Une redoutable maladie autrefois limitée aux régions tropicales, atteint désormais l’Europe sous l’effet du réchauffement climatique. Une détection difficile, des symptômes lourds, aucun traitement disponible…les ingrédients sont réunis pour le pire.
Une infection bien connue
La sonnette d’alarme a été tirée par l’Institut allemand de détection des risques. Les cas de Ciguatera se multiplient en Allemagne et dans toute l’Europe. Chez notre voisin, au moins 20 cas sont désormais constatés chaque année depuis 2012. Un nombre probablement très sous-estimé, tant la maladie est difficile à détecter. À l’échelle mondiale, on estime le nombre de victimes autour de 50 000 chaque année.
La Ciguatera est une infection qui se transmet à l’homme via la consommation de poissons. En langage savant, on parle d’ichtyosarcotoxisme. Ces poissons sont en réalité le vecteur de la maladie, issue d’une microalgue dont ils se nourrissent, la Gambierdiscus toxicus. C’est la première cause d’intoxication chez l’homme par les produits de la mer. On estime que 400 millions de personnes sont potentiellement menacées.
Cette maladie est connue depuis le début du Moyen-Âge en Chine, et probablement encore plus tôt dans d’autres régions (le manque de traces écrites dans de nombreuses cultures nous empêche de dater sa découverte avec certitude). Les européens ne l’évoquent qu’à partir du XVIIIe siècle avec le développement des échanges maritimes. En effet, la maladie sévit principalement dans les mers chaudes, comme l’Océan Indien ou la région des Caraïbes.
Une maladie qui fait déjà des ravages
La Ciguatera n’est pas une maladie mortelle. Mais elle n’a rien d’un mal bénin pour autant. Les symptômes sont si nombreux et variés que la maladie n’en est que plus complexe à diagnostiquer : vomissements et diarrhées, douleurs musculaires, éruptions cutanées, troubles nerveux (anxiété, perte de sommeil, parfois dépression)… Dans de plus rares cas, la maladie va jusqu’à provoquer des lésions irréversibles et même des paralysies et des comas !
Surtout ce terrible mal n’a pas de remède connu, alors qu’il peut durer plusieurs mois. Dans les régions où il est endémique, des individus peuvent l’attraper jusqu’à une dizaine de fois au cours de leur vie. En outre, cette toxine est particulièrement résistante. Elle n’est ainsi pas affectée par la cuisson, à la différence de la plupart des bactéries présentes dans les aliments. Tous ces risques ont été jusqu’à provoquer de véritables changements d’habitudes culturelles pour les populations les plus exposées : on a ainsi vu dans certaines îles du pacifique le poulet supplanter le poisson comme principale source de protéines.
La transmission se fait en remontant la chaîne alimentaire. Paradoxalement, les gros poissons carnassiers sont porteurs de la toxine à des taux supérieurs aux herbivores qui leur ont transmis (ce qu’on appelle la biomagnification). On a donc bien une algue capable d’infecter un poisson, puis un autre, et de remonter ainsi la chaîne alimentaire jusqu’à l’homme. Les poissons les plus dangereux à consommer sont les grands prédateurs comme le barracuda ou le mérou. En outre, des cas de transmission de la mère à l’enfant par le biais de l’allaitement ont été constatés.
Une conséquence du réchauffement climatique
Les bouleversements climatiques actuels ne sont probablement pas étrangers au phénomène. En effet, la microalgue à l’origine de l’intoxication a pour écosystème naturel les récifs coralliens. Gambierdiscus toxicus colonise les coraux morts et se multiplie donc à toute vitesse à l’heure où ceux-ci sont menacés d’extinction, à l’image de la Grande barrière de corail. D’ailleurs, le terme Ciguatera désigne également le phénomène de destruction des récifs coralliens.
En outre ces algues, sous l’action du réchauffement généralisé des eaux de la planète, quittent leurs régions tropicales d’origine pour s’installer sans cesse plus au Nord. À partir de 2008, leur présence à été détectée à Madère et aux Canaries, pour gagner par la suite la Méditerranée. La chaîne alimentaire des poissons vivant dans les zones tempérées risque donc d’être à son tour massivement contaminée.
Plus généralement, la surpêche et la globalisation des échanges augmentent les risques pour l’ensemble de la population mondiale. À l’heure où les poissons achetés en Europe, comme d’ailleurs la plupart des denrées alimentaires, proviennent des quatre coins du monde, les infections au départ limitées aux pays du sud ne peuvent que se généraliser.
Par Tristan Castel, le
Source: Sciences et Avenir
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