EST PLUTÔT DE SAVOIR SI UN HOMME A ENVIE DE SE PARFUMER DE FAÇON FÉMININE, … JE PENSE QUE, QUAND ON ASSUME ET QUE L’ON SE SENT BIEN, ÇA RÉSONNE TOUJOURS « JUSTE ». – MAÎTRE PARFUMEUR ET GANTIER
Dans la continuité, Jeanne Doré rappelle que certains grands classiques masculins comportent des notes fleuries ou gourmandes très prononcées comme « Fahrenheit, construit sur une violette, Dior Homme sur un iris, et L’Homme idéal a un accord amande cerise très présent. » Pourtant personne ne conteste leur virilité !
Valérie Pianelli-Guichard, pour la maison de parfums Comptoir Sud Pacifique, rappelle que depuis les années 1990, les codes se brouillent et les femmes s’approprient de plus en plus les fragrances masculines avec bonheur.
Cette tendance est particulièrement visible dans la parfumerie de niche où, comme le souligne notre interlocuteur de la Maison Maître Parfumeur et Gantier, « les clients ont une culture du parfum plus étendue et donc une ouverture d’esprit plus importante. Ils « osent » plus. Dans le cas de parfums de niche, la communication ne se fait que très rarement sur la différence olfactive Hommes/Femmes, les flacons et coffrets ont la même forme ». La distinction se fait par familles qui réunissent les différents jus, ce qui permet une lecture plus aisée de la collection. Chez July st Barthélémy, deux des parfums mêlent notes dites féminines (fleuries et poudrées) à des notes dites masculines (vétiver) convenant ainsi aux affinités des deux sexes.
LA PURETÉ DU PARFUM N’A PAS DE SEXE MAIS SE CONNECTE À DES ÉMOTIONS QUI, ELLES NON PLUS, N’ONT PAS DE SEXE. – ISABELLE MASSON-MANDONNAUD
D’autre part, pour Valérie Pianelli-Guichard « aujourd’hui la tendance à la « non distinction » entre les parfums pour hommes et femmes s’est accentuée par le fait que, de plus en plus, on cherche à marquer et différencier sa personnalité grâce à un parfum unique… les femmes n’hésitent plus à choisir des senteurs boisées ou cuirées et les hommes prennent du plaisir à porter des notes florales telles que la fleur d’oranger ou la rose ! »
PORTÉ PAR UN HOMME, MITSOUKO, FÉMINITÉ DU BOIS OU LE N°5, C’EST SUPERBE ! – JEANNE DORÉ
Dans le même esprit, pour Céline Verleure Fondatrice / Créatrice Olfactive Studio Parfums, il existe des parfums dont la famille olfactive convient aussi bien aux hommes qu’aux femmes : parfums boisés, hespéridés (=agrumes), épicés, orientaux.
Isabelle Masson-Mandonnaud, fondatrice des parfums Sabé Masson, rappelle que « d’un point de vue alchimique et en faisant abstraction du marketing, le plus important est l’alchimie entre le grain de la peau et la fragrance. Des parfums féminins sur des peaux d’hommes sont exceptionnels et prennent une autre couleur et vice versa ».
De son côté, Franck Bertolino de Terra Continens insiste sur un fait physiologique sur le parfum « l’hygrométrie et la température agissent et influencent énormément les effluves, ajoutant à l’indice corporel un équilibre olfactif. Pour exemple, la couleur de peau au sens le plus large aura besoin de plus ou moins de force olfactive. Si nous rajoutons à cela une alimentation propre à chaque peuplade, le parfum se voudra adapté et complémentaire, créant une harmonie des sens. ».
L’alimentation, le climat et le type de peau sont ainsi plus importants que le genre du parfum. Il ajoute que « le parfum est un message subjectif et puissant ce qui laisse croire qu’il n’y ait que deux hypothèses d’utilisation, « l’équilibre » par des notes égales et le parfum est unisexe ou « dominant dominé » avec des notes allant du plus corsé à la plus légère, ce qui se traduit pour les dominants ambré, poudrée, poivrée, et pour les dominés, sucré, marine, florale. Si on devait chercher, une troisième hypothèse serait l’absence de parfum. »
UNE DISTINCTION CULTURELLE ?
