Aveugle de naissance, Thomas « Blind Tom » Wiggins s’est révélé être un pianiste de génie et l’un des artistes américains les plus célèbres du 19e siècle. À la fois compositeur et interprète, l’homme était aussi connu pour ses excentricités. Voici son histoire.

Thomas Greene Wiggins naît dans une plantation près de Columbus le 25 mai 1849. Lorsque Wiley Jones, son propriétaire, découvre que le fils de Charity et Mingo est aveugle, il décide de le vendre en même temps que ses parents et ses deux frères à James Bethune, l’un des avocats les plus respectés de Columbus.

Les sept enfants de la famille Bethune reçoivent une éducation musicale et Wiggins adore passer des heures à les écouter chanter ou jouer du piano. Il est bientôt capable de reproduire la musique qu’il entend et James Bethune réalise que son jeune esclave est un véritable prodige du piano.

Wiggins reçoit des leçons de piano et ne tarde pas à surpasser ses professeurs, ce qui pousse Bethune à le louer comme « esclave musicien » à un artiste itinérant de la région nommé Perry Oliver. Dès l’âge de neuf ans, Wiggins participe à des tournées éreintantes durant lesquelles il se produit jusqu’à quatre fois par jour.

Thomas Wiggins présente la partition de « Rain Storm », qu’il a composée à l’âge de 5 ans

IL EST CAPABLE D’IMITER LE CHANT DES OISEAUX

Rapidement surnommé « Blind Tom » en raison de sa cécité, le jeune compositeur est capable d’imiter toutes sortes de sons au piano, du chant des oiseaux au bruit des locomotives, et affirme que ce sont les bruits de la nature qui lui dictent ses mélodies. Ses interprétations hors du commun vont contribuer à le faire connaître à travers tout le sud des États-Unis.

Il est invité à Washington par le président américain James Buchanan et devient ainsi le premier musicien afro-américain à se produire à la Maison-Blanche. À l’occasion d’une tournée, il croise la route de l’écrivain Mark Twain qui, sidéré par les talents du musicien, assiste à trois représentations d’affilée en 1869.

Blind Tom âgé de 10 ans représenté sur la couverture des partitions pour piano de « Oliver Gallop » et « Virginia Polka »

Lors de ses spectacles, Blind Tom invite toujours un membre du public à venir sur scène pour interpréter le morceau de musique le plus difficile qu’il connaisse. Pendant qu’il s’exécute, Wiggins, comme possédé, se tortille, saute à cloche-pied et nomme chacune des notes jouées par le spectateur. Il est ensuite capable de reproduire avec exactitude le morceau tel qu’il l’a entendu, erreurs incluses.

Wiggins est aussi capable de jouer simultanément un air de la main droite et un autre de la main gauche, tout en chantant une troisième mélodie. Il lui arrive aussi parfois de jouer dos à son instrument. Des excentricités qui participent grandement à sa renommée.

BLIND TOM EST CAPABLE DE JOUER SIMULTANÉMENT PLUSIEURS MÉLODIES ET JOUE PARFOIS DOS À SON INSTRUMENT

Lorsque la guerre de Sécession éclate en 1861, Blind Tom est en tournée à New York. Il retourne avec son manager dans le sud du pays et effectue plusieurs représentations afin de récolter des fonds pour la cause confédérée.

Âgé de seulement 12 ans à l’époque, il compose « La Bataille de Manassas », sa pièce la plus célèbre qui retranscrit l’environnement sonore d’une bataille entrecoupée de bruits de trains et de sifflets. L’un de ses biographes dira plus tard que « son ton parfait, son hypersensibilité, ses cordes vocales élastiques, son manque d’inhibition et son immersion totale dans le monde du son lui ont permis de recréer musicalement un véritable champ de bataille ».

Il interprète aussi avec virtuosité des œuvres figurant parmi les plus complexes de Bach, Beethoven, Liszt et Chopin.

Lorsque la guerre de Sécession prend fin en 1865, l’esclavage est officiellement aboli, mais James Bethune conserve la garde du prodige. L’avocat a passé pour cela un contrat de 5 ans avec Mingo et Charity Wiggins deux ans plus tôt, ce qui fait dire à certains historiens que Blind Tom est le « dernier esclave américain ».

CERTAINS HISTORIENS CONSIDÈRENT THOMAS WIGGINS COMME LE « DERNIER ESCLAVE AMÉRICAIN »

À partir de 1875, John Bethune voyage aux côtés de Wiggins lors de longues tournées à travers le Canada et les États-Unis et profite des revenus considérables de Wiggins pour soutenir son style de vie extravagant.

Lorsque John Betune meurt en 1884, la garde de Blind Tom retourne à son père, avant d’être transférée à Eliza Bethune, la femme du défunt, à l’issue d’un procès retentissant en 1887. Alors qu’elle est partie prenante aux côtés d’Eliza Bethune, la mère de Wiggins n’obtient ni la garde de son fils, ni le contrôle de ses revenus.

Eliza et Albrecht Lerche, son second mari, gèrent désormais les tournées du virtuose. En 1905, Thomas Greene Wiggins donne son dernier concert et vit ensuite retiré dans la demeure que le couple a acquise à Hoboken (New Jersey) grâce aux revenus conséquents du pianiste. Il meurt subitement le 13 juin 1908 à l’âge de cinquante-neuf ans.

Musicien hors du commun et compositeur de génie, Thomas Greene Wiggins aura connu l’esclavage avant que ses revenus considérables ne poussent la famille de ses anciens propriétaires à l’exploiter. La ville de Columbus lui a dédié une stèle commémorative en 1976 et quatorze de ses œuvres les plus marquantes ont été enregistrées par le pianiste américain John Davis en 1999.

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