La musique peut s’avérer être un outil important pour évoquer des sujets épineux et parfois sociétaux. Le jazz ne fait pas exception. Il s’est même révélé d’une extrême utilité lors du mouvement des droits civiques. Un thème qui sera d’ailleurs repris par plusieurs artistes à cette époque.
« Si vous n’aimez pas, n’écoutez pas »
Tels sont les mots du célèbre dramaturge américain à l’origine du Black Arts Movement, Amiri Baraka. Si les tensions entre les Blancs et les Noirs étaient à leur paroxysme pendant la ségrégation aux États-Unis, l’art a permis d’évoquer la plupart de ces sujets. En poésie, en littérature, en peinture mais aussi en musique. Pour sa part, le jazz a été un vecteur majeur pour évoquer les problèmes constants d’injustice au pays de l’oncle Sam.
Des pointures comme Louis Armstrong ou Duke Ellington, par exemple, s’abstenaient d’évoquer haut et fort les problèmes raciaux et l’injustice dans leurs chansons. Auquel cas, les deux musiciens étaient sévèrement critiqués pour leur prise de position. C’est ainsi que les maisons de disques des artistes de jazz ont appliqué une censure. Les textes avec des connotations sociales évoquant l’injustice et le racisme ambiant étaient tout bonnement supprimés des chansons.
Dans son album intitulé « Mingus Ah Um » paru en 1959, Charles Mingus aborde dans l’un de ses textes une affaire concernant neuf jeunes étudiants américains empêchés d’aller à l’école. Dans cette affaire de 1957, le gouverneur de l’Arkansas de l’époque estimait qu’il s’agissait d’un état d’urgence et avait appelé la police pour bloquer l’accès de l’école à ces étudiants. Seulement, sur cette chanson intitulée « Fables of Faubus » (du nom du gouverneur Orval Faubus), aucune parole n’apparaît sur l’enregistrement. Commercialisée par le label Columbia Records, cette dernière avait des paroles « si incendiaires qu’ils ont refusé de les enregistrer », raconte le journaliste Michael Verity.
Charles Mingus n’est pas un cas isolé. D’autres artistes ont subi le même sort en décidant cependant de passer outre les recommandations des labels. Mingus a quant à lui pu sortir la version officielle de sa chanson, un an plus tard sur le label Candid Records.
Passer outre la censure
« L’une des critiques les plus flagrantes et les plus dures des lois Jim Crowe dans tout l’activisme du jazz. » C’est ainsi qu’ont été décrites les paroles de Mingus passées outre la censure de son premier label. Par ailleurs, d’autres grands noms du jazz en ont aussi fait les frais, comme le raconte si bien le journaliste Tom Schnabel pour la radio KCRW : « Nina Simone a chanté l’incendiaire ‘Mississippi Goddam’, Coltrane a chanté un triste chant, ‘Alabama’ pour pleurer le bombardement de l’église de Birmingham, Alabama en 1963. Sonny Rollins a enregistré ‘The Freedom Suite’ comme une déclaration de liberté musicale et raciale. » Ajoutons que l’album de Max Roach, We Insist! Freedom Now Suite, a connu la même punition de censure.
Néanmoins, pour pallier cela, les artistes se sont recentrés, préférant jouer pour leur propre communauté. Un façon qui leur permettait de rester libres et maîtres de leur musique et de leurs textes, sans risquer la censure. Le jazz s’est alors réinventé avec de nouveaux codes et des thèmes évoqués sans pudeur.
Tout comme le gospel au fil des années, le jazz a pu représenter fidèlement les personnalités et les opinions des artistes afin d’évoquer des évènements historiques. Plus qu’une histoire américaine, le jazz est parvenu à s’exporter au-delà de ses frontières. Le premier festival de jazz de Berlin s’est tenu en 1964 et fut introduit par un certain Martin Luther King Jr. Quand le jazz et l’activisme font bon ménage.
Par Camille, le
Source: openculture.com
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