Pour Nicolas Olczyk, cette distinction genrée du parfum « est très culturelle. On associe la vanille ou les fleurs au caractère féminin, de la même manière qu’on associe la couleur rose aux filles et le bleu aux garçons. Pourtant, il y a plein de femmes qui s’habillent en bleu et il y a des hommes qui portent des chemises roses. C’est pareil pour les parfums. Il y a aussi des fleurs dans les parfums masculins et de plus en plus de notes boisées dans les créations féminines. Et puis, il y a aujourd’hui davantage de parfums mixtes ou plutôt sans genre précisé ».
LE PARFUM N’APPARTIENT À PERSONNE, NI FEMME, NI HOMME, IL EST SEULEMENT L’INSTANT PRÉSENT DE TOUT CHACUN – FRANCK BERTOLINO
Pour Céline Verleure « la notion de féminin et masculin est différente suivant les zones géographiques dans le monde. Le parfum Shalimar de Guerlain est souvent porté par des hommes au Moyen Orient… ». Jeanne Doré confirme « tout cela est très Occidental, au Moyen Orient ou en Inde, les hommes portent de la rose, et au Brésil, les femmes raffolent de la lavande !
C’est entièrement culturel, il n’y a aucune odeur « a priori » féminine ou masculine, tout est lié à une longue et complexe évolution d’usages, de symboliques et de cultures liés au rôle du parfum, et à l’hygiène ». Bettina Aykroyd ajoute que les parfums sont « adaptés » d’une aire géo-culturelle à l’autre pour des raisons d’habitudes culturelles, notamment sur les dosages de certaines notes dont l’emblématique Oud !
UN ARGUMENT COMMERCIAL ?
MÊME SI LES MŒURS CHANGENT ET BOUGENT, IL N’Y A PAS D’ÉDUCATION OLFACTIVE NI D’ÉVEIL AUX ODEURS DANS LES ÉCOLES – BETTINA AYKROYD
Johann Vitrey de SESAME Sarl – Founder & CEO – ESP Paris & ISC Paris – Teacher et Stéphanie Poulage Co-fondadrice Poulage Parfumeur estiment que cette partition du parfum entre hommes et femmes est avant tout marketing. Ainsi, pour Johann VITREY « il suffit pourtant de voyager en dehors de l’Occident pour se rendre compte que lorsque les codes tombent et que les parfums sont proposés dans un même endroit, une même fragrance peut être achetée et portée tant par un homme que par une femme.
La distinction est en effet propre à l’Occident et cela tient sans nul doute au fait de vouloir toujours proposer un produit à une catégorie de client ciblé en fonction du sexe, de l’âge, de la catégorie sociale, du lieu d’habitation, d’une passion… Dès lors, lorsqu’une maison de parfum propose une fragrance supposée plaire aux deux genres, elle se sent dans l’obligation de mentionner le terme « unisexe » comme on le voit également dans la mode. La différenciation n’est donc pas inhérente au parfum en tant que tel mais bien à une distinction sociétale et culturelle appliquée à l’ensemble des produits de consommation. »
Stéphanie Poulage rejoint Jeanne Doré en rappelant que « à la fin des sixties, les hommes se parfumaient encore peu, de peur paraître efféminés et donc, pour les encourager, l’industrie a commencé à différencier en rajoutant la mention « pour homme », leur virilité était ainsi préservée ! La mémoire collective et la publicité ont fait le reste.
Pour Bettina Aykroyd « cette distinction parfum féminin et parfum masculin est là pour que le consommateur s’y retrouve au milieu du nombre grandissant des lancements de parfum. Il a besoin de repère. […] le marketing n’est pas le seul responsable de cette distinction. » cela répond à un réel besoin. Pour sa part, Jeanne Doré analyse le choix de l’unisexe où du non genre chez les maisons indépendantes comme permettant de se différencier de la parfumerie grand public et d’affirmer son affranchissement du marketing.
LES MARQUES : COULEURS DU PACKAGING, FORME DU FLACON, NOM DE LA FRAGRANCE… TOUT EST FAIT POUR UN SEXE AU PARFUM ! – JOHANN VITREY
En fin de compte, il ressort de cette enquête une dualité. En effet, la séparation genrée des parfums entre notes féminines et notes masculines est, pour beaucoup d’amateurs, nécessaire afin de se retrouver dans les nombreux lancements annuels. Dans le même temps, il est de plus en plus admis de transgresser les « genres » canoniques du floral féminin et du fougère masculin. Le message que tous nos interlocuteurs ont formulé est d’oser, de tester sans a priori ! Une bonne nouvelle pour celles et ceux qui cherchent un parfum bien à eux qui corresponde à leur type de peau et à leur personnalité.