Ne pensez surtout pas qu’il faut nécessairement les capacités techniques du cinéma moderne pour vous effrayer. Nosferatu, le vampire qui a presque cent ans et mélange épouvante et expressionnisme en adaptant l’histoire du comte Dracula, y arrive très bien sans cela. Un teint plus pâle que la lune, une tête de gargouille et un appétit sanguinaire… Sans rien dire, sans prononcer un mot, Nosferatu vous fera frissonner d’effroi. Venez avec nous dans cette présentation du premier vrai film de vampire…
La naissance du projet et du cinéma d’épouvante
Des 21 films réalisés par Friedrich Wilhelm Murnau, seuls 12 ont survécu au passage du temps. Parmi ceux-là, son oeuvre la plus connue : Nosferatu, eine Symphonie des Grauens (Une symphonie de la terreur) qui est projeté en salles en 1922. Déjà petit, il se plait à monter de petites pièces à partir des oeuvres de ses auteurs préférés, dont William Shakespeare, Henrik Ibsen et Friedrich Nietzsche. Vétéran de la Grande Guerre, il réalise en 1920 Le Crime du docteur Warren avec Conrad Veidt (l’inspiration du personnage du Joker dans Batman) et le légendaire Bela Lugosi. Déjà à ce moment-là, sans en avoir les droits, il récupère l’oeuvre de Robert Louis Stevenson, L’Étrange Cas du docteur Jekyll et de M. Hyde pour en faire une adaptation dont il change les noms.
Il développe son style qui puise dans le romantisme allemand et dessine les premiers traits de l’expressionnisme. C’est peu après qu’il a dans l’idée de faire un film s’inspirant du roman Dracula de Bram Stoker. N’ayant pas accès aux droits (la société de production n’a simplement pas les moyens de les acheter), il contourne le problème en changeant quelques parties de l’histoire et les noms des personnages. Le comte Dracula est dorénavant le comte Orlok, dit Nosferatu. Il est important de noter que Nosferatu n’est cependant pas la première adaptation du roman de Stoker puisque le cinéaste Karoly Lajthay avait déjà réalisé sa version. Malheureusement, le film est considéré comme perdu depuis longtemps et Nosferatu prend donc sa place sur le podium. Avec Nosferatu, Murnau perfectionne son art expressionniste et donne ses premières lettres de noblesse au film d’horreur.
Nosferatu, une symphonie de la terreur
Thomas Hutter (Gustav von Wangenheim) voyage en Transylvanie en 1838 pour vendre une demeure au comte Orlok (Max Schreck) dans la ville fictive de Wisborg (qui remplace Londres). Une fois au lugubre château du comte, Thomas est méfiant d’Orlok, surtout lorsque ce dernier est subjugué par une miniature de Ellen, la fiancée de Thomas. Le comte décide immédiatement d’acheter la demeure, mais Thomas découvre son identité. Nosferatu prend la relève et part en quête de la jeune Ellen qu’il trouve fascinante et bien à son goût… Car ne vous y trompez pas, nous sommes bien dans un film de vampire.
Nosferatu est un nom maintenant mythique et prend ses racines dans l’équivalent roumain de « l’innommable », « nesuferitu ». Au XIXe siècle, le mot était encore utilisé pour nommer le Diable sans avoir à blasphémer. Orlok viendrait soit de « vârcolac » qui est une créature assimilée à un fantôme ou alors le nom serait inspiré des Morlocks de H. G. Welles dans La Machine à explorer le temps sorti en 1985. Le personnage commence comme une pâle copie (sans jeu de mots) de Dracula, mais est développé en une entité à part qui se différencie déjà par un physique plus proche de l’au-delà avec des traits cadavériques, presque chimériques.
Le film muet est ponctué par des écrans où s’affiche du texte pour faire progresser la narration. Dès le départ, on lit sur l’écran que Nosferatu boit le sang des jeunes gens, sang dont il a besoin pour survivre. « On peut reconnaître la trace d’un vampire par les trous laissés par ses crocs dans le cou de la victime. » L’ambiance est donnée et en bon amateur de Shakespeare, Murnau laisse déjà présager la fin du film. Mais déjà bien avant de faire couler le sang, il se dégage une aura particulière du film. On est maintenant fasciné de regarder une oeuvre presque vieille d’un siècle et malgré certaines scènes qui ont mal vieilli, on se surprend à y croire plus qu’à n’importe quel autre film d’horreur moderne.
Contemporain et acteur de la Première Guerre mondiale, son expressionnisme est une réaction à l’angoisse précédant le conflit et aux souvenirs horribles qui la suivent. L’expressionnisme est avant tout l’expression d’un point de vue personnel que l’on applique à la réalité afin d’en donner une autre vision. Les symboles y sont prédominants et se caractérisent au cinéma par l’utilisation des décors, de la lumière et des costumes. Le fantastique et l’épouvante se prêtent facilement au jeu, car ils déforment de toute façon la réalité. Dans Nosferatu, cela se traduit par une atmosphère claustrophobique mise en place grâce aux bordures noires de l’écran. Les lois de la physique semblent ne plus avoir de valeur lorsque, à travers un jeu d’ombre, le comte se déplace lentement puis instantanément. Même lorsque l’extérieur est présent, l’image filmée en négatif obscurcit le ciel et nous enterre davantage avec Nosferatu. Ce dernier est l’incarnation de la mort qui n’a que pour but d’absorber nos forces vitales.
L’impact du film et son héritage
À sa sortie, on peut lire dans la presse française de 1922 : « Les spectateurs qui sortent de là après ingestion de pareilles horreurs ont les yeux hagards, et, tout en se protégeant la gorge de leurs mains, se retournent parfois pour voir si le Vampire n’est pas sur leurs traces. » Si le film fait toujours son effet cent ans après, on vous laisse imaginer à une époque où le cinéma est encore une nouveauté et que vous en faites votre première expérience avec un film d’épouvante ! Il n’est pas si effrayant, mais joue de façon pertinente avec la fine membrane entre réalité et fiction. La première se déroule le 4 mars 1922 au Jardin zoologique de Berlin et est annoncée comme l’un des grands événements de société de l’année. On y invite beaucoup de personnalités et de journalistes à qui l’on demande de venir habillés à la mode de la période Biedermeier (1815 – 1848).
Les critiques sont dans l’ensemble très positives, mais elles attirent l’attention de Florence Stoker, la veuve de l’auteur qui fait un procès à la société de production, Prana Film. Trois mois plus tard, les copies et négatifs sont détruits suite à son intervention. Mais en 1925, alors qu’elle vient inaugurer un festival de cinéma à Londres, Nosferatu est de nouveau à l’affiche. Un deuxième procès s’engage et lorsque Universal Pictures rachète les droits de Dracula, elle demande à ce que la dernière copie de Nosferatu soit détruite. Florence Stoker meurt en 1937, six ans après F. W. Murnau et des copies intelligemment cachées font surface en Allemagne et aux États-Unis. Depuis, le film jouit d’une aura particulière dans le monde du cinéma. Presque prophétique, le premier vrai film d’épouvante a réussi à survivre malgré les procès et la guerre jusqu’à sa première véritable restauration en 1984.
Maintenant, le film est vu comme une pierre angulaire de l’histoire du cinéma en général. Le premier film de vampire choque assez ses premiers spectateurs pour marquer les esprits et accroitre la demande de films d’épouvante. Nosferatu est le Dracula libéré de tous ses clichés et garde ce qui fait l’âme de l’oeuvre. Sa noirceur et sa profondeur. Un film qui vous effraiera à vie ? Probablement pas, mais une oeuvre artistique inoubliable et importante dans la culture humaine, certainement. De nombreux réalisateurs rendent hommage au film sous l’apparence de petites références, comme Tim Burton dans son Batman Returns (Max Schreck est le nom du méchant joué par Christopher Walken) ou plus indirectement dans Edward aux mains d’argent (similitude de la scène finale), comme pour affirmer une certaine descendance et valider un héritage centenaire. Même après tout ce temps, Nosferatu nous hante.
À titre posthume, F. W. Murnau a certainement dépassé ses premières espérances avec Nosferatu. Un film fondateur de l’expressionnisme allemand, il est aussi resté dans les mémoires comme le premier film de vampire. Devenu l’une des oeuvres les plus importantes du cinéma, Nosferatu continue d’inspirer les cinéastes d’aujourd’hui. Nosferatu vous angoisse-t-il autant que le comte Dracula ou n’avez-vous pas encore vu ce chef-d’oeuvre des années 20 ?
Par Florent, le